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PATRICE BEAUMELLE; "Il va vous rappeler Boli et Desailly"; Proche du nouveau défenseur olympien, l'ex-sélectionneur de la Côte d'Ivoire est persuadé que le club et les supporters marseillais vont tomber sous le charme du joueur de 28 ans
Patrice Beaumelle pourrait parler d'Éric Bailly "pendant des heures et des heures". Ancien sélectionneur de la Côte d'Ivoire (2020-22), l'Arlésien (44 ans) connaît le futur défenseur de l'OM depuis 2014 quand il était l'adjoint d'Hervé Renard, déjà, chez les Éléphants. C'est même lui qui a repéré le natif de Bingerville au moment de lui faire connaître sa première sélection. Intarissable sur l'homme et le joueur, dont il est resté proche, le technicien provençal est sûr que "les supporters de l'OM vont s'identifier à lui". Entretien.
Racontez-nous votre Éric Bailly...
Je l'ai eu sous mes ordres lors des deux dernières années quand j'étais à la tête des Éléphants, mais je l'ai connu en 2014 lors de mon premier passage en Côte d'Ivoire. Pour l'anecdote, à quelques mois de la CAN 2015, je me retrouve à regarder un derby catalan au Camp Nou entre le Barça et l'Espanyol. Je vois un jeune joueur qui tient Lionel Messi pendant 60 minutes. J'appelle Hervé pour lui dire que ce jeune est né à Abidjan. À l'issue du match, je contacte le président de la Fédération pour savoir s'il le connaît. Il me le confirme, me disant que c'est un joueur qui est parti en Espagne il y a quelque temps mais qu'il ne sait pas ce qu'il est devenu. Je me retrouve en décembre, à quelques semaines de la CAN, à aller voir un match Espanyol-Rayo Vallecano. J'ai rencontré Éric à l'hôtel la veille du match, il était avec Jacques Songo'o, qui était alors entraîneur des gardiens de l'Espanyol. Le lendemain, j'assiste au match, il fait une prestation incroyable dans une défense à trois. J'appelle Hervé pour lui dire qu'il faut le prendre. Il avait à peine quatre matches en pros à l'époque, il n'avait jamais joué pour l'équipe A de la Côte d'Ivoire, il avait tout juste 20 ans. Au final, on joue la CAN avec lui, il fait tous les matches, il marque son tir au but en finale et on la gagne. L'histoire part de là... Après la CAN, il signe à Villarreal, où il fait une grosse saison, jusqu'en demi-finale de la Ligue Europa, puis José Mourinho le recrute à Manchester United...
Quelles sont ses qualités ?
C'est un joueur complet qui, comme tout joueur qui manque de temps de jeu, n'a pas pu progresser ni prendre la maturité. Mais je l'ai toujours fait jouer en équipe nationale, et il a toujours fait de grosses performances. Il a toutes les qualités défensives et offensives pour le poste. Il a l'agressivité des plus grands défenseurs, il peut jouer à deux ou à trois dans l'axe. Il a une qualité de relance, avec un excellent jeu long et une très bonne lecture de jeu. Sa qualité première, pour moi, c'est de sortir balle au pied pour apporter le surnombre, comme le faisait Laurent Blanc à l'époque. Il a le sens de l'anticipation, il va vite, il est agressif, il aime le défi physique. Il est même spectaculaire dans ses interventions. Contre l'équipe de France, au stade Vélodrome d'ailleurs, il avait fait un super match. Plus le niveau monte, plus il se bonifie. Je pense qu'il peut rappeler aux Marseillais les Marcel Desailly ou Basile Boli de l'époque. Il aime les duels, il n'a pas peur. Il va gommer toutes les petites erreurs qu'il peut faire en ayant du temps de jeu. C'est ce qui lui manque aujourd'hui.
Comment est-il dans un vestiaire ?
Ce n'est pas quelqu'un d'expressif. Je le connais très bien, on est proche. Il est assez doux, il va observer. Mais il est très attachant. Et si ça ne va pas, il prend ses responsabilités pour dire les choses. Aujourd'hui, il a de la bouteille. À Manchester, il est très proche de Paul Pogba, de Juan Mata... C'est quelqu'un de précieux dans un groupe car il s'investit. Je connais pas mal de joueurs marseillais, il va vite s'entendre avec eux. Et puis il va retrouver Alexis Sanchez, qu'il a connu à United, et Cédric Bakambu, qu'il a côtoyé à Villarreal. Je le lui avais dit quand on était à Marseille pour le match contre la France. Pour moi, ça matche entre lui et l'OM. C'est un stade pour lui, un club pour lui. Le public aime les joueurs défensifs rugueux, qui aiment le défi. Petit, je venais voir Mozer et compagnie. C'est ce qu'il lui faut. J'en ai parlé avec son agent.
Surtout que la défense de l'OM devait absolument être renforcée...
Oui. Il peut s'imposer et, petit à petit, devenir un leader de cette défense. Au début, il faisait le job sans en vouloir davantage. En équipe nationale, je l'ai vu commencer à demander plus de responsabilités. Il était capitaine quand Serge Aurier ne jouait pas. On sent qu'il veut prendre des responsabilités. Je le voyais malheureux de ne pas jouer car ça le dessert, mais je lui souhaite de rapidement s'imposer. Pour moi, il a toutes les qualités.
Comment est-il vu en Côte d'Ivoire ?
Au pays, il est adulé. Quand on l'a pris en 2015, tout le monde se posait des questions. On était après la génération dorée de Didier (Drogba), le plus Marseillais des Ivoiriens. On est parti à la CAN avec de nouvelles têtes, dont lui. En quelques matches, il a prouvé. Et il est devenu un des joueurs préférés des Ivoiriens. Et puis, Abidjan, c'est une ville marseillaise. Dès que l'OM joue, c'est puissant. Beaucoup d'Ivoiriens ont le maillot orange des Éléphants, mais aussi le maillot de l'OM.
Le seul doute concerne son physique et sa capacité à enchaîner les rencontres. Son dernier match en club remonte à décembre 2021 et en 2022, il n'a joué qu'avec la sélection ivoirienne. Qu'en pensez-vous ?
Tout à fait. Je ne suis pas médecin, mais lors de la dernière coupe d'Afrique des nations, il est arrivé trois jours avant le premier match car les Anglais retenaient les internationaux. Mais il a été l'un des meilleurs avec Ghislain Konan et Nicolas Pépé. Ses pépins ne sont pas des blessures d'usure d'un joueur en fin de cycle. Ce n'est pas comme certains qui ont un genou en vrac avec plus de cartilage. Non, lui ce sont des blessures d'un joueur qui ne joue pas. Je l'ai vu faire la préparation cet été avec Manchester et il a pris du plaisir. Il a besoin de jouer. Quand on se sent important, les blessures "psychologiques" disparaissent.
Au vrai, s'il a peu joué à Manchester United, c'était surtout dû aux choix de ses entraîneurs. Comment l'expliquez-vous ?
Exactement. J'en ai souvent parlé avec lui. Il a fini par accepter ce statut de remplaçant, notamment avec Ole Gunnar Solksjaer, qui était le "Substitute" emblématique de Manchester. Éric a accepté car c'est quelqu'un de foncièrement bon, qui ne va pas se plaindre et demander à partir. Mais aujourd'hui, s'il veut faire une fin de carrière à la hauteur de son talent, il doit jouer. Et puis il a une CAN à la maison qui se profile (en 2024). Je le répète, mais je suis sûr que ça va matcher.
Estimez-vous que l'OM est le bon club pour qu'il puisse se relancer ?
C'est le club parfait. Quand on va chercher Éric Bailly, c'est qu'on a besoin de lui. Et quand il se sent désiré, il donne tout. Sinon il serait resté à Manchester. Mais il a une envie profonde de se relancer en exploitant pleinement son potentiel. Il n'est plus habitué à enchaîner les matches. Je lui ai dit qu'il devait être prêt tout de suite. Il ne sera peut-être pas à 100 %, comme la plupart des joueurs. Il faut vite le mettre dans le bain pour lui montrer qu'on a besoin de lui. Je suis le "Marseillais" le plus heureux qu'il arrive à l'OM !
La Provence