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Éric Di Meco. Mon Papinou, j'ai trouvé de vieilles images, que nous allons regarder ensemble. Une petite soirée de mai 1993. Tu dois y être. Je crois même que tu vas être vilain. Regarde, cette agression sur Fabien (Barthez), oh la la !
Jean-Pierre Papin. Ce n'est pas bien méchant, je joue le ballon...
E.D.M. Tu sais qu'il y a une légende sur cette histoire-là. Je crois que je t'ai un peu bougé. On raconte que je t'ai dit des choses qui sont loin de la réalité. J'ai dû te dire des mots pas gentils. Mais la vérité c'est que nous avions peur de toi. Quand je t'ai vu entrer, j'ai flippé, je craignais que tu nous enlèves...
J.-P.P. ... le Graal !
E.D.M. Oui ! Il y a tellement d'histoires d'anciens qui marquent contre leur ancienne équipe ! D'abord, j'avais peur que tu joues. Quand je t'ai vu sur le banc, ça m'a soulagé. Et quand tu es entré, on m'a replacé pour te charger. Donc, ce petit incident, c'est pour te mettre la pression. De bonne guerre.
J.-P.P. Mais il reste quoi ? Un quart d'heure ?
E.D.M. Oui mais bon, en un quart d'heure...
J.-P.P. C'est vrai, parfois, en un quart d'heure, on peut être dangereux.
E.D.M. D'ailleurs, tu sais ou tu ne sais pas que notre compo d'équipe et mon positionnement auraient changé si tu avais joué d'entrée ?
J.-P.P. Je ne savais pas...
E.D.M. Si tu avais joué, j'aurais été recentré pour te prendre, "Jean-Phi" Durand aurait joué côté gauche, Angloma côté droit.
J.-P.P. (Rires) J'aurais aimé...
E.D.M. (Rires) En plus, la semaine d'avant dans L'Équipe Magazine, tu avais déclaré dans une interview que tu savais comment me faire péter les plombs. Ça m'avait encore un peu plus motivé. J'étais un peu chaud.
J.-P.P. J'espérais qu'en te motivant un peu plus, tu ferais une faute.
E.D.M. D'autant plus que j'avais déjà pris un jaune et quand tu es entré, ça aurait pu mal tourner.
J.-P.P. Je ne savais pas tout ça, j'ignorais qu'il y avait un dispositif spécial en fonction de ma présence.
E.D.M. C'est un peu normal, non ? On te craignait, comme en 1991, les Yougoslaves de l'Étoile Rouge craignaient "Pixie" Stojkovic chez nous. D'ailleurs, c'était une erreur côté OM que "Pixie" ne joue pas et ça a été une erreur que toi tu ne joues pas avec Milan, parce que ça nous a soulagés.
J.-P.P. Je comprends très bien... Alors, nous, côté Milan, nous avions quinze jours pour préparer la finale. Notre match de championnat avait été reporté. Nous avons fait trois matches entre nous. Et trois fois 0-0. Nous étions hypermotivés et Fabio Capello ne savait plus, sur les six étrangers, lesquels aligner.
E.D.M. C'est vrai que par rapport à aujourd'hui, on ne se rend pas compte qu'une équipe ne pouvait aligner que trois étrangers. Et Milan en comptait six.
J.-P.P. Oui. Gullit, Rijkaard, Van Basten, Boban, Savicevic et moi. Van Basten avait été l'homme des finales précédentes, mais il était blessé depuis huit mois. Il a juste joué un match avant la finale et Capello l'a quand même titularisé. Gullit s'est retrouvé en tribune avec Savicevic et Boban. Et moi sur le banc. Beaucoup d'Italiens n'ont pas compris...
E.D.M. Tu ne pouvais pas jouer aux côtés de Van Basten ? Vous ne l'aviez pas fait ? Parce qu'il aligne Massaro devant et il mange la feuille ce soir-là...
J.-P.P. Oui, bien sûr. Nous avons joué ainsi contre Göteborg et Marco (Van Basten) a marqué quatre buts, avec deux passes décisives de ma part. Mais je pense que Capello a fait son équipe par rapport à vous. Il vous craignait.
E.D.M. Nous aussi. On a beau se raconter des histoires parce qu'il y avait eu la double confrontation en 1991 où on les avait sortis et impressionnés, avec toi, puis on les avait battus en amical, on croyait que le Milan AC avait peur de nous, mais on n'en savait rien. Vous étiez la meilleure équipe du monde.
J.-P.P. Nous nous craignions mutuellement. D'ailleurs, le match n'est pas extraordinaire à cause de ça. Très fermé, même si Marco a deux ou trois occasions qu'il ne met pas, parce qu'il n'a pas joué depuis longtemps.
E.D.M. Massaro aussi qui vendange un peu...
J.-P.P. Et puis Fabien fait un super match, des miracles comme d'hab'.
E.D.M. Et le dispositif tactique, c'était aussi en fonction de nous ?
J.-P.P. Je pense, oui, parce qu'on a changé deux fois de composition dans les matches amicaux entre nous et il a dit qu'il hésitait, par rapport à vous. Il a écarté Marco Simone. Ses choix ont été critiqués par la presse italienne.
E.D.M. Toi, avec le recul, quelle aurait été ta meilleure équipe possible ?
J.-P.P. Déjà, je pense que Marco Van Basten ne pouvait pas jouer, il n'avait pas 90 minutes. Alors que Gullit était en pleine forme et il se retrouve en tribune. Moi, j'ai joué six ans à l'OM et il me laisse sur le banc. Son 4-4-2 n'aurait jamais bougé, mais c'est le choix des joueurs qui a fait débat. Après, dans un tel club, tu es joueur, tu t'inclines, même si tu n'es pas content. Et puis, lors des matches précédents, il avait fait de super compos.
E.D.M. Et toi, qui avais été au départ du projet Bernard Tapie, un des symboles de l'OM, comment étais-tu ?
J.-P.P. J'étais un des seuls qui pensait que Milan pouvait perdre. Eux, ils étaient confiants et moi pas rassuré, parce que je savais de quoi l'OM était capable. Je ne connaissais pas aussi bien les nouveaux, même si Rudi Völler, que je n'avais pas fréquenté, c'était la garantie d'avoir un grand joueur. Je connaissais la mentalité, j'étais inquiet. Et quand je suis entré, je me suis dit : "C'est trop tard". J'espérais faire quelque chose, marquer, mais dans ce type de match, si tu ne marques pas tout de suite, c'est fini.
E.D.M. Oui mais moi, quand je te vois entrer et que Raymond me dit : "Tu le prends !", je sens un gros coup de pression. Je sais que tu peux faire basculer le match, que si ça tourne au vinaigre alors que je suis au marquage, c'est tout pour moi...
J.-P.P. Et en fait, j'ai quoi ? Une demi-occasion, avec la volée loupée. Pas grand-chose.
E.D.M. Et nous, nous jouons dans nos 16 mètres, nous défendons.
J.-P.P. Il fallait marquer d'entrée. Même si vous égalisiez, c'était le scénario le plus acceptable. On savait que si vous ouvriez le score, ça allait être très compliqué.
E.D.M. Tu avais senti votre coach tâtonner avant le match ?
J.-P.P. Cinq jours avant, lors du dernier match amical, certains joueurs marquent des points, mais il n'en a pas tenu compte. Il est resté sur son idée initiale. Van Basten a joué sous infiltration...
E.D.M. D'ailleurs, il n'a plus jamais joué après...
J.-P.P. Exact. Il finit sa carrière sur ce match-là. Aujourd'hui, il a une vis qui retient sa cheville et il ne peut plus jouer.
E.D.M. En plus, Basile (Boli) l'a un peu arrangé sur les premiers tacles...
J.-P.P. C'est de bonne guerre.
E.D.M. Je ne comprends même pas comment un coach italien de ce niveau-là ne se doutait pas qu'en alignant un joueur diminué, il prenait un gros risque, alors qu'en face, il y avait du lourd...
J.-P.P. Parce que ce n'était pas sa philosophie... Nous aussi, nous avions des joueurs capables de mettre des coups, mais personne n'en a mis.
E.D.M. C'est vrai que ça a été un match très particulier, fermé. Tout le monde jouait haut, le hors-jeu. Nous calquions notre jeu sur vous. En fait, un peu comme le Barça de Guardiola un peu plus tard, tout le monde voulait copier le Milan à l'époque.
J.-P.P. D'ailleurs quand on a joué contre eux en 1991, on a joué comme eux.
E.D.M. Tu as été énorme. On joue le pressing, le hors-jeu...
J.-P.P. Rappelle-toi, même le coach, à la mi-temps, nous dit : "Les gars, maintenant, on joue comme eux" ; on lui a dit : "Coach, ça fait un quart d'heure qu'on joue ainsi".
E.D.M. Mais c'est dingue, je ne me souvenais pas que vous étiez restés quinze jours sans jouer, alors que nous, la Ligue avait refusé. Bernard (Tapie) avait demandé que le match à Valenciennes soit reporté pour préparer la finale. Parce que c'était important aussi pour la France ; à l'époque, nous étions un grand pays, nous avions disputé plusieurs finales européennes, avec Bordeaux, Monaco. L'affaire VA-OM résulte de ça, puisqu'on sait aujourd'hui que Bernard voulait qu'il n'y ait pas de blessés. Mais après, est-ce que le fait d'être restés deux semaines sans jouer, ça ne vous a pas desservis ? On se rend compte, lors du Top 14 de rugby, que les équipes directement qualifiées pour les demi-finales souffrent toujours contre celles qui disputent un tour supplémentaire, à cause de la coupure.
J.-P.P. On a fait des matches entre nous. Mais ce n'était pas pareil, sans l'adrénaline de la compétition. Même si c'était très impressionnant physiquement, dans la tête, c'était différent. On ne saura jamais quel effet a eu cette coupure.
E.D.M. D'autant que la finale se joue sur des détails, avec ce but improbable qui arrive juste avant la mi-temps.
J.-P.P. Oui, je regardais la photo au service des sports de La Provence. Chez nous, il y a des joueurs statiques qui regardent le ballon. À l'OM, il y a Völler et Basile qui sont en l'air et pour Milan seulement Rijkaard. Ça veut dire que les deux Marseillais ont attaqué le ballon et nous, on a juste regardé.
E.D.M. C'est vrai que le scénario du match t'indique que ce n'est pas votre soir... C'est presque écrit.
J.-P.P. C'est exactement ce qu'on craignait. Vous saviez fermer la baraque. Nous n'avons pas eu d'occasions après votre but.
E.D.M. Oui, de la pression mais pas d'occasion. Défensivement, on savait fermer et on avait des guerriers. Il s'est passé le contraire de ce qu'on avait vécu en 1991 où les "Yougos" aimaient aller aux penalties.
J.-P.P. C'est mon regret. Même si la finale perdue contre vous, ce n'est pas anodin, mon grand regret, c'est de ne pas avoir gagné en 1991 à Bari. Nous étions tellement au-dessus du lot. Et nous n'avons pas joué cette finale.
E.D.M. Oui, moi, je pars toujours du principe que la plus belle équipe dans laquelle nous ayons joué tous les deux ensemble, c'est celle de 1990, avec la demi-finale perdue à Benfica, avec Carlos (Mozer), Chris (Waddle), Enzo (Francescoli). La plus talentueuse. En revanche, la plus forte, celle qui aurait dû gagner, c'est celle de 1991, après avoir éliminé Milan où leurs supporters nous avaient applaudis à la fin. Nous les avions tellement bougés, impressionnés...
J.-P.P. J'ai revu récemment l'histoire du projo qui s'éteint au retour chez nous. Je ne me souvenais pas que le match était quasiment fini. Et tu sais pourquoi ils ont voulu sortir ? L'année d'avant, ils ont joué à Belgrade, ils font 1-1 à San Siro, ils sont menés 1-0 à Belgrade et le brouillard tombe. Le match est arrêté, rejoué le lendemain et ils gagnent. Alors, ils ont cru que l'histoire allait se répéter, comme me l'a raconté Marco Simone.
E.D.M. C'est vrai qu'avec un seul pylône éteint, on pouvait jouer, ils n'ont pas été classe...
J.-P.P. C'était un club puissant...
E.D.M. Et alors, dis-moi, à la fin, quand nous fêtons la victoire et que tu te retrouves seul, en voyant tes copains, avec qui tu avais passé tant d'années, comment tu le vis ?
J.-P.P. Je suis désabusé, triste, assis, la tête dans les genoux et c'est Bernard qui vient me relever et m'embrasser en me disant : "Si on est là, c'est grâce à toi".
E.D.M. Mais oui ! On fête toujours les mecs de 1993, notamment pour les 30 ans. Et ça me gêne toujours un peu. Il y a eu tellement de joueurs importants depuis 1986, qui ont permis qu'on la gagne. Toi, tu étais le symbole, le fiston, tu profitais de ta situation, tu nous en faisais des belles parfois, mais on te pardonnait parce que tu nous faisais gagner les matches ! Tu sais que ma maison, à Gémenos, j'aurais dû l'appeler le "Mas Papinade", parce que tu me l'as payée celle-là !
Mais bon, toi, Gigi (Alain Giresse), Karlheinz (Förster), Carlos, Enzo, Chris, ces mecs-là, je trouve injuste qu'ils ne l'aient pas gagnée. Et c'est bien que le Boss t'ait dit ça, parce que c'est la réalité. En 1991, à Milan, tu es énorme.
J.-P.P. Dans notre vestiaire, nous avions la tête dans le sac. Moi, c'était la deuxième que je perdais, ça faisait beaucoup, mais le Milan a très vite redressé la tête, ils savaient qu'ils en gagneraient d'autres. D'ailleurs, on l'a remportée l'année suivante contre Barcelone.
E.D.M. C'est toujours bon de rappeler ce qu'était le Milan AC de ces années-là !
J.-P.P. Mais ce qu'était l'OM aussi ! Nous sommes arrivés tout en haut. Ce que je regrette, c'est qu'on ne se soit pas mesurés à des clubs anglais, alors suspendus...
E.D.M. Tout à fait. D'ailleurs, un de mes grands souvenirs de cette saison-là, c'est le match à Glasgow. Les Rangers n'étaient pas un grand d'Europe, mais une équipe britannique solide, remplie d'internationaux. Ibrox Park, c'était une ambiance folle, les mecs applaudissaient nos tacles, dont les miens. Oui, c'est un regret et un manque pour moi aussi de ne pas avoir affronté Liverpool ou United. Tu as raison...
J.-P.P. Tu sais que même encore aujourd'hui, il y a des gens qui croient que j'ai gagné cette finale avec vous ?
E.D.M. Pas étonnant. Au départ, quand Bernard te prend à Bruges alors que tu devais signer à Monaco, la tête de pont, c'était Gigi, avec Karlheinz, mais tu as vite pris le leadership, la deuxième saison...
J.-P.P. Oui, la deuxième, parce que la première année, "JPP", c'était "J'en Peux Plus".
E.D.M. Tu es tellement identifié à cette période-là que pour les gens tu as été là jusqu'au bout.
J.-P.P. Alors, même si je ne l'ai pas gagnée, je la prends.
E.D.M. Franchement, ce sont ces années 1990-1991 qui nous ont décomplexés. D'ailleurs, quand la France gagne la coupe du monde, Didier Deschamps le dit immédiatement après le match : "Si on l'a gagnée, c'est grâce à l'OM et à Bernard Tapie qui nous ont décomplexés".
J.-P.P. Je prends...
E.D.M. Quand tu es au feu, tu ne penses qu'à toi. Mais avec le recul, au bout de dix ans, j'ai une pensée émue pour les anciens. Et notamment pour toi, parce que je n'ose même pas imaginer ce que tu as vécu. Parce que, bon, à l'OM, tu faisais un peu ce que tu voulais, tu choisissais même tes partenaires. C'était une légende ?
J.-P.P. Non. Franchement. Le seul joueur que j'ai conseillé à Bernard, c'est Basile. Il m'avait demandé : "Quel est le stoppeur qui t'a posé le plus de problèmes ?" "Basile Boli. Si tu le prends, tu fais une très très bonne affaire." Et j'ai remarqué en revoyant des images que chaque fois que je marquais un but, le premier qui arrivait pour m'embrasser, me féliciter, c'était Basile.
E.D.M. On a même dit que tu avais fait virer Francescoli et Ivic..
J.-P.P. Non, non. Enzo, j'ai été le premier déçu qu'il parte ! Ivic, un jour, il fait jouer Chris arrière gauche. À la mi-temps, le Boss descend et dit à Tomislav : "Bon, toi, maintenant tu vas prendre des vacances." Le lendemain, il était viré. Il n'avait pas eu besoin de me consulter.
E.D.M. Moi, la seule fois que je l'ai eu au téléphone, c'était quand tu avais eu des soucis personnels et il m'avait demandé de te sortir un peu, parce que j'étais marseillais, je connaissais le coin... Il m'a rappelé après pour me remercier. S'il avait su les bêtises qu'on a faites ensemble, à Saint-Tropez par exemple. Donc, moi, j'entendais les légendes sur Jean-Pierre qui fait virer les mecs...
J.-P.P. Eh bien non, Jean-Pierre n'en avait rien à foutre de faire virer les mecs...
E.D.M. C'est vrai qu'il (Bernard Tapie) n'avait besoin de personne pour virer quelqu'un. Moi-même, je l'ai échappé belle. Après Bari, il voulait dégager tout le monde. Me retrouver deux ans après avec Basile et Abédi encore à Munich, c'est un miracle.
J.-P.P. À l'hôtel, Il nous avait dit : "Tous ceux qui veulent partir, peuvent partir". Dans l'avion, il est allé faire une conférence de presse, à l'avant, puis, il est revenu vers nous et tout le monde se détournait quand il passait dans l'allée. Il s'est rendu compte du gros malaise et au Vélodrome, il nous a gardés trois heures dans le vestiaire pour nous prendre un par un et nous dire à tous qu'il voulait nous garder.
E.D.M. et J.-P.P. C'est bon là, on vous a tout dit ?
La Provence