Le destin fait bien les choses, dit-on, et celui d'Éric Bailly l'a conduit loin. De sa Côte d'Ivoire natale à la France, en passant par l'Espagne et l'Angleterre, le défenseur international (46 sélections, 2 buts) affiche une carte de visite remarquable. Tout n'était pourtant pas joué d'avance quand le natif de Bingerville a débarqué sur le sol ibérique, se faisant appeler "Éric Bertrand", dixit Manolo Marquez, l'entraîneur de la réserve de l'Espanyol. Mais de l'eau a coulé sous les ponts depuis et, aujourd'hui, Éric Bailly est un footballeur connu et reconnu.
Un défenseur "intraitable", selon Hervé Renard, son ancien sélectionneur à la tête de la Côte d'Ivoire, avec lequel les Éléphants ont gagné la Coupe d'Afrique des Nations en 2015. Un technicien dithyrambique sur le joueur de 28 ans. "Éric est bien depuis le début de saison. Avec moi, il jouait axial côté gauche, car il y avait Kolo Touré dans l'axe. Ça lui va bien dans cette situation. Il va très vite, il a une bonne relance. Il est moins exposé que sur un côté, à faire de longues courses le long de la ligne. C'est une bonne initiative de la part d'Igor Tudor de l'avoir mis au milieu des trois, ça lui permet de diriger et de moins s'excentrer. C'est le patron, déroule l'ancien entraîneur sochalien. Il a fait de bons matches, c'est dommage que cette petite blessure l'ait éloigné du terrain, même si ça n'a pas duré très longtemps. Il doit faire attention de ce côté-là, car c'est un joueur de très grande qualité. Il réussira s'il n'a pas de pépins physiques. J'espère pour lui que ça va continuer. Il apporte son expérience. Il a quand même joué dans de très bons clubs, comme Villarreal et Manchester United, où Mourinho l'a fait venir, ce qui n'est pas rien. Il va apporter beaucoup à l'OM, c'est une très, très bonne recrue."
"Je ne sais pas si je peux le dire ainsi, mais il avait besoin de se retrouver dans un environnement sain, qui lui permette de s'épanouir, estime son compatriote et ex-Olympien Bakari Koné, qui le considère comme son "petit frère". C'est un joueur passionné. Quand il est sur un terrain, il ne pense qu'à la victoire. Quand il va commencer à donner le meilleur de lui-même, à se défoncer pour le club, les supporters vont l'aimer. Il a tout pour leur plaire. Avec (Chancel) Mbemba, ça va être solide. Il va s'adapter rapidement, et se faire adopter tout aussi rapidement."
Manolo Marquez : "Il avait besoin d'affection"
"J'ai de très bonnes relations avec lui. On a passé du temps à Barcelone ensemble. J'ai parlé avec lui hier, disait Pau Lopez au lendemain de sa signature à l'OM. Je l'ai trouvé différent, beaucoup plus mature. J'ai beaucoup aimé ce qu'il m'a dit et je pense que c'est un joueur qui va très vite s'intégrer à l'équipe." Le portier marseillais le connaît très bien puisqu'ils ont évolué ensemble à l'Espanyol : "On avait 15 ou 16 ans quand il est arrivé à Barcelone. Il n'a pas pu jouer tout de suite, c'est difficile pour un Africain de jouer en Espagne. Mais après, tout est allé très vite. Il a commencé à jouer, on est monté tous les deux en équipe première et, au bout de quelques matches, il est parti à la CAN, puis il a signé à Villarreal."
"Pau et Éric avaient une relation spéciale", témoigne Manolo Marquez. "Éric était en juvenil quand je suis arrivé au club en janvier 2013. Il était très timide et avait besoin de beaucoup d'affection, parce qu'il était arrivé seul à Barcelone. Le début a été difficile pour lui. Il était loin de sa famille, de son pays et de sa culture, donc il était mélancolique, parfois triste et solitaire, avec le cafard. Il fallait beaucoup l'encourager, lui remonter le moral, mais c'était un excellent garçon. Je suis très heureux pour lui", savoure l'éducateur catalan.
"Il n'y avait pas besoin de beaucoup connaître le foot pour se rendre compte qu'un grand avenir l'attendait : il était très au-dessus des autres, rembobine-t-il. Physiquement c'était un authentique prodige, très, très fort, sensationnel de la tête, habile des deux pieds même si parfois il péchait un chouïa par excès de confiance et perdait quelques ballons chauds. Il était juste perfectible au niveau tactique, mais c'était un grand espoir de l'Espanyol, résume Marquez. Tout a été très rapide. Il est passé de la B à titulaire puis à Villarreal et Manchester, avec un salaire qui n'avait rien à voir avec ce à quoi il pouvait prétendre en arrivant en Espagne, ou quand il a marqué son tir au but en finale de CAN..., poursuit-il. Passer de rien à United, c'est parfois compliqué et c'est possible que ce fut difficile à contrôler pour un garçon comme lui, ça a pu lui jouer des tours en Angleterre. Le saut est très grand de Villarreal à ce club géant, on ne sait jamais comment on s'acclimate à un club de ce rang, à l'alimentation, à la ville... Je mentirais si je disais que je ne suis pas surpris par sa carrière et sa présence à Manchester, mais il fait partie des 3 meilleurs jeunes que j'ai entraînés dans ma carrière."
Renard : "Il a un beau destin"
Des propos dont l'écho résonne dans la voix de Renard. "Il a un beau destin. Il est arrivé sur la pointe des pieds en sélection. Au bout de deux entraînements, j'ai su qu'il serait titulaire. Il s'est imposé tout de suite avec ses qualités d'anticipation, de vitesse. Il est capable de faire des tacles impressionnants. Quand je l'ai connu, il était discret, travailleur, souriant. Il ne faisait pas trop de bruit. C'est top pour un entraîneur. J'espère qu'il n'a pas changé", balance-t-il dans un éclat de rires.
"Il perpétue la tradition des Ivoiriens à Marseille, apprécie pour sa part Baky Koné. Je suis content pour lui et pour l'OM, car c'est un joueur qui va apporter un plus au club, avec son agressivité, son calme et sa rage, la passion qu'il met à chaque intervention. Il me fait penser à Souleymane Diawara avec ses interventions spectaculaires. C'est un défenseur fougueux, qui aime le duel, mais qui est aussi très technique. Je suis de la génération précédente, mais je suis très content pour lui et pour mon club."
Ce soir face au Sporting, sur la pelouse de l'Estadio José-Alvalade, il sera titulaire dans l'axe de la défense à trois, "sa position, estime Igor Tudor, là où il nous apporte de l'expérience et beaucoup de qualités". Comme à chaque fois depuis le début de la campagne en Ligue des champions. Une compétition dans laquelle il n'avait disputé que neuf matches avec les Red Devils avant d'atterrir à Marseille. Loin des parties avec l'équipe B de l'Espanyol. Une anecdote revient à l'esprit de Manolo Marquez : "Lors d'un match amical, un joueur de l'équipe a montré Éric à ma fille, qui avait 9-10 ans, et lui a dit : "Fais une photo avec ce joueur, parce qu'il deviendra un footballeur célèbre".
La Provence