Information
Il a bonne mine, Amine Harit (24 ans), en ce mardi ensoleillé. Heureux de parler de ballon et de sentiments, de raconter ce petit défi personnel, lui qui était prêté sans option d’achat par les Allemands de Schalke 04 : sortir de la cave pour participer à l’excitante fin de saison de l’OM, partir de tout en bas pour tirer les collègues vers le haut.
« Qu’avez-vous pensé du mea culpa de Jorge Sampaoli sur votre cas, le 22 avril ? C’est touchant, ça m’a surpris, je ne m’y attendais pas. J’étais dans ma voiture, on m’a envoyé cet extrait de la conférence. Cela prouve que les efforts finissent par payer, un jour ou l’autre. Je pense que je n’ai pas eu ma chance, et le coach l’a dit : j’aurais pu ou dû l’avoir. Je préfère que ça commence mal et que ça finisse bien. Les quatre-cinq premiers mois de ma saison, cela a été très compliqué. Beaucoup d’incompréhension. En même temps, je voyais l’équipe gagner, et tu ne peux pas demander à jouer quand ça tourne. L’équipe passe avant l’intérêt particulier.
Quels ont été les moments les plus compliqués ? Après Galatasaray (2-4, le 25 novembre 2021), je n’étais plus forcément à 200 %, je pensais jouer là-bas, je suis revenu dans le dur, mentalement. Avant les fêtes de Noël, et au retour des fêtes, surtout. Je débute à Bordeaux, le 7 janvier (1-0), je ne fais pas un match exceptionnel, mais on gagne. Un match normal, sans plus. Et je sors du plan de jeu, j’ai des deux-trois minutes par rencontre, même quand le coach fait tourner je ne suis pas dans la rotation. Là, je n’étais pas heureux dans la vie de tous les jours. Je venais au vestiaire, le fait de parler avec un bon groupe, dans une superbe ambiance, ça change les idées, sauf qu’après, tu rentres à la maison, tu y penses, tu cogites…
“Sa crainte (à Sampaoli) était que je perde un ballon trop facilement dans notre zone et qu’on se mange un contre
La situation était-elle plus pénible qu’à Schalke, la saison dernière, quand vous étiez titulaire dans la pire équipe des grands Championnats européens, seulement trois victoires en Bundesliga ? Schalke… La souffrance quotidienne, l’impuissance. On était rentrés dans une telle routine ! Tu perds tous les week-ends, tu as l’impression que rien ne marche, tu te demandes si ce n’est pas toi le problème. Ça se fritait un peu dans le vestiaire, l’ambiance était morose, à l’entraînement, ça allait un peu plus loin… Il fallait trouver le problème, soit il n’y avait pas assez d’engagement lors des séances, soit pas assez de prise de parole, pas assez de cadres ou quoi que ce soit. Même moi, je ne saurais vous dire le problème de fond. Mais entre jouer tous les matches dans une équipe en difficulté, ou être dans cette situation à l’OM, j’ai eu plus de mal ici.
Vos coéquipiers étaient pourtant au soutien… Je parlais beaucoup, avec “Dim” (Payet), Mattéo (Guendouzi), “Will” (Saliba), Pape (Gueye), “Bouba” (Kamara)… Toujours très proches de moi, que je joue ou non. Dans ces moments-là, le fait de venir me parler le matin, de me dire de patienter, ça compte… même si j’avais envie de leur dire : ‘‘C’est bon les gars, mais vous n’êtes pas à ma place pour comprendre ce que je vis, vous vous jouez !’’
La libération a eu lieu un soir de pluie à Brest… En vrai, depuis mon entrée contre Karabagh, à Bakou (3-0, le 24 février), un match super dur. Cela a été le petit déclic, sur ces quinze minutes de jeu. Je me sentais bien à l’entraînement depuis plusieurs semaines. Tout ce que je tentais, ça passait, ça m’a donné de la confiance. Quelques semaines après, j’ai enchaîné à Brest (4-1, le 13 mars), et le fait de marquer, de faire marquer, de se sentir décisif, pour un joueur à mon poste, c’est fondamental. Cela te permet d’être libéré sur la suite du match. Je sais que mes gestes, ils vont passer. Tu as ce petit truc. C’est dur à expliquer par des mots, mais tu le sens dans ton jeu, à l’instinct. À chaque fois que tu vas prendre le ballon, tu feras le bon choix.
Entre le 7 janvier et le 13 mars, aucune titularisation. Vous discutez avec Sampaoli à ce sujet ? On a échangé plusieurs fois. Le coach m’a dit ce qu’il me reprochait, il m’a donné ses raisons. Des petits ajustements, pas des trucs exceptionnels, mais tactiques, techniques, sur certaines phases, le fait de ne pas perdre de ballons. Il veut de la possession à tout prix, lui sa crainte était que je perde un ballon trop facilement dans notre zone et qu’on se mange un contre. Sa façon de voir le foot est très simple : on a le ballon, l’adversaire ne l’a pas, on a beaucoup moins de chances de prendre un but. Ça paraît être un truc bête, mais la logique s’avère implacable. Tant qu’on a le ballon, on n’est pas en danger.
Il préfère des joueurs qui tiennent le ballon plutôt que de l’impact. Le coach se réfère beaucoup à Manchester City, on essaye d’avoir un style de jeu similaire. Fatiguer l’adversaire, pour piquer au bon moment, sur un moment d’inattention.
“Sa fierté (de son père) n’est pas de voir que je performe, mais de se dire que son fils a bien mûri (...), qu’il n’est plus ce jeune qui enchaîne les conneries quand il est moins bien
Quelles sont vos relations aujourd’hui ? Je l’apprécie humainement, je le respecte beaucoup. J’ai la même vision du foot que lui, j’aime bien avoir le ballon. Ce jeu de possession, de provocation, Sampaoli vit de ça, il en est fou. Je me reconnais dans ça. Je ne vais pas vous dire que je l’ai toujours aimé quand on a eu des moments plus compliqués, c’est normal, c’est humain. Je n’étais pas énervé contre lui, mais je pensais parfois qu’il ne m’aimait pas. Il me l’a dit, les yeux dans les yeux, et moi aussi : ‘’Je t’aime beaucoup’’.
La tendresse d’un coach, c’est primordial ? Je suis quelqu’un de très émotif, j’ai besoin de sentir que j’ai une relation hors foot avec le coach. Quand je sens cela, je donne tout pour lui. Que ce soit Sampaoli, le coach Hervé Renard avec la sélection marocaine, mon ‘‘papa’’, ou David Wagner à Schalke, Sergio Conceiçao à Nantes, avec qui cela avait pourtant mal commencé. Des coaches proches des joueurs, à l’intérieur du groupe. J’ai besoin de ça, de me sentir aimé, pas en tant que footballeur, mais d’avoir une relation personnelle, presque intime.
Et votre père, Hassan, justement… Je suis très proche de lui. J’ai besoin de ses conseils. Aujourd’hui, après cette expérience marseillaise, sa fierté n’est pas de voir que je performe, mais de se dire que son fils a bien mûri depuis son arrivée à Schalke en 2017, qu’il n’est plus ce jeune qui enchaîne les conneries quand il est moins bien. J’ai vraiment évolué cette saison, moins dans mon football que dans la gestion des émotions. Quelques années en arrière, j’étais plus sujet à décrocher, mentalement. À Schalke, je suis arrivé dans une équipe qui tournait bien, on finit deuxièmes ma première saison, ça joue la Ligue des champions l’année d’après, je fais le Mondial 2018 avec le Maroc (élimination au premier tour), j’ai vécu une relégation la saison dernière… Tout ça m’a permis de me dire à l’OM : ‘‘Nan, mais tranquille en fait, fais le vide et au moment où on fait appel à toi, tu vas leur montrer de quel bois tu te chauffes’’. »
L'Equipe