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RÉCIT; Malinovskyi a bien grandi; De Jytomyr, sa terre natale, jusqu'à Marseille, sa terre d'adoption, la carrière de la recrue hivernale de l'OM n'a pas toujours été linéaire. Retour sur un parcours singulier
vskyi (29 ans) renoue avec ses vieilles habitudes : celles d'un joueur prêté, contraint de s'exiler pour connaître le bonheur de jouer après avoir cru que sa carrière ne décollerait jamais. Bien avant de poser son baluchon en Provence où, cette fois, sa venue s'apparente à un tour de passe-passe financier (*), le natif de Jytomyr, à l'est de Kiev, a bien failli ne jamais vivre son rêve. Il faut remonter dix-sept ans en arrière pour en trouver les raisons. À l'époque, le petit Ruslan se déracine pour garnir les rangs de l'académie du Shakhtar Donetsk, plutôt que ceux du Dinamo Kiev qu'il préfère snober malgré la proximité géographique.
Son pied gauche est un délice, déjà. Le problème se situe ailleurs. "Il était plus petit que les autres. S'il arrivait toujours à trouver des solutions intelligentes, il souffrait dans les duels physiques", rembobine, depuis l'Ukraine, Patrick Van Leeuwen, alors responsable de la pouponnière du Shakhtar. Fin prématurée de l'aventure à Donetsk, retour inattendu à Jytomyr pour le frêle Ruslan. Mais cette parenthèse se referme vite.
Trop petit pour le Shakhtar
Six mois plus tard, les dirigeants du Shakhtar se ravisent. "Pour chaque jeune joueur, il y a une période dans la croissance où l'on ne croit pas en lui, pose Van Leeuwen. On avait un peu moins confiance dans ce qu'il pouvait faire. Mais l'académie a compris qu'on ne pouvait pas le laisser partir. Il est revenu jouer en 2e division. C'est là qu'il a vraiment commencé à comprendre ce qu'il devait faire pour devenir un footballeur professionnel. La période où il n'était plus au Shakhtar lui a fait prendre conscience de certaines choses. Comme continuer à se développer."
Ce qu'il fera au cours de prêts successifs au FK Sevastopol (2012-13), à Zorya Lougansk (2013-15), puis à Genk en janvier 2016 avant d'être définitivement transféré en Belgique. "Je voyais dans ses yeux qu'il avait envie de réussir", retrace Yannick Boli. Le neveu de Basile a évolué une saison avec celui qu'il surnomme "Molina". C'était à Lougansk et le talent de Malinovskyi ressemblait à une évidence. Et pas seulement grâce à sa patte gauche redoutable.
"Il m'a toujours paru tanqué physiquement, il avait de grosses cuisses, insiste Boli, les yeux rieurs. Il a fait un gros travail au niveau du cardio. À l'époque, il était une machine de guerre qui ignorait sa force. Il en a pris conscience au fil du temps, même s'il était très sûr de lui, dans sa bulle. Je lui disais tout le temps qu'il allait devenir un grand joueur s'il persévérait. Ce qu'on voit aujourd'hui, il le faisait déjà à l'époque, avec moins d'impact physique."
Ses frappes puissantes sans élan en défrisent quelques-uns. Elles le conduisent jusqu'en Belgique. Son passage à l'ouest se révèle délicat. Question d'acclimatation, de culture, de langue, aussi. Pas de football, même si les supporters de Genk le prennent en grippe et le sifflent, lui reprochant de ne pas défendre assez. "Il a eu besoin d'un temps d'adaptation, il n'était pas toujours titulaire, indique son ex-partenaire Julien Gorius. Il n'avait pas encore évolué dans un grand championnat, il était jeune. Très vite, pourtant, il m'a fait forte impression : il a une magnifique patte gauche, un toucher de balle soyeux. Il met le ballon où il veut. Même quand il sera à la retraite, il aura toujours cette patte gauche."
Malinovskyi mettra tout le monde d'accord par ses performances, magnifiées par le titre de champion de Belgique, en 2019, avant, dans la foulée, un transfert vers le Calcio et Bergame. "À Genk, il s'est intégré de manière sage, il n'en a pas fait des tonnes, lâche Gorius. Il ne va pas taper du poing sur la table pour qu'on le regarde. Assez discret, agréable dans un groupe, il s'est intégré par ses performances sur le terrain. C'est quelqu'un de bien. Des clubs plus huppés que l'Atalanta Bergame le voulaient, mais il a franchi les paliers de manière très intéressante à Bergame."
"Professionnalisme
et envie de gagner"
Son statut s'affermit en Lombardie sous la houlette de Gian Piero Gasperini. Il devient rapidement un cadre de l'équipe, de ceux qui accueillent les nouveaux, à l'image d'Adrien Tamèze. "Il est venu vers moi pour m'intégrer, souligne l'ancien Niçois. Il était important dans l'équipe. Outre sa force de frappe naturelle, j'ai été marqué par son professionnalisme, son envie de gagner. Il travaille beaucoup à l'entraînement." Les rôles sont inversés depuis la semaine dernière et son atterrissage sur la planète Marseille. "C'est un grand professionnel, il est agréable, apprécie Leonardo Balerdi. Notre but est de l'aider à s'intégrer car c'est un nouveau pays et un nouveau championnat. Il a bien joué pour son premier match avec peu d'entraînements avec nous. On l'aide à connaître un peu mieux la ville et le club."
Ses nouveaux partenaires ne sont pas les seuls à épauler l'international aux 51 sélections. À peine avait-il paraphé son nouveau contrat qu'une vingtaine de ses compatriotes, dix enfants accompagnés d'autant d'adultes, l'accueillaient à bras ouverts sur les hauteurs de La Commanderie, à l'initiative de l'OM qui avait collaboré par le passé avec l'association Marseille-Odessa. Ruslan et son épouse Roksana ont été très touchés par ces marques de sympathie. Surtout dans le contexte de la guerre en Ukraine, lui qui a été l'un des premiers sportifs à prendre position contre ce conflit. Avec sa femme, ils ont notamment organisé des ventes aux enchères au profit des enfants ukrainiens, une cause qui leur tient particulièrement à coeur.
"On a rencontré quelqu'un de sincère, gentil et accessible, insiste Nataliya Dobryanska, ambassadrice d'Odessa en France et présidente de Marseille-Odessa. En ces temps difficiles, cette rencontre a été un bol d'air frais. Ruslan aide beaucoup notre pays. Avec sa femme, ils sont très impliqués. La première chose qu'il m'a demandée, c'est comment il pouvait faire pour envoyer de l'aide humanitaire en Ukraine."
En attendant, des maillots ont été offerts, des autographes ont été signés, des places pour OM-Lorient ont été offertes. Et tout le monde a prévu de se revoir rapidement. "Nos compatriotes qui ne l'ont pas vu sont très jaloux, sourit Nataliya Dobryanska. Certains ont fait une crise cardiaque quand ils ont su qu'une rencontre avait eu lieu." Le signe que Ruslan Malinovskyi a bien grandi. Mais qu'il n'oublie rien de son passé qui l'accompagne à chacune de ses sorties.
(*) Prêt avec obligation d'achat de 10 M€ + 3 de bonus.
La Provence