La "vraie vie", il la connaît. Non conservé par le centre de formation de Strasbourg en 2010, Jonathan Clauss aurait pu mener aujourd'hui l'existence de monsieur tout le monde. Il a bossé dur, s'est levé très tôt le matin, a distribué des prospectus... Mais une petite voix intérieure lui disait de s'accrocher. Il l'a fait en évoluant longtemps chez les amateurs avant de découvrir la Ligue 1 sur le tard avec Lens, il y a deux ans. Ce fabuleux destin l'a mené chez les Bleus, où Didier Deschamps l'a déjà utilisé à quatre reprises. Aujourd'hui, voilà le gamin d'Osthoffen à l'OM où il a été transféré pour 7,5 millions d'euros (+1,2 M€ de bonus). Une trajectoire exceptionnelle pour ce piston de 29 ans présentant le profil idoine pour occuper le flanc droit de l'équipe d'Igor Tudor. Il ne va pas falloir longtemps avant que les supporters le rebaptisent "Djoninho". Un surnom trouvé par l'un de ses coéquipiers hispaniques de l'époque où il jouait en 7e division allemande.
"C'était marrant et c'est resté", glisse l'international qui a pris le temps, entre deux séances à St George's Park, de détailler sa formidable histoire pour La Provence.
Une semaine après votre signature à l'OM, que ressentez-vous ?
Beaucoup d'honneur et de bonheur. C'est un club mythique, donc forcément particulier. Si on demande à n'importe quel joueur s'il veut venir à l'OM, beaucoup répondront : "Évidemment, c'est un rêve". C'est un club extraordinaire dont je suis fier de faire partie.
Vous attendiez-vous, ces derniers mois, à rejoindre une écurie de ce standing ?
Non, pas plus que ça. Je me suis un peu détaché du mercato, je n'ai pas eu beaucoup de vacances (il était convoqué chez les Bleus pour les quatre matches de Ligue des nations en juin, ndlr) et je ne voulais pas trop me plonger là-dedans. Quand mon agent m'a appelé pour me dire "rendez-vous urgent ce soir, il faut qu'on discute d'une offre qu'on a reçue", j'ai eu tout de suite le sourire aux lèvres puisque c'était l'OM. C'est normal.
Qu'est-ce qui vous a convaincu de quitter le Racing ?
Je pense qu'entre Lens et Marseille, il y a une différence, même si, pour moi comme pour tout le monde en France, le RCL est un très grand club historique. Mais l'OM, c'est encore plus grand. Je voulais me fixer un autre challenge.
Les négociations ont été serrées entre les deux clubs. On dit, justement, que vous avez revu vos prétentions salariales à la baisse pour que le transfert puisse se réaliser. Est-ce exact ?
Il y a eu beaucoup de discussions parce qu'on avait envie de trouver un accord, que ce soit à Lens, à Marseille, ou de mon côté. On a fait en sorte que... Tout s'est très bien passé, mais je ne vais pas forcément dévoiler tous les détails.
Parmi vos agents figure l'ancien Olympien Frédéric Déhu. Vous a-t-il vanté les mérites du club ?
Il m'a parlé de l'OM, bien sûr, mais si ça avait été un autre club, il m'aurait aussi planté le décor. Ça n'a pas du tout influencé le choix. Mais, évidemment, comme il a joué là, il connaît les rouages.
Vous faites partie de ces joueurs qui ont connu un parcours atypique, comme Franck Ribéry, Adil Rami, Mathieu Valbuena ou Romain Alessandrini... Est-ce une force pour vous ?
Bien sûr ! Sinon, je ne serais, à mon avis, pas là aujourd'hui. Dans la galère, on comprend la valeur des choses, du travail, de la remise en question... Ce sont peut-être des petits détails pour certains mais pour moi, ils sont beaucoup plus grands que ce qu'ils en ont l'air.
Pouvez-vous nous raconter cette période où vous évoluiez chez les amateurs et bossiez à côté pour gagner votre vie ?
Je m'entraînais trois fois par semaine, je travaillais, je faisais de l'intérim, j'essayais de chercher à droite à gauche ce que je pouvais faire pour combler mes journées et mon compte en banque (sourire). À 18-19 ans, il faut bien commencer à vivre un jour. Il y avait du travail de nuit, il fallait que je trouve les bons horaires parce qu'à 15h, je devais partir à l'entraînement... Ce n'était pas évident, même pour mes parents, qui ne savaient pas trop, qui se disaient que je faisais un peu d'études mais que j'avais envie de travailler quand même. J'étais un peu bancal, même si le football a toujours été la priorité. Mais, parfois, on ne choisit pas le niveau, ou alors on l'a en fonction de ce qu'on veut vraiment. Il faut croire que je n'étais pas vraiment prêt. Le football a toujours été ma motivation première mais je ne pouvais pas vivre que de ça. Ça ne suffisait pas...
En ayant connu "la vraie vie", vous devez mesurer la chance que vous avez désormais...
Totalement ! J'ai vécu les réveils à 4 h du mat'. Ce n'est plus trop le cas aujourd'hui et tant mieux, car ce n'était pas évident. Mais c'est la vie de 90 à 95 % des gens.
Quand vous êtes sur le terrain, vous dites-vous que dans les tribunes, il y a des personnes comme vous à l'époque ?
Je joue au foot pour les émotions, pour les gens qui me regardent. Je me dois d'être bon, je déteste rater des choses parce que j'ai trop de chance d'être là. Je veux faire en sorte que le public voit que je suis conscient de ce que j'ai dû traverser pour faire ce que je fais aujourd'hui.
Vous vouliez arrêter quand vous n'avez pas été conservé par le centre de formation de Strasbourg. Qu'est-ce qui vous avait poussé à continuer ?
Rien. Je n'avais plus envie de jouer. Je l'ai fait parce que c'était une habitude. J'étais tous les jours au foot, donc, forcément, ça en devient une. Mais ce n'était plus du tout un plaisir. J'étais déçu et triste. Même si vous vous y attendez, ça fait vraiment très mal quand on vous coupe l'herbe sous le pied comme cela. Mais j'ai continué à jouer pour occuper un peu mes journées, histoire de penser à autre chose. Ça aurait pu être la salle de sport, cela aurait été pareil.
Vos années de galère font qu'aujourd'hui, vous êtes présenté comme un joueur ayant beaucoup de spontanéité. Êtes-vous d'accord avec cette description ?
Je dis ce que je ressens au moment où je le ressens. On a un peu l'impression que les joueurs de football n'ont pas le droit de se plaindre. La plupart du temps, je ne me plains jamais, mais on peut aussi mettre des mots quand les choses se passent mal. Ce ne sont pas des excuses, mais il y a aussi des raisons qui peuvent faire que parfois je suis moins bon.
Nous ne sommes pas des robots, nous avons aussi nos problèmes, même si pour tout le monde on a une vie de rêve. C'est tout aussi difficile à gérer pour nous que pour les gens qui ont des soucis dans leur vie et doivent aller au travail et être efficaces.
Vous dites que vous avez le droit d'être moins bon, mais vous avez été excellent ces deux dernières saisons à Lens...
Oui, mais il y a eu des moments où ça a été un peu plus compliqué et ça fait partie d'une saison. Je ne me justifierai pas à chaque fois, parce qu'il arrive tout simplement que je ne sois pas bon, mais parfois il y a des situations explicables.
Si, à l'époque où vous distribuiez des prospectus, quelqu'un vous avait dit que vous seriez un jour international, l'auriez-vous pris pour un fou ?
À 99 %, oui. Mais il y a ce petit pourcentage qui reste et que j'ai toujours gardé. C'est peut-être cela qui m'a motivé pour me reprendre en main. Il y avait une partie, au fond de moi, qui me poussait à m'accrocher alors que mon corps et ma tête ne voulaient pas. Il y avait ce truc qui me disait de ne pas arrêter et de ne pas tout lâcher du jour au lendemain.
En quoi a consisté cette reprise en main ?
C'est un quotidien. Moins de sorties, une meilleure hygiène de vie, plus de concentration, moins de conneries... Il fallait que j'efface tout doucement tous les à-côtés qui ne faisaient pas trop de bien. Après, il fallait prendre des risques dans les changements de club. Quand j'étais en Allemagne, j'étais dans mon confort. Bien sûr, j'étais en D7 (au SV Linx, de 2013 à 2015), mais je gagnais un peu d'argent, je travaillais à côté, je vivais correctement, tout le monde m'aimait bien, j'étais bon sur le terrain. Tout seul, je n'aurais jamais fait le choix de partir à Raon-l'Étape en CFA2, alors que l'équipe était en reconstruction et qu'on était huit à la reprise... Quand mon père et mon meilleur pote m'ont dit "tu devrais revenir en France et essayer de te montrer", j'ai mis deux semaines à prendre la décision alors que c'était banal. Mais ça a déclenché quelque chose.
Aujourd'hui, qu'auriez-vous envie de dire à des jeunes joueurs qui se retrouvent dans votre situation de l'époque ?
S'ils ont perdu le plaisir du football, ils doivent vite le retrouver car c'est extraordinaire. J'ai de la chance d'avoir ce parcours, ça n'arrivera pas à tout le monde. Mais, peu importe le niveau, il faut garder ce plaisir de jouer. Le fait d'être sur le terrain doit être une liberté. Il faut que ce soit une sensation de lâcher prise. Cela permet d'évacuer beaucoup de choses.
Votre "seconde" carrière est exceptionnelle. Quels sont désormais vos objectifs personnels ?
Partout où j'ai été, je voulais que les gens comprennent que je ne suis pas là pour faire de la figuration. J'ai envie d'être bon, de performer tout le temps, peu importe où, quand et comment. Pour certains, cela passera par des stats, des passes décisives, des buts. Ça viendra si ça doit venir. À Lens, la saison dernière, on m'avait dit : "Il faudra que tu fasses mieux que la première année". La première année, on m'avait dit : "Il faudra que tu fasses au moins ça". J'avais répondu que je ferai ce que je suis capable de faire. Si je sens que je peux, je le ferai.
Pour l'instant, je m'adapte à un nouveau groupe, un nouveau coach, un nouveau club. Je donne tout, je m'arrache, je mets tout de côté, je me donne à 200 %, voire 300 % s'il le faut, et ce qui doit venir viendra. Je ferai le maximum pour être le plus performant possible. Mais après, il n'y a pas que moi qui décide.
Songez-vous à la coupe du monde au Qatar ?
À l'instant T, là, non. Pas pour l'instant. Si j'étais resté dans mon confort à Lens, j'y aurais peut-être pensé un peu plus. Aujourd'hui, je suis focalisé sur autre chose. Il y a l'adaptation, le changement de club, de vie. Tout cela prend encore un peu trop de place. Je fais étape par étape. Je vais essayer de m'installer le plus vite possible, de trouver mon cocon, d'être bien avec ma copine, de retrouver cette stabilité qui est un peu chamboulée depuis deux, trois semaines. Ce sont les aléas du mercato, mais après on verra.
Connaissiez-vous Marseille avant de signer ?
Non, je n'étais jamais venu à part en déplacement pour jouer avec Lens.
Quelle image avez-vous du Vélodrome ?
Quand on était sur le terrain avec Lens, on avait tous la même image. Beaucoup rêvent de jouer devant 60 000 personnes (sourire). Il n'y a pas beaucoup de stades en France et même dans le monde qui ont ce genre de capacité. C'est extraordinaire. L'ambiance était dingue. J'ai connu Bollaert en feu, j'ai aussi connu le Vélodrome en feu contre nous, c'est encore une sensation différente. Il n'y a pas de mot bien précis pour décrire ça. Ça dure tout le match, il y a un engouement exceptionnel.
Quels sont vos modèles footballistiques ?
Depuis que je suis tout petit, c'est Daniel Alves. J'adorais sa façon de jouer, sa dégaine, tout me plaisait chez lui.
À quelques années près, vous auriez pu l'affronter quand il jouait au PSG...
C'est sûr, c'est dommage. Mais il représente le Barça du très haut niveau. Il jouait latéral et ailier droit, j'étais fan absolu.
Comment vous définiriez-vous aujourd'hui ?
Je n'ai aucun regard sur ma personne depuis tout ce qui s'est passé. J'ai l'impression que tout est allé lentement et vite en même temps. J'ai du mal à regarder derrière et je n'en ai d'ailleurs pas envie. Je veux encore aller de l'avant. Pour moi, je suis toujours le même. Bien sûr, des choses ont changé, mais vous me voyez là comme j'étais en D7 allemande.
Hors sport, quelles sont vos passions ?
Je joue beaucoup à la Playstation et j'ai découvert le padel il y a deux ans. J'adore, c'est ludique, je pense que ça fera partie de ma vie très longtemps. J'aime aussi la pêche.
Vous avez beaucoup de tatouages, avec notamment un pharaon sur le torse. Que signifient-ils ?
Quasiment tous ont des significations particulières, mais ça reste très personnel et ce n'est pas spécialement intéressant. Certains ont été recouverts...
Pourquoi ?
Quand j'avais 18 ans, j'allais chez le tatoueur le moins cher, donc forcément, ça n'aide pas... (rires)
La Provence