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À l’aile, la vie est belle
L’aiIier de 20 ans, à l’éducation impeccable et à la personnalité discrète, qui détonne sur le côté gauche de l’OM, est un danger constant pour les défenses adverses. MATHIEU GRéGOIRE et FLORENT TORCHUT
À l’aise dans les couloirs de la Commanderie comme s’il vivait au club depuis mille ans, Mattéo Guendouzi interpelle jeudi après-midi Konrad de La Fuente, lui tapote les abdos et espère qu’il n’est pas trop « fatigué ». Son cadet de deux ans répond par un murmure inaudible et un timide sourire. Konrad de La Fuente a un nom d’aventurier, un style de jeu flamboyant et une personnalité discrète. Réservé et bien élevé, il se transforme sur le terrain, prend une assurance folle sur son côté gauche, épate même l’impitoyable Jorge Sampaoli : « Il doit être plus régulier, mais on a été surpris, au sein du staff, on pensait qu’il aurait besoin d’un peu plus de temps pour s’adapter à ce qu’on lui demandait, souffle l’Argentin. Il a des caractéristiques pour devenir un joueur important de l’équipe. »
L’international américain, 20 ans tout juste, est la plus jeune recrue de l’été marseillais, la plus inexpérimentée aussi, quelques minutes en pros au Barça, où il a été formé à partir de ses 12 ans. Ses bons copains de la Masia, Nico Gonzalez et Alvaro Sanz, sont encore en Catalogne, le premier avec l’équipe A, le second dans la B. Après avoir repoussé quelques propositions de prêt à l’été 2020, lui a décidé de sauter le pas, l’exil a toujours réussi à sa famille. Haïtiens d’ascendance dominicaine, Jennifer et Konrad de La Fuente ont fondé leur foyer à Miami, en Floride. Ils ont deux garçons, Konrad et Richard. « Petit, Konrad était fasciné par la moto qu’avait son père, raconte Jennifer. Il a commencé à courir en Honda 50 sur circuit dès l’âge de 4 ans. En tant que parents, on préférait le foot, on l’a poussé à jouer après l’école, pour qu’il ne reste pas enfermé devant la télé avec son frère. Il a d’abord intégré la Doral Milan, une école de foot fondée par l’AC Milan, mais il changeait d’équipe tous les ans. Le football est très compétitif en Floride, avec tous les jeunes latinos qui y vivent. À 9 ans, un entraîneur brésilien l’a vraiment aidé à s’améliorer, à se focaliser sur sa progression mentale, sa préparation, sa technique individuelle. »
Ronaldinho, son idole
Sa mère est une vraie amatrice de ballon. « Elle m’a transmis sa passion, confie Konrad. Elle adore les artistes brésiliens, Ronaldo, Ronaldinho. “Ronnie” est devenu mon joueur favori, je voulais être comme lui, je l’imitais déjà tout petit. J’aimais aussi Robinho, j’enchaînais les vidéos YouTube, je prenais tout ce que je pouvais. » Après l’école bilingue (espagnol-anglais), il enchaîne les duels balle au pied face à son frère. Sa bande de l’époque, dont son meilleur ami Raul Ley, essaie bien de le convertir à la NBA ou à la NFL. Konrad ne fait qu’une concession : il vénère LeBron James, passé par Miami. « Je le suis dans toutes ses franchises, j’achète son maillot chaque année », glisse-t-il. Depuis sa maison de Marseille, où il s’est installé avec sa mère et son petit frère, il suivra la saison des Lakers. Et aussi l’actualité, souvent déprimante, du berceau familial, Haïti, frappé par la corruption et les malédictions, où il s’est rendu à six ou sept reprises. « J’ai encore mes cousins, oncles, tantes, grands-parents à Port-au-Prince », dit-il, sans s’épancher.
Après l’enfance à Miami, l’adolescence à Barcelone. Son père obtient un poste d’attaché commercial à l’ambassade d’Haïti à Madrid en 2011, sa mère décide d’atterrir du côté du Camp Nou avec les enfants : « Après tant d’années en Floride, je ne pouvais pas me passer de la mer ! » À 10 ans, Konrad se fait repérer par les recruteurs du Barça lors d’un tournoi local. Ils vont suivre son évolution pendant deux saisons, à Technofutbol, un club du quartier de Horta, puis à la Damm, une équipe de celui de Porta. « Il avait le profil parfait pour évoluer sur l’aile chez nous et intégrer rapidement nos concepts de jeu, explique Marcel Sans, alors entraîneur des moins de 13 ans du Barça. Il avait la vitesse et la qualité de dribble, mais aussi une bonne frappe, ce qui nous a interpellés : c’est rare qu’un joueur de son âge possède ces trois caractéristiques. On le faisait jouer sur les deux côtés. Il avait la puissance pour faire la différence le long de la ligne, en un contre un. Quand il partait de la gauche, il finissait souvent les actions en repiquant dans l’axe pour tirer du droit. Et à l’inverse, sur la droite, il avait l’habitude de déborder puis de chercher un partenaire dans la surface. »
“Ousmane Dembélé ? Il m’a aidé à me sentir bien sur le terrain. À jouer dans le bon tempo, à croire en mes capacités
Konrad de la Fuente
À la Masia, Konrad est l’élève modèle, celui qui écoute attentivement ses formateurs et corrige ses défauts, apprend la moindre subtilité du 4-3-3 catalan et la culture du bon choix chez l’attaquant blaugrana : « Toujours aller de l’avant mais savoir quand revenir à l’intérieur, où aller, où ne pas aller, trouver l’espace ou la bonne passe », se souvient-il. Il ne s’embrouille jamais avec un coéquipier, un adversaire ou un coach. Il ne va pas au collège avec ses camarades de promotion, il suit à la maison les cours en ligne d’une école américaine, sous l’œil de maman, et les notes sont excellentes. Il découvre les pros à l’été 2020 ; dans le vestiaire des stars, un dribbleur rigolard invite l’introverti à se lâcher. « Ousmane Dembélé, sourit Konrad. Une personne très drôle, toujours de bonne humeur. Il est l’un des meilleurs joueurs du monde, il est vraiment malchanceux avec les blessures. Il m’a aidé à me sentir bien sur le terrain. À jouer dans le bon tempo, à croire en mes capacités. »
Konrad est désormais à Marseille et Dembélé l’a félicité pour son choix. Son frère de 18 ans, ex-pensionnaire de Division 3 en Espagne, s’est trouvé un petit club de Marseille pour se défouler. À l’OM, l’ailier s’est, lui, rapproché du clan des hispanophones ; Alvaro l’a épaulé dès ses premières heures en Provence. « Il est comme un grand frère, il m’a guidé avant même le premier entraînement », confie le jeune homme. Il ne met pas l’ambiance dans le bus mais a vite pigé les consignes de son entraîneur, Sampaoli, pas si éloignées de la Masia selon lui.
Tourmenteur des latéraux de L1, il veut que son patronyme rime avec danger, faire lever le Vélodrome, il parle de gagner la Ligue Europa et se rêve à la Coupe du monde 2022. Il résume : « J’aspire à créer, je suis toujours en train de demander le ballon. Pour dribbler, trouver un partenaire libre, tirer, marquer… » Il est déterminé à aller au bout de son raisonnement. CQFD, de La Fuente.
L'Equipe