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Frères do Brasil
C’est l’histoire d’une amitié improbable sur fond de foot entre deux gamins, l’un déshérité, l’autre privilégié. Gerson, le milieu de l’OM, était, enfant, le meilleur ami de Tom, fils de Caetano Veloso, l’icône de la musique populaire brésilienne. Au point d’être quasiment adopté par la famille de l’artiste. Par Éric Frosio, à Rio de Janeiro
Les telenovelas brésiliennes pourraient s’inspirer de cette histoire : comment un enfant pauvre de la zone nord de Rio de Janeiro peut-il se lier d’amitié avec le fils de l’un des artistes les plus célèbres du pays ? Comment un gosse de Nova Iguaçu, une ville de la périphérie gangrenée par le trafic et la milice, a touché le cœur d’une famille privilégiée de la zone sud ? « C’est la magie du foot, résume Marcão, le courageux papa de Gerson Santos da Silva, milieu de terrain brésilien de 25 ans qui s’est imposé à l’OM la saison dernière. C’est le foot qui nous a sortis de la galère. Et nous a permis de rencontrer des gens différents et passionnants comme Tom et Caetano Veloso. »
Avec trois filles et un petit garçon à élever, Marcão, qui travaillait comme vigile, vendait du pop-corn ou ramassait de la ferraille et des ordures, avait juste de quoi mettre du riz et du feijao dans les assiettes. Seul espoir, le talent de footballeur du garçon, sur lequel toute la famille a misé. Jessica, la grande sœur, se souvient : « On n’avait presque rien, sauf le droit d’aller à l’école. Tout était destiné à payer les chaussures ou le bus pour que Gerson aille à l’entraînement. »
Après des premiers pas dans la rue, une tentative au Flamengo avortée car le centre d’entraînement était trop éloigné, c’est au sein du rival Fluminense que le petit gaucher au regard perçant trouve sa place. Lors de son premier entraînement de futsal, avec les moins de 11 ans, il croise la route d’un petit garçon aux cheveux bouclés et aux yeux rêveurs, né en 1997 comme lui. À l’époque, Tom Veloso, dernier des quatre enfants de l’icône de la « MPB », la musique populaire brésilienne, est obnubilé par le foot et par son idole, Lionel Messi. « Quand Gerson a débarqué, on a eu l’impression qu’il se la pétait un peu (rires). Il semblait un peu hautain. Mais en fait, c’est un mec doux, avec un gros cœur. En deux séances, il avait séduit tout le monde », se souvient avec nostalgie le jeune homme de 25 ans, devenu finalement musicien, comme le paternel, figure culturelle majeure et engagée, toujours révolté par les « scandaleuses inégalités de la société brésilienne... »
Entre leurs 10 et 15 ans, malgré les différences sociales et culturelles, Tom et Gerson s’entendent à merveille. Gerson fréquente souvent la maison des Veloso. Ils jouent au foot dans le couloir, à la console. Ils regardent aussi les matches de leur vrai club de cœur, le Flamengo, version Adriano et Ronaldinho, où Gerson finira par jouer entre 2019 et 2021 (c’est de là qu’il a été transféré à l’OM pour 20 M€, l’an passé). Malgré sa retenue naturelle, Gerson s’intègre au sein de la famille du chanteur. Il dort chez les Veloso, assiste à des concerts et est même invité à passer avec eux un été à Salvador de Bahia, leur fief. « Mon père l’a adopté, il a toujours adoré sa personnalité, assure Tom. Il l’a accueilli comme un membre de la famille. Derrière sa mauvaise humeur apparente et ses sourcils froncés, Gerson était marrant, il aimait plaisanter. Et mon père s’en amusait... »
De son côté, Tom Veloso, lui aussi, découvre un univers que les gamins privilégiés de son rang ne soupçonnent pas. « En allant chez Gerson, j’ai vu la réalité de notre ville, la pauvreté. Ça m’a ouvert les yeux. » Et ça lui a permis de comprendre d’où Gerson tirait sa détermination. « Quand tu vois ce qu’il a traversé, tu comprends mieux pourquoi il est dur et il ne baisse jamais les yeux. »
À l’adolescence, pendant que Tom Veloso abandonne son rêve de foot, « faute de talent et de discipline », Gerson ne lâche rien et signe son premier contrat pro avec le Flu, le jour de ses 16 ans. Début d’un parcours qui l’a mené aujourd’hui à Marseille et même, depuis l’an passé, en Seleçao (4 sélections). Entre les copains, l’éloignement a distendu le contact, mais Tom essaye de voir jouer Gerson le plus souvent possible. « Il est plus physique et moins offensif. Mais il a gardé ses qualités techniques et sa vision périphérique... » Le dimanche 7 août, l’OM reçoit Reims pour la 1re journée de Ligue 1. C’est aussi le jour des 80 ans de Caetano Veloso. l
L'Equipe