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INTERVIEW; "Nous nous battons pour vivre libres"; Ruslan Malinovskyi s'est confié à "La Provence" pour son premier entretien depuis qu'il s'est engagé à l'OM . Il a notamment évoqué son enfance, son arrivée à Marseille, ainsi que la guerre en Ukraine
Comment se déroule votre adaptation à un nouveau vestiaire, une nouvelle ville et un nouveau pays ?
(Sourire) Ce n'est pas facile de changer de pays, tout est différent. Je parle avec tout le monde, je demande des conseils... Mais j'ai vu tout de suite que l'équipe est forte, ambitieuse. On veut retourner en Ligue des champions et gagner quelque chose. Pour cela, il faut tout donner et travailler tous les jours.
Par le passé, tous vos entraîneurs ont dit de vous que vous progressiez à chaque étape de votre carrière. Que pensez-vous apprendre à l'OM et en particulier sous la direction d'Igor Tudor ?
Dans chaque équipe, à Genk et à l'Atalanta, j'ai fait un pas en avant, et je pense que j'ai aussi passé un palier en arrivant dans ce grand club qui a une grande histoire et des supporters merveilleux. Chaque année j'ai appris quelque chose, et là, j'ai découvert un mister et des méthodes qui sont similaires sur plusieurs points à ce que j'ai connu, mais aussi complètement différents. Je pense que dans la vie on doit avoir confiance. Si quelqu'un te donne une information, il faut la prendre et tenter de le suivre. C'est important d'essayer. Je dois encore apprendre des choses, essayer de les appliquer sur le terrain pour aider l'équipe et faire ce que font tous les autres joueurs ici. Tactiquement, dans cette équipe, les onze joueurs doivent maîtriser ce qu'ils ont à faire.
Et vous, avez-vous déjà intégré et digéré ce que vous deviez faire dans le système de l'OM ?
Comme je l'ai dit, le football ici n'est pas totalement différent de ce que j'ai connu à Bergame. Notre style de jeu me plaît, c'est aussi l'une des raisons de ma venue. On pratique un football dynamique, fait de pressing, le ballon voyage, l'équipe attaque en permanence. C'est toujours agaçant pour les adversaires d'affronter une formation forte physiquement, qui attaque, défend en pressant. Ce n'est pas bien pour eux (rire) !
Vous jouez dans le même système qu'à Bergame. Est-ce que Tudor et Gian Piero Gasperini se ressemblent ?
Ils n'ont rien à voir ! (Sourire) Il y a le foot intense, avec un gros pressing, avec le ballon qui bouge très vite de la défense à l'attaque, mais en dehors de ça, ils sont très différents.
Vous avez beaucoup moins joué lors de la première partie de saison que les années précédentes. Pourquoi ?
Je suis beaucoup entré en jeu mais j'ai peu été titulaire. Ils ont acheté deux attaquants (Ademola Lookman et Rasmus Hojlund), le mister a un peu changé notre façon de jouer vers plus de profondeur et de vitesse, donc j'ai moins joué mais c'était clair dès le début.
Comment jugez-vous la qualité de l'effectif ?
Le niveau est haut. Techniquement, il n'y a que des bons joueurs. À l'entraînement, tu n'as pas vraiment le choix : il faut perdre le moins de ballons possible. Il y a un bel enthousiasme dans le vestiaire, c'est bien. On travaille tous pour jouer. De nombreux garçons m'ont aidé depuis mon arrivée, notamment ceux contre qui j'ai déjà joué en Italie (Pau Lopez, Cengiz Ünder, Jordan Vérétout et Alexis Sanchez ont évolué en même temps que lui en Serie A). Il y a beaucoup de gars sympas !
Avez-vous été impressionné par certains d'entre eux ?
Je connaissais déjà Dimitri (Payet) avant de signer à l'OM, il a de grandes qualités. Mais surtout, Valentin Rongier. La première fois que je l'ai vu à l'entraînement, j'ai découvert un joueur d'équilibre, avec une intelligence spéciale. Ce genre de footballeurs me plaît beaucoup. Alexis (Sanchez) aussi, qui a 34 ans. Pas tout le monde n'a cette mentalité. Je pense qu'on est tous contents de l'avoir avec nous, mais ce n'est pas le seul : il y a aussi Matteo (Guendouzi). Il est encore jeune, mais cette grinta, cette volonté de toujours pousser, cette façon d'être toujours énervé quand on prend un but... C'est impressionnant.
Avez-vous le même caractère que Guendouzi ?
Ça dépend. Je reste concentré sur le match. Je n'ai fait qu'un mois ici, je ne suis pas encore habitué, mais je parle à mes équipiers. Je dois encore comprendre ce que je peux faire dans telle situation, ce que doit faire tel équipier... Il faut qu'on garde un équilibre et une clarté sur notre rôle.
Aviez-vous des idoles plus jeune ?
Thierry Henry ! J'étais un supporter de l'Arsenal d'Arsène Wenger comme mon grand frère, donc j'aimais bien Robert Pirès, Patrick Vieira, Kolo Touré, je peux tous les citer. Quand on est petit, on a souvent une équipe préférée dans chaque championnat, moi je regardais tous les matches des Gunners.
Et Djibril Cissé ? On vous a vu lui donner un maillot après le Clasico.
Oui bien sûr ! Il était trop fort et a fait de grandes choses à Marseille ! Je me souviens de lui ici et dans les autres équipes. C'était un joueur qui faisait des différences, même si je pense qu'il aurait pu faire encore mieux. Le foot est comme ça.
L'OM est à cinq points de Paris et en quart de finale de la coupe de France. Selon vous, quels objectifs doit avoir le club pour cette fin de saison ?
Il y a toujours des objectifs au sein d'une équipe, le nôtre est de gagner chaque match et on verra à la fin. Se focaliser sur des objectifs lointains dès maintenant est trop tôt, il y a encore trop de rencontres. Il y a Monaco et Lens juste derrière nous, on doit rester attentifs et jouer chaque match comme si c'était le dernier. Il faut rester concentrés sur Toulouse, c'est très important. Le TFC est sur une bonne série, il faudra être attentifs.
Vous avez inscrit le but de la victoire contre le PSG. Qu'avez-vous ressenti en marquant ?
Qu'on avait tout donné. Ce n'était pas un match facile. Ce but sur corner de Sergio Ramos n'a pas été simple à gérer, certaines équipes calent après une égalisation, mais on a très bien réagi. Nous, au contraire, on s'est procuré plusieurs occasions, puis on a défendu à onze à 2-1. On doit garder cette mentalité, cette volonté de défendre un résultat, cette façon de penser que l'on ne peut pas se permettre de prendre un but. C'est un état d'esprit à conserver pour toutes les compétitions. On a continué à Clermont, une rencontre pas facile, sur un terrain gelé, sur lequel on a bien joué et gagné.
Et personnellement ? Que s'est-il passé dans votre corps, dans votre tête, après votre but, dans cette ambiance survoltée ?
(Sourire) C'est difficile à décrire ! C'est du bonheur, de "l'extra-énergie" pour faire ce sprint. L'atmosphère était incroyable dans ce stade merveilleux. Ça ne joue pas en faveur des adversaires, ils peuvent difficilement être en confiance avec le Vélodrome qui nous porte. C'est notre douzième homme sur le terrain.
Cette action est un peu le symbole de l'un de vos points forts : la frappe du gauche...
(Il hésite) Il faut être "flexible" comme on dit en anglais, ne pas toujours faire la même chose. Les autres équipes savent que sur une action où on me passe la balle dans les 25 derniers mètres, je peux enchaîner contrôle-frappe. J'ai marqué beaucoup de buts comme ça. Ça dépend de ma position, ce n'est pas toujours facile parce qu'il y a un gardien en face (rire) !
D'où vient cette puissance ?
Depuis tout petit, j'ai toujours tiré fort.
Vous avez quand même dû un peu travailler pour arriver à cette force de frappe !
Plus sur la technique, sur des détails : comment arrive la balle, comment la frapper, comment bien incliner son corps. Pour ça, il faut toujours travailler et "guérir" son jeu.
Votre mère disait dans un article que, dans l'appartement familial, vous jouiez au foot avec un ballon fait avec des chaussettes et que vous faisiez peur au voisin en tirant sur la porte. Vous vous en souvenez ?
Oui, oui, bien sûr ! On avait un couloir avec d'un côté la porte d'entrée, de l'autre celle des toilettes, ça faisait les buts. On avait fabriqué ce ballon mou avec mon frère et on faisait des tirs (rire).
Racontez-nous votre enfance à Jytomyr, une ville de 263 000 habitants de l'ouest de l'Ukraine ?
Je suis parti de ma ville à 12 ans pour entrer au centre de formation du Shakhtar, qui pour moi est le meilleur d'Europe. Il y a tout pour que les jeunes puissent grandir, on n'avait qu'à penser au foot. En dehors c'est différent, il y a l'école et d'autres distractions, mais ceux qui étaient avec moi jouent au minimum dans le championnat ukrainien. Tout le travail pour devenir le footballeur que je suis a vraiment commencé à 12 ans.
À cet âge-là, vous saviez déjà que vous deviendrez professionnel ?
Je le voulais avant, mais en arrivant au Shakhtar c'est devenu une ambition plus concrète.
Avant Donetsk, à quand remontent vos débuts dans le foot ?
J'ai commencé dans ce sport parce que mon grand frère Aleksandr y jouait. J'allais voir ses matches. Vous savez comment sont les enfants : il avait huit ans de plus et je voulais toujours rester avec lui et faire comme lui. Et puis à cinq ou six ans, j'ai commencé à jouer tous les jours.
Votre grand frère vous a poussé à vous entraîner sérieusement, c'est ça ?
Oui, il a fait de belles choses pour moi. Il m'amenait au parc, où il y avait des cages et il m'entraînait au tir, m'expliquait comment frapper. C'est un bon souvenir.
Votre mère Ekaterina est chanteuse, votre père Vladimir accordéoniste, vous avez grandi dans une ambiance musicale. Vous n'avez pas été tenté de vous y mettre vous aussi ?
Non, dès mes cinq ans, dans ma tête c'était le foot, il n'y avait pas la place pour autre chose (rires).
Avant de vous recruter une deuxième fois, le Shakhtar ne vous a pas conservé à 16 ans. Pourquoi ?
Après le centre de formation, il n'y avait pas de place pour moi dans l'équipe 3 du Shakhtar. Je suis rentré chez moi six mois, je m'entraînais avec plusieurs équipes, jouais des matches amicaux le dimanche pour le plaisir du jeu. J'ai eu la chance que beaucoup de joueurs du Shakhtar 2 soient partis en prêt dans le club de Marioupol, donc d'autres les ont remplacés de l'équipe 3 à la 2. Il ne restait alors pas assez de joueurs dans la 3. Donc ils ont rappelé des gars qui étaient partis, dont moi. C'est grâce à ça que j'ai commencé mon chemin (sourire).
Comment vivez-vous la situation depuis le début de l'invasion russe ?
Au début, j'étais très nerveux, je ne pensais qu'à ça, j'appelais mes amis... Mon frère connaît beaucoup de gens qui se sont engagés pour protéger notre pays. C'était inacceptable, en plus de la part du pays voisin. Mais ça avait déjà commencé il y a huit ans à Lougansk (la "république populaire de Lougansk" a été proclamée en 2014 sur le sol ukrainien par des séparatistes ukrainiens pro-russes soutenus par Moscou, et n'est reconnue que par trois états-membres de l'ONU : la Russie, la Syrie et la Corée du Nord). Nous ne pouvons accepter ça, nous nous battons pour vivre libres. (Il réfléchit) Nous voulons vivre sans les Russes dans notre pays, sans ces "amis" voisins (sourire ironique). Nous, comme tous les joueurs qui en ont la possibilité, on a fait ce qu'on a pu, on a acheté des médicaments, des produits de première nécessité.
Il y a eu tant de gens et d'enfants tués, je connais de nombreuses personnes qui vivaient à Boutcha (une ville près de Kiev où l'armée russe est accusée d'avoir commis des crimes de guerre), qui ont perdu leur maison et doivent recommencer leur vie à zéro. Tout le monde devrait pouvoir vivre libre. Une chose me déplaît vraiment, que certains disent que la politique doit rester en dehors du sport. La réalité n'est pas comme ça, et on ne peut de toute façon pas dire que l'attaque russe en Ukraine soit de la politique. Les Ukrainiens veulent vivre selon les règles européennes, pas dans cette corruption que l'on a pu voir ces dernières années, durant lesquelles la vie ne s'est pas améliorée. Dans tout ce malheur et cette guerre, il y a tout de même une belle chose : on est encore plus solidaires depuis le début de la guerre, on est tous ensemble.
Jugez-vous que le monde du football a adopté une bonne attitude depuis le début de cette guerre ?
J'ai fait des choses mais j'aurais pu faire plus, comme tout le monde. Il y a internet, la télévision, on a pu voir toutes les images. La situation n'est pas bonne là-bas, mais on a tous la motivation de les battre, c'est comme ça.
Vous avez créé une fondation pour venir en aide à vos compatriotes.
Oui, on l'a fait en Italie, pour aider les gens qui ont fui la guerre. On a acheté des choses, aidé des orphelins, mis de l'argent pour régler des problèmes et trouvé une maison pour qu'ils puissent vivre sous un toit.
Un journaliste américain, qui commentait Clermont-OM, vous a désigné comme Russe et dit qu'un de vos tirs avait été envoyé à Moscou, a même donné 100 dollars.
Tout le monde peut dire ce qu'il veut, même des paroles moches. Mais dans une période comme celle-ci, dire d'un Ukrainien qu'il est Russe, c'est inacceptable. Je suis Ukrainien, pas Russe. Je parle de nombreuses langues mais je ne veux pas dire un seul mot de russe. Chacun doit bien faire son travail. Tu es censé connaître tous les joueurs, où ils dorment, quel âge ils ont, où ils sont nés, etc. Et lui n'a pas retenu la nationalité des 22 joueurs de Clermont-OM. Mais maintenant, c'est réglé, je n'y pense plus, ça me passe au-dessus de la tête.
Vous avez aussi été pris dans une polémique en Ukraine après avoir salué le Russe Golovine à l'issue d'OM-Monaco.
Oui. (Il réfléchit) Il va y avoir les Jeux olympiques en France l'année prochaine, si tu représentes ta nation, tu la représentes entièrement, tu ne peux pas dire : "Je joue pour ce pays, mais s'il y a un problème ça ne me regarde pas". Il y a beaucoup de sportifs en Russie qui pensent et disent que la guerre n'est pas un problème pour eux et que la Russie doit prendre l'Ukraine. De l'autre côté, il y a beaucoup d'athlètes qui ont pris les armes et sont morts. Plein de gens que je connais m'ont écrit : "Nous, on est ici, tu n'as pas le droit de faire ça (saluer Golovine), il y a la télé, ce n'est pas bien." Mea culpa, je me suis excusé.
Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de vous excuser ?
Par respect pour les personnes qui sont sur le terrain pour protéger notre pays. On sait tous comment fonctionne la propagande russe. L'une des plus célèbres dit que les Russes et les Ukrainiens sont pareils alors que nous sommes complètement différents. Même face à ce genre de choses qui semblent anecdotiques, il faut que nous restions forts et unis.
Dans cette période sombre, que représente pour vous le fait de porter le maillot de votre équipe nationale ?
On veut donner de la satisfaction pour notre pays et "nos" gens. Il y a tellement de supporters qui ont pris les armes. Même s'ils n'en ont pas forcément le temps, quand ils nous regardent il faut leur faire plaisir. On a fait de belles choses ces dernières années, comme jouer l'Euro-2021 (jusqu'en quarts de finale), on a grandi en tant qu'équipe, on veut montrer qu'on est fort et bien jouer, surtout en ce moment difficile.
Quelle est l'importance de votre épouse dans votre carrière ?
Roksana et moi sommes ensemble depuis dix ans, elle est très intelligente et m'aide beaucoup. Quand on est arrivé en Belgique, elle parlait déjà anglais. Quand j'ai signé à l'Atalanta, elle parlait déjà un peu italien et m'a aidé. Elle est toujours très ambitieuse, veut toujours comprendre le foot et vient quasiment à chaque match. C'est une personne qui a fait une grande partie de ma carrière. Sans elle... (il ne finit pas sa phrase) Elle me pousse quand je suis critiqué. Elle est fantastique. On a une fille de trois ans, Olivia. On l'a appelé comme ça parce que quand mon épouse était enceinte, on est parti en vacances en Grèce et il y avait beaucoup d'oliviers (sourire).
La Provence