Information
Jorge Sampaoli revient sur son aventure à l'OM : « Je voulais viser plus haut »
L'entraîneur argentin a raconté son aventure à l'OM, entre mars 2021 et juillet 2022, sa vision du métier et ses aspirations.
Sa parole est rare. Depuis son départ de l'OM, Jorge Sampaoli n'avait pas pris le temps de s'épancher sur ses seize mois en Provence et la fin de cette aventure intense. Libre depuis son départ de Flamengo, fin septembre, l'Argentin de 63 ans « profite de la famille » et occupe ses journées avec « beaucoup de cinéma », mais, évidemment, aussi « beaucoup de football ».
« J'analyse trois matches par jour, en moyenne, et j'essaye de voir aussi des rencontres en direct, confie le vice-champion de France 2022. Je me concentre sur les équipes qui dégagent une vraie valeur collective sans avoir forcément de grands noms, comme Brighton ou Gérone. » Il a tout de même trouvé un peu de temps pour L'Équipe. Installé sur le canapé de sa maison familiale, à Rio de Janeiro, le technicien argentin a branché son Ipad et a papoté pendant une heure, via Zoom.
Que saviez-vous de l'OM avant de vous y engager ?
J'avais vu beaucoup de matches de l'époque de Marcelo Bielsa (2014-2015), chaque dimanche. Le stade était en fusion, on sentait les émotions folles. Et pouvoir moi aussi vivre ces émotions a été très beau, je me suis retrouvé au milieu de ce superbe "Colisée".
Vous n'avez pas eu de doutes ?
Non, j'ai pris ma clause (de sortie) au Brésil (il était précédemment à l'Atlético Mineiro). Je voulais vivre cette expérience. Aussi parce que le foot français est réputé pour la qualité individuelle des joueurs, des profils très rapides, et beaucoup de transitions. Il me fallait donc éduquer une équipe qui joue d'une certaine manière, disons positionnelle, afin qu'elle arrive aussi à contrôler ces transitions qui sont fatales. En France, n'importe quelle équipe se projette à une vitesse folle, tu peux perdre un match sur un seul geste. C'était un défi pour ma carrière, ce Championnat de vertige, de vitesse, partout.
Des aspects du foot français vous ont-ils surpris ?
Oui, c'est vraiment un très bon Championnat. Pablo Longoria m'a permis de construire une équipe avec des profils qui nous permettaient de progresser et de gagner. Il a écouté mes souhaits, nous avions Dimitri Payet, Valentin Rongier, Mattéo Guendouzi, ou encore William Saliba et Boubacar Kamara qui marchent très bien en Angleterre. Une défense très homogène aussi, tout le monde voulait relancer, jusqu'au gardien Pau Lopez, choisi pour cela. C'était un beau processus, parce que nous avions choisi les bons footballeurs pour cela.
Que pensez-vous du niveau du Championnat comparé à la Liga que vous connaissiez déjà ?
Deux Championnats différents, mais la Ligue 1 me paraît plus excitante aujourd'hui. Quand j'y étais, il y avait Lionel Messi, Neymar, Kylian Mbappé au PSG, Lucas Paqueta à Lyon, des joueurs de très haut niveau et de belles équipes, comme Rennes ou Lens. Quand je suis arrivé à Séville en 2017, nous avions pris des joueurs français comme Wissam Ben Yedder, Clément Lenglet, car ils ont le talent, la qualité. Les Français peuvent s'imposer partout.
Certains entraîneurs pensent que les joueurs français ont du talent mais ne travaillent pas assez.
Je n'ai pas vécu cela, non. Après, le mot "travailler"... Moi, je les préparais à jouer ensemble et à gagner ensemble le week-end, et la vérité est qu'ils étaient très souvent au club avec le staff et moi. Il y avait de vrais leaders dans le groupe, Payet, Guendouzi, Rongier, des gens qui stimulent les autres. Nous avons passé beaucoup de temps à réfléchir, à voir comment nous allions pouvoir attaquer le camp adverse de différentes façons, depuis différents endroits.
Comment se passait la cohabitation avec Pablo Longoria ?
Très bien. Et avec tout le club, tous les gens qui y travaillaient. Moi j'arrive, entraîneur argentin à Marseille, mais j'ai senti que chacun voulait que je me sente bien, que je réussisse. Une ambiance très familiale au quotidien, avec tout le monde, les intendants, les secrétaires, tous ces gens si précieux.
Pourquoi êtes-vous parti alors ?
En mars 2021, je suis arrivé au club dans un climat de crise, avec La Commanderie incendiée (en janvier), un entraîneur parti (André Villas-Boas), une onzième place en Championnat. Nous avons fait le premier pas, nous avons qualifié l'OM en Ligue Europa, puis nous avons terminé vice-champions derrière Paris. Pour moi, le projet d'après devait être beaucoup plus ambitieux. Je voulais que Marseille gagne le Championnat.
Est-il vrai que vous vouliez Antoine Griezmann ou Renato Sanches, des joueurs hors budget ?
Non, non, ce sont des noms... Évidemment que ces noms font envie, mais non. Moi, je disais seulement que, vu le niveau d'exigence du public de l'OM, il fallait être à la hauteur. Je ne voulais pas retrouver le banc pour être à nouveau le vice-champion du PSG, mon niveau de motivation n'est pas celui-là. Jouer pour être deuxième, cela me frustre, et c'est peut-être inaccessible, mais je voulais viser plus haut. Je veux gagner une Coupe d'Europe, gagner des titres. L'OM a changé de directeur sportif (Javier Ribalta est arrivé en juin 2022), et là j'ai compris que ce serait très difficile, que ce n'était plus le même projet. Et comme j'avais beaucoup d'affection et de reconnaissance pour le club, le président, le propriétaire aussi, j'ai préféré partir. Je me connais, je suis un obsessionnel et j'aurais été davantage frustré qu'heureux.
Donc vous ne regrettez pas être parti ?
Non, je regrette simplement de ne pas avoir réussi à convaincre le propriétaire, ou Pablo, de faire un pas un avant.
C'est difficile avec ce PSG, qui a tellement de moyens...
Ce n'est pas seulement une question d'argent. Quand nous avons construit l'équipe avec Longoria, il y avait plein de difficultés aussi, mais le résultat a été un groupe compétitif. Il fallait continuer avec cette créativité mais en faisant un pas de plus. C'est ce que j'espérais. Mais je savais que cela coûterait, et quand j'ai vu le nouveau directeur sportif qui préférait un autre type de joueurs... Je ne voulais pas de conflit et j'ai dit : ''Merci pour tout, mais je préfère m'en aller.''
Qu'avez-vous gardé de Marseille ?
Tout, j'ai gardé tellement de choses... Des amis qui sont venus me voir à Séville et même au Brésil. Des gens qui suivent ma carrière, qui se souviennent de moi et dont je me souviendrai aussi.
Quel est votre match le plus abouti avec l'OM ?
Le derby contre Nice au Vélodrome (en mars 2022), on jouait contre une équipe de Galtier qui avait une excellente organisation dans son pressing, surtout sur les joueurs de côtés. Nous avions travaillé un plan de jeu, tout à l'intérieur, pour que le ballon n'arrive jamais aux latéraux, ce qui leur a beaucoup compliqué le pressing. Et nous étions contents, parce que les joueurs avaient très bien compris ce qu'il fallait faire. Rongier était latéral, mais à l'intérieur. Ils ne pouvaient nous presser parce qu'il n'y avait personne sur les côtés. Je me souviens toujours de ce match parce qu'il fallait convaincre nos joueurs, culturellement habitués à d'autres zones du terrain. Rongier est un joueur si intelligent... il pouvait jouer n'importe où avec énormément de naturel.
Et le match le plus frustrant ?
Feyenoord, en demi-finale retour de Ligue Europa Conférence (0-0, aller 2-3). Nous étions convaincus que nous pouvions gagner cette compétition. En Europe, nous avions fait de gros matches, chez la Lazio notamment. Mais Feyenoord... Payet s'est blessé rapidement, nous avons perdu notre meneur et le fil du match. Personne ne pouvait remplacer Dimitri. Un jour très triste.
En septembre 2021, il y a aussi eu une belle semaine, avec la séquence Monaco-Moscou-Rennes. Des matches où l'on a vu votre football aussi, non ?
Oui, trois matches presque parfaits. Le groupe était prêt, il n'avait pas peur. Les joueurs faisaient des erreurs, cela arrive, mais ils ont joué. Notre gardien terminait avec 90 ballons touchés, comme celui de City. Quand tu construis, le gardien est fondamental. Pas pour sa technique mais pour sa compréhension. Voir le joueur libre, le bon tempo. Lopez et même Mandanda ont été très importants pour nous. Steve voyait très bien où il fallait jouer.
Avec quels joueurs êtes-vous resté en contact ?
Avec Matteo, avec Dim. Quand il a signé ici à Vasco, il m'a contacté. Je lui ai dit de faire attention parce que ce n'était pas un football pour lui, parce qu'il y a beaucoup de voyages, parce que cela demande beaucoup d'énergie, c'est un championnat très suivi. Il allait arriver dans un endroit où le niveau d'exigence serait très élevé, et le niveau d'intensité presque excessif. Mais il est venu, il est motivé, et il est heureux ici. Cela me fait plaisir pour lui.
Comment vous définiriez-vous comme entraîneur ?
Je suis passionné, je me fie à mon ressenti, je suis assez obsessif du jeu et je m'entoure des gens qui partagent cette façon de faire. Je sais clairement comment construire ou reconstruire une équipe, une équipe tranquille, haute sur le terrain. Quand j'ai un club, je peux dire au directeur sportif : voilà les profils qui me plaisent. Cela me permet de gagner du temps, c'est important de travailler avec des gens que tu as choisis.
Vous êtes un vrai meneur d'hommes : est-ce le plus important, cette énergie à transmettre, plutôt que la tactique en elle-même ?
Je viens de voir le film Napoléon. Un bon exemple. La tactique de cet homme était très claire, mais c'est la façon de transmettre cette tactique aux hommes sur le terrain qui était décisive. Quand il faut élever la voix ou baisser la voix, parler individuellement à tel ou tel joueur. C'est la stratégie d'un entraîneur qui fait que tout s'harmonise. Et je ne vois pas assez d'harmonie dans le foot actuel, je vois trop d'intérêts individuels. Je vois l'hystérie des gens plus que l'harmonie. Comme entraîneur, on doit lutter contre cela.
Vous passez vos matches à marcher en long et en large devant votre banc. Le match, est-ce un plaisir ou une souffrance ?
Ce n'est pas un plaisir. Je suis tellement exigeant avec moi et avec les autres que je ne suis jamais tranquille, je suis toujours en train de penser à ce qui pourrait se passer, et qu'est-ce que je ferais, tout le temps.
Vous êtes un disciple autoproclamé de Bielsa. Mais à l'OM, vous sembliez moins dogmatique...
Oui, vrai. J'ai toujours admiré tout ce qu'a fait Bielsa. Il donne toujours la priorité à la surface adverse plutôt qu'à la sienne. Mais l'excès de verticalité te donne un football où on se rend coup pour coup. J'essaye de contrôler davantage les matches, avec un jeu de position. Qui n'est pas un jeu de possession, d'ailleurs, les gens font souvent l'erreur, c'est un jeu de position. Je veux que mes joueurs sachent où ils sont positionnés, et que les autres courent, mais pas moi. Et ensuite, quand on arrive à un certain endroit, on attaque la dernière ligne adverse très rapidement, avec le moins de touches possibles, pour trouver l'ouverture grâce à la vitesse. C'est pour cela que je me suis approché de personnes comme Juanma Lillo.
Cela vous attriste de voir que le résultat est devenu tellement important qu'on donne moins de temps à des projets plus offensifs et risqués ?
Ce qui me dérange c'est que quand on n'arrive pas à gagner, pour un tas de raisons que ne contrôle pas un entraîneur, on abandonne son idée, comme si elle n'était pas valable, plutôt que d'insister. Très facilement, on dit « cela ne marche pas, on fait autrement », mais avec d'autres qualités, d'autres joueurs, d'autres priorités. Et du coup la position de l'entraîneur est dépréciée. Je ne l'accepte pas et j'essaie de lutter contre ça.
Quand avez-vous compris que vous pourriez devenir entraîneur, vous qui venez d'un monde très différent ?
Nous, les Argentins, sommes très croyants, et je n'ai pas cessé d'essayer. J'ai toujours cru en ce chemin, en ce rêve. C'était mon projet de vie, diriger la sélection argentine, connaître des expériences en Europe.
Votre Chili jouait avec Valdivia, à l'OM vous avez ressuscité Payet. C'est important, pour votre football, des joueurs à part, comme eux ?
Ils jouent avec leurs yeux plutôt qu'avec leurs pieds. Ils ont tout clairement dans la tête. Payet, tu ne lui dis pas de redescendre. Il est là près de la surface adverse et il attend le ballon. Parce que parfois, il voulait décrocher pour jouer, descendait trop bas, et il n'avait plus les choses clairement en tête. Alors que non, ce n'est pas Payet qui doit venir à toi, c'est toi qui dois venir à lui. Quand tu arrives à Payet, quand il se tourne et regarde la surface, tu sais qu'il va se passer quelque chose, toujours.
Ces joueurs-là, dans le foot moderne, sont un peu menacés, parce qu'il faut courir...
Ce n'est pas un problème de ne pas courir si tu as le contrôle du ballon. Si tu n'as pas le contrôle, ce n'est pas logique d'avoir ces joueurs-là, non. Dans mon projet de jeu, Payet est très intéressant. Il a décidé beaucoup de matches depuis cette position. Le talent, on ne doit pas essayer de le structurer, de le limiter, le talent... c'est du talent ! Tu le laisses s'exprimer. Il faut leur laisser la liberté, mais en sachant bien quelle position ils doivent occuper. Parce que tu ne vas pas demander à Payet de courir 70 mètres dans un sens puis 70 dans l'autre. Ce serait stupide.
La dernière étape
Après avoir quitté son poste à Flamengo, fin septembre 2023, Jorge Sampaoli tente de se détendre du côté de Rio de Janeiro, où ses enfants sont scolarisés. Il lit « toujours de la philosophie, la République de Platon en ce moment », et écoute les morceaux du groupe de rock argentin Don Osvaldo, qu'il a vu récemment en concert à Buenos Aires. Il regarde aussi des films français, lui qui adore les actrices « Adèle (Exarchopoulos) ou Juliette Binoche », qu'il prononce drôlement « Binoché». « J'essayerai d'aller au festival de Cannes cette année », glisse l'amoureux du 7e art. Il vient aussi d'entamer un nouveau tatouage, « derrière l'épaule, au niveau du dos : un dessin de mon cheminement de vie. »
Et il a une idée précise de la suite de sa frénétique existence : « Je n'aime pas ce qu'est devenu le foot, mais j'aime entraîner, toujours. J'ai toujours dit que ma vie était faite de différentes étapes. La première : devenir un entraîneur de première division. Ensuite, diriger l'équipe nationale, puis participer à une Coupe du monde. Désormais, je veux provoquer des changements. Dans cette dernière étape de ma carrière, je veux lutter pour que les joueurs profitent de ce jeu, les développer, qu'ils ne soient pas limités dans leur créativité, qu'ils ne souffrent pas du contexte, ne se laissent pas submerger. Il faut trouver le plaisir, le bonheur du joueur au-delà de la pression, et accepter les erreurs aussi. Si tu ne veux jamais commettre d'erreur, tu ne prends aucun risque, et tu ne prends donc aucun plaisir. »
Le jeune homme d'autrefois bercé par les dribbles de Diego Maradona et foudroyé par la prestance de Johan Cruyff (« un joueur différent et fascinant pour sa compréhension du jeu, plus encore que sa technique ») a été approché par certains clubs, notamment l'Ajax Amsterdam. Discret à ce sujet, il évoque « un club avec une histoire à part, dans une situation plus complexe que le passé, et qui compte beaucoup de jeunes joueurs dans l'effectif. Donc c'était quelque chose qui me plaisait, de pouvoir faire progresser des jeunes dans cette situation particulière. Nous avons beaucoup étudié ce projet. Et c'est un championnat qui me plaît. » Avec l'OL aussi, des contacts ont été noués, « mais ce n'était pas le bon moment » pour celui qui « espère reprendre un projet de zéro ». « Ce n'est pas moi qui choisis ! », sourit-il quand on évoque un prochain port d'attache. Ni assagi, ni repu, le fantasque Sampaoli est aussi rationnel. Un équilibre délicat, comme son jeu de position.
L'entraîneur argentin a raconté son aventure à l'OM, entre mars 2021 et juillet 2022, sa vision du métier et ses aspirations.
Sa parole est rare. Depuis son départ de l'OM, Jorge Sampaoli n'avait pas pris le temps de s'épancher sur ses seize mois en Provence et la fin de cette aventure intense. Libre depuis son départ de Flamengo, fin septembre, l'Argentin de 63 ans « profite de la famille » et occupe ses journées avec « beaucoup de cinéma », mais, évidemment, aussi « beaucoup de football ».
« J'analyse trois matches par jour, en moyenne, et j'essaye de voir aussi des rencontres en direct, confie le vice-champion de France 2022. Je me concentre sur les équipes qui dégagent une vraie valeur collective sans avoir forcément de grands noms, comme Brighton ou Gérone. » Il a tout de même trouvé un peu de temps pour L'Équipe. Installé sur le canapé de sa maison familiale, à Rio de Janeiro, le technicien argentin a branché son Ipad et a papoté pendant une heure, via Zoom.
Que saviez-vous de l'OM avant de vous y engager ?
J'avais vu beaucoup de matches de l'époque de Marcelo Bielsa (2014-2015), chaque dimanche. Le stade était en fusion, on sentait les émotions folles. Et pouvoir moi aussi vivre ces émotions a été très beau, je me suis retrouvé au milieu de ce superbe "Colisée".
Vous n'avez pas eu de doutes ?
Non, j'ai pris ma clause (de sortie) au Brésil (il était précédemment à l'Atlético Mineiro). Je voulais vivre cette expérience. Aussi parce que le foot français est réputé pour la qualité individuelle des joueurs, des profils très rapides, et beaucoup de transitions. Il me fallait donc éduquer une équipe qui joue d'une certaine manière, disons positionnelle, afin qu'elle arrive aussi à contrôler ces transitions qui sont fatales. En France, n'importe quelle équipe se projette à une vitesse folle, tu peux perdre un match sur un seul geste. C'était un défi pour ma carrière, ce Championnat de vertige, de vitesse, partout.
Des aspects du foot français vous ont-ils surpris ?
Oui, c'est vraiment un très bon Championnat. Pablo Longoria m'a permis de construire une équipe avec des profils qui nous permettaient de progresser et de gagner. Il a écouté mes souhaits, nous avions Dimitri Payet, Valentin Rongier, Mattéo Guendouzi, ou encore William Saliba et Boubacar Kamara qui marchent très bien en Angleterre. Une défense très homogène aussi, tout le monde voulait relancer, jusqu'au gardien Pau Lopez, choisi pour cela. C'était un beau processus, parce que nous avions choisi les bons footballeurs pour cela.
Que pensez-vous du niveau du Championnat comparé à la Liga que vous connaissiez déjà ?
Deux Championnats différents, mais la Ligue 1 me paraît plus excitante aujourd'hui. Quand j'y étais, il y avait Lionel Messi, Neymar, Kylian Mbappé au PSG, Lucas Paqueta à Lyon, des joueurs de très haut niveau et de belles équipes, comme Rennes ou Lens. Quand je suis arrivé à Séville en 2017, nous avions pris des joueurs français comme Wissam Ben Yedder, Clément Lenglet, car ils ont le talent, la qualité. Les Français peuvent s'imposer partout.
Certains entraîneurs pensent que les joueurs français ont du talent mais ne travaillent pas assez.
Je n'ai pas vécu cela, non. Après, le mot "travailler"... Moi, je les préparais à jouer ensemble et à gagner ensemble le week-end, et la vérité est qu'ils étaient très souvent au club avec le staff et moi. Il y avait de vrais leaders dans le groupe, Payet, Guendouzi, Rongier, des gens qui stimulent les autres. Nous avons passé beaucoup de temps à réfléchir, à voir comment nous allions pouvoir attaquer le camp adverse de différentes façons, depuis différents endroits.
Comment se passait la cohabitation avec Pablo Longoria ?
Très bien. Et avec tout le club, tous les gens qui y travaillaient. Moi j'arrive, entraîneur argentin à Marseille, mais j'ai senti que chacun voulait que je me sente bien, que je réussisse. Une ambiance très familiale au quotidien, avec tout le monde, les intendants, les secrétaires, tous ces gens si précieux.
Pourquoi êtes-vous parti alors ?
En mars 2021, je suis arrivé au club dans un climat de crise, avec La Commanderie incendiée (en janvier), un entraîneur parti (André Villas-Boas), une onzième place en Championnat. Nous avons fait le premier pas, nous avons qualifié l'OM en Ligue Europa, puis nous avons terminé vice-champions derrière Paris. Pour moi, le projet d'après devait être beaucoup plus ambitieux. Je voulais que Marseille gagne le Championnat.
Est-il vrai que vous vouliez Antoine Griezmann ou Renato Sanches, des joueurs hors budget ?
Non, non, ce sont des noms... Évidemment que ces noms font envie, mais non. Moi, je disais seulement que, vu le niveau d'exigence du public de l'OM, il fallait être à la hauteur. Je ne voulais pas retrouver le banc pour être à nouveau le vice-champion du PSG, mon niveau de motivation n'est pas celui-là. Jouer pour être deuxième, cela me frustre, et c'est peut-être inaccessible, mais je voulais viser plus haut. Je veux gagner une Coupe d'Europe, gagner des titres. L'OM a changé de directeur sportif (Javier Ribalta est arrivé en juin 2022), et là j'ai compris que ce serait très difficile, que ce n'était plus le même projet. Et comme j'avais beaucoup d'affection et de reconnaissance pour le club, le président, le propriétaire aussi, j'ai préféré partir. Je me connais, je suis un obsessionnel et j'aurais été davantage frustré qu'heureux.
Donc vous ne regrettez pas être parti ?
Non, je regrette simplement de ne pas avoir réussi à convaincre le propriétaire, ou Pablo, de faire un pas un avant.
C'est difficile avec ce PSG, qui a tellement de moyens...
Ce n'est pas seulement une question d'argent. Quand nous avons construit l'équipe avec Longoria, il y avait plein de difficultés aussi, mais le résultat a été un groupe compétitif. Il fallait continuer avec cette créativité mais en faisant un pas de plus. C'est ce que j'espérais. Mais je savais que cela coûterait, et quand j'ai vu le nouveau directeur sportif qui préférait un autre type de joueurs... Je ne voulais pas de conflit et j'ai dit : ''Merci pour tout, mais je préfère m'en aller.''
Qu'avez-vous gardé de Marseille ?
Tout, j'ai gardé tellement de choses... Des amis qui sont venus me voir à Séville et même au Brésil. Des gens qui suivent ma carrière, qui se souviennent de moi et dont je me souviendrai aussi.
Quel est votre match le plus abouti avec l'OM ?
Le derby contre Nice au Vélodrome (en mars 2022), on jouait contre une équipe de Galtier qui avait une excellente organisation dans son pressing, surtout sur les joueurs de côtés. Nous avions travaillé un plan de jeu, tout à l'intérieur, pour que le ballon n'arrive jamais aux latéraux, ce qui leur a beaucoup compliqué le pressing. Et nous étions contents, parce que les joueurs avaient très bien compris ce qu'il fallait faire. Rongier était latéral, mais à l'intérieur. Ils ne pouvaient nous presser parce qu'il n'y avait personne sur les côtés. Je me souviens toujours de ce match parce qu'il fallait convaincre nos joueurs, culturellement habitués à d'autres zones du terrain. Rongier est un joueur si intelligent... il pouvait jouer n'importe où avec énormément de naturel.
Et le match le plus frustrant ?
Feyenoord, en demi-finale retour de Ligue Europa Conférence (0-0, aller 2-3). Nous étions convaincus que nous pouvions gagner cette compétition. En Europe, nous avions fait de gros matches, chez la Lazio notamment. Mais Feyenoord... Payet s'est blessé rapidement, nous avons perdu notre meneur et le fil du match. Personne ne pouvait remplacer Dimitri. Un jour très triste.
En septembre 2021, il y a aussi eu une belle semaine, avec la séquence Monaco-Moscou-Rennes. Des matches où l'on a vu votre football aussi, non ?
Oui, trois matches presque parfaits. Le groupe était prêt, il n'avait pas peur. Les joueurs faisaient des erreurs, cela arrive, mais ils ont joué. Notre gardien terminait avec 90 ballons touchés, comme celui de City. Quand tu construis, le gardien est fondamental. Pas pour sa technique mais pour sa compréhension. Voir le joueur libre, le bon tempo. Lopez et même Mandanda ont été très importants pour nous. Steve voyait très bien où il fallait jouer.
Avec quels joueurs êtes-vous resté en contact ?
Avec Matteo, avec Dim. Quand il a signé ici à Vasco, il m'a contacté. Je lui ai dit de faire attention parce que ce n'était pas un football pour lui, parce qu'il y a beaucoup de voyages, parce que cela demande beaucoup d'énergie, c'est un championnat très suivi. Il allait arriver dans un endroit où le niveau d'exigence serait très élevé, et le niveau d'intensité presque excessif. Mais il est venu, il est motivé, et il est heureux ici. Cela me fait plaisir pour lui.
Comment vous définiriez-vous comme entraîneur ?
Je suis passionné, je me fie à mon ressenti, je suis assez obsessif du jeu et je m'entoure des gens qui partagent cette façon de faire. Je sais clairement comment construire ou reconstruire une équipe, une équipe tranquille, haute sur le terrain. Quand j'ai un club, je peux dire au directeur sportif : voilà les profils qui me plaisent. Cela me permet de gagner du temps, c'est important de travailler avec des gens que tu as choisis.
Vous êtes un vrai meneur d'hommes : est-ce le plus important, cette énergie à transmettre, plutôt que la tactique en elle-même ?
Je viens de voir le film Napoléon. Un bon exemple. La tactique de cet homme était très claire, mais c'est la façon de transmettre cette tactique aux hommes sur le terrain qui était décisive. Quand il faut élever la voix ou baisser la voix, parler individuellement à tel ou tel joueur. C'est la stratégie d'un entraîneur qui fait que tout s'harmonise. Et je ne vois pas assez d'harmonie dans le foot actuel, je vois trop d'intérêts individuels. Je vois l'hystérie des gens plus que l'harmonie. Comme entraîneur, on doit lutter contre cela.
Vous passez vos matches à marcher en long et en large devant votre banc. Le match, est-ce un plaisir ou une souffrance ?
Ce n'est pas un plaisir. Je suis tellement exigeant avec moi et avec les autres que je ne suis jamais tranquille, je suis toujours en train de penser à ce qui pourrait se passer, et qu'est-ce que je ferais, tout le temps.
Vous êtes un disciple autoproclamé de Bielsa. Mais à l'OM, vous sembliez moins dogmatique...
Oui, vrai. J'ai toujours admiré tout ce qu'a fait Bielsa. Il donne toujours la priorité à la surface adverse plutôt qu'à la sienne. Mais l'excès de verticalité te donne un football où on se rend coup pour coup. J'essaye de contrôler davantage les matches, avec un jeu de position. Qui n'est pas un jeu de possession, d'ailleurs, les gens font souvent l'erreur, c'est un jeu de position. Je veux que mes joueurs sachent où ils sont positionnés, et que les autres courent, mais pas moi. Et ensuite, quand on arrive à un certain endroit, on attaque la dernière ligne adverse très rapidement, avec le moins de touches possibles, pour trouver l'ouverture grâce à la vitesse. C'est pour cela que je me suis approché de personnes comme Juanma Lillo.
Cela vous attriste de voir que le résultat est devenu tellement important qu'on donne moins de temps à des projets plus offensifs et risqués ?
Ce qui me dérange c'est que quand on n'arrive pas à gagner, pour un tas de raisons que ne contrôle pas un entraîneur, on abandonne son idée, comme si elle n'était pas valable, plutôt que d'insister. Très facilement, on dit « cela ne marche pas, on fait autrement », mais avec d'autres qualités, d'autres joueurs, d'autres priorités. Et du coup la position de l'entraîneur est dépréciée. Je ne l'accepte pas et j'essaie de lutter contre ça.
Quand avez-vous compris que vous pourriez devenir entraîneur, vous qui venez d'un monde très différent ?
Nous, les Argentins, sommes très croyants, et je n'ai pas cessé d'essayer. J'ai toujours cru en ce chemin, en ce rêve. C'était mon projet de vie, diriger la sélection argentine, connaître des expériences en Europe.
Votre Chili jouait avec Valdivia, à l'OM vous avez ressuscité Payet. C'est important, pour votre football, des joueurs à part, comme eux ?
Ils jouent avec leurs yeux plutôt qu'avec leurs pieds. Ils ont tout clairement dans la tête. Payet, tu ne lui dis pas de redescendre. Il est là près de la surface adverse et il attend le ballon. Parce que parfois, il voulait décrocher pour jouer, descendait trop bas, et il n'avait plus les choses clairement en tête. Alors que non, ce n'est pas Payet qui doit venir à toi, c'est toi qui dois venir à lui. Quand tu arrives à Payet, quand il se tourne et regarde la surface, tu sais qu'il va se passer quelque chose, toujours.
Ces joueurs-là, dans le foot moderne, sont un peu menacés, parce qu'il faut courir...
Ce n'est pas un problème de ne pas courir si tu as le contrôle du ballon. Si tu n'as pas le contrôle, ce n'est pas logique d'avoir ces joueurs-là, non. Dans mon projet de jeu, Payet est très intéressant. Il a décidé beaucoup de matches depuis cette position. Le talent, on ne doit pas essayer de le structurer, de le limiter, le talent... c'est du talent ! Tu le laisses s'exprimer. Il faut leur laisser la liberté, mais en sachant bien quelle position ils doivent occuper. Parce que tu ne vas pas demander à Payet de courir 70 mètres dans un sens puis 70 dans l'autre. Ce serait stupide.
La dernière étape
Après avoir quitté son poste à Flamengo, fin septembre 2023, Jorge Sampaoli tente de se détendre du côté de Rio de Janeiro, où ses enfants sont scolarisés. Il lit « toujours de la philosophie, la République de Platon en ce moment », et écoute les morceaux du groupe de rock argentin Don Osvaldo, qu'il a vu récemment en concert à Buenos Aires. Il regarde aussi des films français, lui qui adore les actrices « Adèle (Exarchopoulos) ou Juliette Binoche », qu'il prononce drôlement « Binoché». « J'essayerai d'aller au festival de Cannes cette année », glisse l'amoureux du 7e art. Il vient aussi d'entamer un nouveau tatouage, « derrière l'épaule, au niveau du dos : un dessin de mon cheminement de vie. »
Et il a une idée précise de la suite de sa frénétique existence : « Je n'aime pas ce qu'est devenu le foot, mais j'aime entraîner, toujours. J'ai toujours dit que ma vie était faite de différentes étapes. La première : devenir un entraîneur de première division. Ensuite, diriger l'équipe nationale, puis participer à une Coupe du monde. Désormais, je veux provoquer des changements. Dans cette dernière étape de ma carrière, je veux lutter pour que les joueurs profitent de ce jeu, les développer, qu'ils ne soient pas limités dans leur créativité, qu'ils ne souffrent pas du contexte, ne se laissent pas submerger. Il faut trouver le plaisir, le bonheur du joueur au-delà de la pression, et accepter les erreurs aussi. Si tu ne veux jamais commettre d'erreur, tu ne prends aucun risque, et tu ne prends donc aucun plaisir. »
Le jeune homme d'autrefois bercé par les dribbles de Diego Maradona et foudroyé par la prestance de Johan Cruyff (« un joueur différent et fascinant pour sa compréhension du jeu, plus encore que sa technique ») a été approché par certains clubs, notamment l'Ajax Amsterdam. Discret à ce sujet, il évoque « un club avec une histoire à part, dans une situation plus complexe que le passé, et qui compte beaucoup de jeunes joueurs dans l'effectif. Donc c'était quelque chose qui me plaisait, de pouvoir faire progresser des jeunes dans cette situation particulière. Nous avons beaucoup étudié ce projet. Et c'est un championnat qui me plaît. » Avec l'OL aussi, des contacts ont été noués, « mais ce n'était pas le bon moment » pour celui qui « espère reprendre un projet de zéro ». « Ce n'est pas moi qui choisis ! », sourit-il quand on évoque un prochain port d'attache. Ni assagi, ni repu, le fantasque Sampaoli est aussi rationnel. Un équilibre délicat, comme son jeu de position.
https://www.lequipe.fr/Football/Article ... ut/1444211