Jonathan Clauss, le latéral droit de Marseille, auteur d’un superbe but mercredi face au Luxembourg, se prépare à disputer, à 31 ans, sa première compétition avec les Bleus.
Propos recueillis par Benjamin Quarez et Harold Marchetti
À le voir promener sa joie de vivre communicative et sa motivation sans faille à Clairefontaine, on peine à imaginer Jonathan Clauss (13 sélections, 2 buts) la tête dans le seau en novembre 2022, quand la Coupe du monde au Qatar lui a filé sous le nez. En l’espace de dix-neuf mois, le défenseur de l’OM, auteur d’un but somptueux ce mercredi 5 juin face au Luxembourg (3-0), a su se réinventer au quotidien pour convaincre le staff de l’équipe de France de le retenir pour l’Euro. Il a accepté de se raconter avec une authenticité rafraîchissante.
Après la déception du Mondial 2022, il vous est arrivé de pleurer au téléphone et d’avoir des nuits difficiles. Cet état de franche déprime s’est étiré dans le temps ?
JONATHAN CLAUSS. Je m’étais imaginé être de l’aventure au Qatar. Il y a eu énormément de déception à l’annonce de la liste. Les mois qui ont suivi, j’étais content d’être sur un terrain mais en dehors… Ce n’était pas évident à encaisser. J’y pensais sans cesse. Lorsque je regardais les matchs des Bleus à la télé, j’étais leur premier supporter. Mais, d’un autre côté, il y avait cette tristesse. Et ça a duré, duré…
Votre convocation pour l’Euro a-t-elle enfin permis de faire le deuil de cette désillusion ?
Oui, car sur un plan personnel, j’ai réussi à m’améliorer sur bien des points. Cette gifle en novembre 2022 reflète un peu ma carrière. On attendait beaucoup de moi et, au final, ça ne s’est pas fait. Mais j’ai continué à bosser et aujourd’hui je touche mon rêve ultime. Pour certains, une Coupe du monde est au-dessus d’un Euro. Moi, je n’ai pas de hiérarchie. Disputer une compétition internationale avec les Bleus, je ne peux pas prétendre à mieux.
Vous semblez aujourd’hui plus acteur que spectateur de votre carrière. Vous confirmez ?
C’est marrant, j’ai eu une discussion avec ma copine à ce sujet. Elle m’a lancé : « Avant, tu étais un peu fataliste. Si ça se passait bien, tant mieux, et dans le cas inverse, tant pis. Ce n’était pas grave à tes yeux. Tu te disais que ça ne devait pas arriver. » Elle avait raison. Aujourd’hui, je sais ce que je veux et je suis en colère contre moi-même si je ne l’ai pas. Si j’en viens à échouer dans un objectif, c’est que je n’ai pas tout fait pour l’atteindre. C’est de ma faute. Et rien que de ma faute. J’ai décuplé mon envie de réussir.
L’été 2023 a marqué un tournant. Vous avez fait appel à Julien Corvo, le préparateur physique de Teddy Riner. Que vous apporte cette collaboration ?
Déjà, du travail supplémentaire. J’en avais besoin. J’ai longtemps eu du mal à entendre qu’il me fallait travailler davantage. À l’entraînement, je ne me cachais pas, mais c’était en dehors, dans la façon de penser, de récupérer, que je devais progresser.
Concrètement, que faites-vous de plus ?
Avant, quand on me donnait à faire quelque chose en plus, j’étais le premier à râler. Aujourd’hui, je me dis, au contraire, que ça ne peut que m’être profitable. Ma perception du travail a changé. Quand je me sens à 95 ou 100 % de mes capacités, je me rends compte que quand on élargit un peu les portes, le plafond descend et que j’ai encore une marge de progression. En fait, c’est génial de se dire qu’il y a encore tant de choses à aller chercher, même à 31 ans…
Sur le terrain, vous avez mis davantage l’accent sur le duel. C’était un passage obligé pour affirmer vos qualités défensives ?
Oui. Dans une défense à cinq, on est plus dans la couverture, l’anticipation et le positionnement. À quatre derrière, c’est du un-contre-un. J’avais conscience de ne pas être le meilleur dans ce domaine. J’ai fait en sorte de me durcir et de montrer qu’en pleine possession de mes moyens physiques, je suis capable de répondre. Avant, je commençais parfois un match en me disant : « Aïe, il est costaud, lui, ça va être dur. » Je n’osais pas y aller, je me disais : « Il faut que je reste beau, il ne faut pas que je me blesse. » Aujourd’hui, si ça m’arrive, tant pis. S’il y a un ballon entre deux, je n’enlève plus le pied, j’y vais comme mon adversaire. Avec hargne et conviction.
En octobre 2023, pour votre retour en sélection, vous expliquiez « ne pas être là pour être mignon à la télé ». Qu’est-ce que vous entendiez concrètement ?
Je ne dirais pas que mon histoire on s’en fout, loin de là. C’est juste que le footeux issu du monde amateur devenu international… (il s’arrête.) C’est très bien, je suis le premier content si certains s’identifient à moi, mais je ne suis plus là parce que mon histoire est dingue. Je veux être là parce que je mérite d’y être et faire en sorte d’y rester le plus longtemps possible.
On ne peut pas évoquer cette saison sans parler de l’épisode de cet hiver avec la prise de position de vos dirigeants qui ont ouvertement critiqué votre investissement. Ça vous a surpris ?
Je suis fidèle à moi-même depuis le début de ma carrière. Peut-être qu’il y avait des reproches à me faire, que la situation était telle qu’il y avait des choses que je faisais bien ou pas. Je ne sais pas, en fait… C’est juste que j’aurais aimé qu’on me le dise. Il y a certains trucs qui sont sortis. Je me disais, bon, c’est dommage parce que je ne pensais pas être comme ça. Après, je ne suis pas parfait. Mais je suis loin d’être quelqu’un qui, quand on lui fait une remarque, se met dans un coin et dit : « Non ce n’est pas moi. »
Vous avez été touché dans votre amour-propre ?
J’ai trouvé ça dommage parce que je suis une personne très humaine qui prend énormément de recul. Le fait de me dire « Écoute Jo, là je ne te trouve vraiment pas bon, parce que tu ne fais pas ceci, tu ne fais pas cela ». OK, top merci de me le dire rapidement afin que je puisse réagir. Au final, là où j’aurais pu complètement péter les plombs, leur assurer que c’est n’importe quoi, je n’ai juste rien dit et fait ce qu’il fallait. Pour moi, pour l’OM et mes partenaires. Pas pour Pierre, Paul ou Jacques. Tout le monde a pu voir que je n’étais pas assez bête pour ne rien corriger.
Le sélectionneur vous a appelé pour vous apporter son soutien ou vous demander des explications ?
Il m’a demandé comment j’allais. Lui aussi, il lisait des choses. Je lui ai dit : « Écoutez, ça va, j’attends la fin de la vague. »
Si le 14 juillet vous êtes champion d’Europe, que seriez-vous prêt à faire d’un peu fou ?
Je ne sais pas encore, mais ce sera quelque chose de vraiment cinglé. Si on gagne l’Euro, je suis capable d’une totale dinguerie. Sauter dans le Vieux-Port ? Ça, c’est le minimum ! Je peux aller encore plus loin.
Jonathan Clauss est ravi de disputer sa première grande compétition avec l’équipe
Le Parisien