Information
OM; Ünder sous les projecteurs; Promis à un avenir radieux, le Turc tarde à exploser. Prêté en Provence, il doit confirmer enfin les attentes
La destination reste peu connue, presque secrète, et cette confidentialité convient parfaitement aux locaux. Altinordu, au sud d'Izmir, se veut un club modeste, paisible pensionnaire de Ligue 2 où la défaite récente en play-off d'accession vers l'élite a été perçue par la direction comme un cadeau de Dieu. Ici, la priorité se situe ailleurs et la qualité de la formation façonne depuis des années la réputation de l'Altinordu FK. "La mentalité y est différente, la politique sportive aussi. Ce club a de bonnes structures, est performant dans la formation. Il ressemble à Auxerre", pose Bülent Akin, ancien joueur pro et ex-directeur sportif de Konyaspor.
C'est là que Cengiz Ünder a poussé, à deux heures de Balikesir, sa ville natale. Arrivé à l'âge de 10 ans, l'ailier au pied gauche ravageur passera neuf saisons à Altinordu, évoluant en L2 avec l'équipe fanion à tout juste 17 ans. Avant de rallier Istanbul et Basaksehir, pour 600 000 euros, à l'été 2016."Il figurait dans notre liste de joueurs suivis, on a vu tous ses matches, rembobine Mustafa Erögüt, président du club stambouliote. On a décelé un immense potentiel et on l'a engagé plutôt que d'attendre encore un peu.Et il a été tout de suite très bon."
Tellement bon que plusieurs escouades des grands championnats européens sont attirées par ce talent en devenir qui "joue pour ses amis", selon Erögüt, et porte Basaksehir à la 2e place du championnat, derrière Besiktas, mais devant les géants Fenerbahçe et Galatasaray. Le conserver une saison de plus apparaît rapidement impossible. "On aurait aimé le garder un peu plus, mais on a eu une très bonne proposition de Manchester City, une autre d'un club de Bundesliga, pour un montant d'environ 15 M€, retrace le patron du club cher au président Erdogan. Il a choisi Rome car il entrait dans les plans de Monchi."
Le directeur sportif de la Roma arrache, en juillet 2017, sa signature pour 13,4 M€ (+ 1,5 de bonus), et offre Ünder à un Eusebio Di Francesco en quête d'un gaucher pour occuper le flanc droit, voire jouer en meneur de jeu. Accueilli par la légende Francesco Totti à son arrivée à Trigoria, le centre sportif du club, le Turc, tout juste 20 ans, est précédé par une réputation flatteuse. Les tifosi s'enflamment. "Il y avait beaucoup d'attentes, il était surnommé le Dybala turc", explique Gabriele Fasan, journaliste à Il Romanista, quotidien spécialisé dans l'actualité des Giallorossi. "Mais ça n'a pas été facile au début, décrypte Maxime Gonalons, son partenaire. Il y avait la barrière de la langue, il était assez réservé. Un traducteur était à ses côtés et l'accompagnait presque sur le terrain. Ce qui ne l'empêchait pas d'être très apprécié du groupe, notamment pour sa gentillesse, et d'être un footballeur incroyable. C'était la petite pépite turque, la relève."
Il s'en montrera digne en seconde partie de saison, apprivoisant enfin ce nouveau football et ce nouveau pays. Un but sur le terrain du Hellas Vérone, début février, lance véritablement son aventure romaine. "Il a beaucoup marqué par la suite, donné des passes décisives et eu un impact assez positif sur l'équipe. Il a été impressionnant en deuxième partie de saison", savoure Gonalons. La mesure n'étant pas une vertu en cours du côté du stade Olympique, sa cote d'amour explose. "Il est devenu une idole pour les tifosi qui ont besoin de rêver, d'avoir de nouveaux espoirs", explicite Fasan.
Adoubé par la légende Totti
Totti l'adoube, ce qui est tout sauf anecdotique à Rome, où "il y a le Pape et Totti juste en dessous", indique Gonalons. L'idole romanista bade Ünder, compare ses coups de pied arrêtés à ceux frappés par Alvaro Recoba en son temps (comment ne pas songer au corner pour Manolas face au Barça en Ligue des champions...), le trouve fort physiquement et intelligent. "S'il comprend certaines choses, il deviendra très fort", promet-il lors d'un échange avec Christian Vieri sur Instagram.
Sauf que, pour sa deuxième saison dans le calcio, la Roma pique sa crise, limoge Di Francesco et enchaîne les entraîneurs (Claudio Ranieri, Paulo Fonseca). Le Turc ne s'y retrouve pas, empoisonné par des blessures musculaires à répétition. Il ne parvient pas à redresser la pente pour sa troisième année à la Roma. Qui sera sa dernière, le club romain comptant trop de joueurs et voyant en Ünder l'une de ses principales valeurs marchandes.
Direction Leicester, en septembre 2020, pour un prêt avec option d'achat, et un rêve exaucé : celui d'évoluer en Premier League. "Leicester n'avait pas eu d'ailier droit gaucher comme lui depuis Riyad Mahrez (parti à Manchester City, en 2018, ndlr) ; les fans espéraient qu'il pourrait avoir un impact similaire, sa venue les a excités", déroule Rob Tanner, spécialiste des Foxes pour The Athletic.
Les premiers pas se révèlent encourageants lorsqu'Ünder, scouté pendant un an, sort du banc pour faire la différence, par des buts en Ligue Europa et en Cup, ou des passes décisives à Jamie Vardy, notamment lors du succès historique à Arsenal, le premier depuis 1973. Mais la suite tourne mal, à partir de Noël. "Peut-être parce qu'il savait qu'il jouait pour son avenir, il en faisait trop, constate Jordan Blackwell, du quotidien Leicestershire Live. Il n'a jamais gagné la confiance de Brendan Rodgers en lui montrant qu'il pouvait défendre. Ensuite, il a commencé à se blesser légèrement et, au cours des dernières semaines de la saison, Rodgers ne l'alignait même pas sur le banc." "Il n'était peut-être pas prêt physiquement pour un tel championnat, ce n'était pas le meilleur choix", souffle Erögüt.
À 24 ans, Cengiz Ünder se trouve déjà à un carrefour de sa jeune mais agitée carrière. "Peut-être aurait-il dû passer par un club de moindre envergure que la Roma quand il a quitté la Turquie, évalue Akin. Il doit être plus pro, en vouloir plus. L'OM est, à mon avis, sa dernière chance dans un club de ce calibre-là. C'est une bonne occasion de montrer sa valeur, de retrouver son jeu et de sauver son image. À lui de se ressaisir. J'espère qu'il en prendra conscience." "Il va revenir au top à Marseille, j'en suis convaincu", conclut Erögüt.
Sur ce qu'il a montré contre le Servette (3-1), il en brûle d'envie. Sur ce qu'on a vu face à Braga (1-1), ça devrait prendre plus du temps. Même si, à Altinordu, personne ne doute de lui.
La Provence