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Jonathan Clauss : « La vie à l'OM, c'est dingue ! »
Jonathan Clauss, le défenseur de l'OM, tire de son parcours accidenté une personnalité différente et une force de conviction. Il ne veut plus seulement rêver mais vivre au présent.
Le froid est tombé sur Marseille depuis deux jours déjà et ce lundi, une pluie discontinue se déverse sur la Commanderie. Il en faudrait beaucoup plus pour doucher l'enthousiasme de Jonathan Clauss, arrivé à l'OM il y a un an et demi. Le latéral droit de 31 ans poursuit une ascension irrésistible après son parcours accidenté : titulaire inamovible à Marseille et potentiel en équipe de France (10 sélections, 1 but). De cette révélation jusqu'à sa transformation, il s'est raconté en allers-retours, comme ceux qu'il effectue dans son couloir droit.
« Il paraît que vous avez arrêté de rêver...
Quand j'ai été rappelé en équipe de France, en octobre (après treize mois d'absence), j'ai dit ça parce que je voulais montrer que j'étais bel et bien là sur le terrain, pas juste pour raconter toujours mon histoire. La première fois que j'ai été convoqué (en mars 2022), j'étais à Lens, c'était tellement inattendu que je vivais un rêve. Mais je me posais encore des questions : "Est-ce que je suis vraiment à Clairefontaine, là ?"
Vous étiez plus spectateur ?
Spectateur et acteur, à la fois. Je profitais, j'étais impliqué mais je sentais bien que je n'étais pas à 200 % dans le truc, parce qu'il y avait encore cette part au fond de moi où j'étais le mec avec des étoiles dans les yeux. Un an est passé et la dernière fois que j'ai été appelé, j'ai réellement pris conscience de ce qui m'arrivait.
C'est aussi en rêvant que vous avez réussi à revenir dans le monde professionnel et à enfin disputer votre premier match à la Meinau (*), avec Lens, en mars 2021...
Mon seul petit regret, c'est que le match s'est joué pendant la saison post-Covid et il n'y avait donc pas de supporters. Mais j'ai tout de suite appelé un dirigeant de Lens pour lui dire que mon père devait être là, c'était obligé ! C'était mon premier match à la Meinau, on a fait des pieds et des mains et mon père a eu une accréditation. Il n'y avait que des officiels au stade ce soir-là, et mon père. Je n'avais besoin de rien d'autre. On a gagné (2-1) et j'ai offert deux passes décisives.
Vous êtes de nouveau revenu à Strasbourg (1-1), fin novembre, quelques jours après le rassemblement en équipe de France. Avez-vous mesuré le chemin parcouru ?
C'est drôle parce que j'ai eu un message du coach de Lens (Franck Haise) juste après le match contre Gibraltar (14-0), où je marque mon premier but en sélection. Il m'a dit texto : "Mesure le chemin parcouru". Honnêtement c'est dur quand vous êtes à fond dedans, vous n'avez pas le temps de vous retourner.
On va le faire pour vous : vous avez joué en 6e division allemande, en National 3, en National, en Ligue 2 et aujourd'hui à Marseille, en Ligue 1. C'est rarissime dans le foot d'aujourd'hui...
Les joueurs recalés des centres de formation, ou qui se retrouvent en 6e division allemande, se disent que c'est fini, que le rêve est passé. Moi aussi, je me disais cela mais il restait une toute petite voix, au fond de moi, qui tentait encore de me persuader que j'allais pouvoir devenir pro un jour. Alors, je faisais tout pour essayer de le devenir à mon échelle, que ce soit en 6e division allemande ou après en CFA 2 (aujourd'hui N3) à Raon-l'Étape. Je ne mettais pas encore tout en oeuvre parce qu'il y avait un décalage entre vouloir devenir pro et faire en sorte de le devenir. Je disais à ma mère à l'époque : "J'ai fait des études, j'ai fait STAPS, j'ai travaillé à côté, j'ai fait pas mal de choses, mais il n'y a qu'un seul endroit où je me sens heureux : sur un terrain de foot."
Que tirez-vous de ce parcours si différent ?
J'ai connu tous les échelons, j'ai profité à fond de ma vie, ce que certains n'ont peut-être jamais fait encore. Parce qu'au centre de formation, vous n'en profitez pas des masses, vous signez pro après, vous n'en profitez pas des masses non plus. Et dans ce milieu-là, le niveau d'exigence est tellement élevé que vous n'en profitez pas. Moi, j'ai fait ma crise d'adolescence à 18 ans. Une fois que je n'ai pas été conservé à Strasbourg, plus rien ne me retenait pour en profiter, alors j'ai vécu ma vie à 200 %. Pas d'argent, mais ce n'était pas grave, des sorties tout le temps, je m'amusais avec mes potes, j'allais jouer au foot. J'allais à l'école si je me réveillais le matin, sinon tant pis, je n'y allais pas. Et heureusement que cela m'est arrivé parce que si à 22 ans, à la fin de votre premier contrat pro, vous commencez à partir là-dedans, la descente peut être très dure.
Comme Franck Ribéry ou Mathieu Valbuena avant vous, vous vous révélez au grand public après un parcours accidenté. En quoi l'OM est-il un club qui offre cette deuxième chance ?
Avant d'arriver ici, tout le monde vous dit : "Il faut savoir où vous mettez les pieds !" Seulement, tant que vous n'y mettez pas les pieds, vous ne pouvez pas savoir. C'est comme un révélateur. Il faut du caractère pour signer à l'OM, il faut de la personnalité pour signer à l'OM (il insiste), il faut supporter la pression. Il faut le vivre à fond pour savoir qui tu es. Et tu as deux solutions : tu subis ou tu assumes.
L'OM a révélé des traits de votre personnalité ?
Avant, j'étais ultra-timide, très réservé à l'extérieur. J'étais très déconneur avec mon entourage proche et dans le vestiaire. Mais dès que je sortais de ce cercle-là, j'étais un peu en retrait, pas le premier à aller vers les autres ni à entamer des discussions. Depuis cet été, j'ai envie de m'exprimer davantage, de plus aider les autres. Pas pour faire du bruit, mais je me sens plus en confiance.
À vos débuts à l'OM, aviez-vous encore une forme de complexe, comme si ce n'était pas tout à fait votre monde ?
À partir du moment où j'arrive quelque part, je suis d'abord là pour être bon sur le terrain. Chaque chose en son temps. C'est comme ça que j'ai toujours vécu les choses : la deuxième année en Allemagne, je m'exprimais davantage parce que j'avais appris la langue, les gens me considéraient autrement ; à Lens c'était la même chose. Il faut d'abord être bon sur le terrain parce que tu peux ouvrir ta bouche dans le vestiaire toutes les deux minutes, si tu n'es pas bon, personne ne t'écoutera.
À Marseille, justement, vous avez découvert un autre monde, d'autres exigences, des crises, des changements d'entraîneur. Comment avez-vous appréhendé tout cela ?
J'ai vécu une première saison ici où je suis passé par tous les états : j'étais au-dessus des nuages pendant pas mal de temps, j'ai eu un creux, des difficultés mentales, des difficultés physiques, un changement de rythme de vie, puis c'est allé mieux, puis moins bien. J'ai découvert aussi des spécificités : ici, quand les supporters ne sont pas contents, ils ne sont vraiment pas contents ! Et quand ils sont heureux, ils sont vraiment super heureux ! C'est une histoire de curseur, en fait.
C'est-à-dire ?
Au départ, votre curseur fait cette taille-là (il mime un espace étroit avec ses deux mains, l'une au-dessus de l'autre). Puis, la jauge grandit, vers le haut mais aussi vers le bas. C'est là que ça devient dur parce que vous devez tout faire pour rester un peu au milieu. Et ça va de plus en plus vite, surtout avec les matches tous les trois jours, et là votre cerveau vous dit : "Attends, je suis content ou je ne suis pas content ?"
C'est éprouvant émotionnellement ?
Il ne faut pas trop monter le curseur parce que si tu perds trois jours après, il redescend très vite, mais il ne doit pas dégringoler non plus parce que psychologiquement, ça devient très compliqué. Si vous n'êtes pas stable et fort psychologiquement, c'est trop dur à gérer. Quand je me lance dans un truc, je le fais à 2 000 %, le moindre impact, je le ressens. Ça se voit sur mon visage, dans mon attitude. Plein de gens me disaient : "Jo, essaye de jauger tes émotions." Il faut trouver le bon dosage sur le plan psychologique parce que la vie à l'OM, c'est dingue !
Après avoir joué piston dans une défense à cinq, vous évoluez latéral dans une défense à quatre. Il existait des doutes sur votre capacité à tenir ce poste défensivement. Pour vous aussi ?
Je n'en avais pas (il rigole). Personne ne le savait mais j'ai été formé à quatre derrière. J'ai commencé ailier puis je suis redescendu latéral. J'ai démarré ma carrière pro, en D2 allemande (avec Bielefeld), dans une défense à quatre. Mais les gens, en France, m'ont découvert dans une défense à cinq. Et je vais même vous dire : quand on m'a annoncé que Marcelino allait signer et qu'il jouait à quatre, j'étais très content.
Il fallait le montrer à Didier Deschamps, aussi ?
Passer à quatre m'a aidé, je me sens bien dans ce système. J'en avais déjà parlé avec le sélectionneur, il m'avait dit qu'il pensait que j'en étais capable mais comme il ne m'avait jamais vu jouer dans ce système, à cette période-là (pour la Coupe du monde 2022), il ne pouvait pas se permettre de me prendre. Si ça ne se passait pas bien, ça nous aurait tous les deux desservis. Il m'en a encore parlé au dernier rassemblement, et j'ai bien compris sa position.
On a l'impression que vous ne voulez plus trop être ramené à cette trajectoire...
C'est ce que je cherche. À un moment donné, c'était beau et je suis profondément fier de ce parcours. Mais je ne veux plus être le petit garçon mignon à la télé qui profite de tout. J'ai pris conscience de là où je suis : à l'OM et équipe de France. On en reparlera dans dix ans et si je peux être un exemple pour des gamins plus tard, ce sera formidable, mais c'est derrière moi. D'une certaine façon, je rêvais le futur et maintenant je vis au présent. »