Cinq ans et demi après, Frank McCourt a exaucé le voeu de sa dulcinée. Au cours d'une rencontre avec L'Équipe Magazine, en décembre 2016, Monica, l'épouse du tout frais nouveau propriétaire de l'OM, avait tendu la perche à son mari : "Je n'arrête pas de lui dire que nous avons besoin d'un joueur colombien. Après Falcao et James Rodriguez, il doit détecter le prochain grand talent de notre football."
Soixante-sept mois plus tard, le club marseillais a enfin mis le grappin sur ce fameux compatriote tant espéré par la conjointe du Bostonien, native de l'extrême nord du continent sud-américain. Rien à voir avec sa requête de l'époque, ceci dit. Elle-même n'étant pas franchement passionnée par le ballon rond, il s'agissait davantage d'une boutade qu'autre chose. Et puis, ces temps-ci, l'ancien patron des Dodgers de Los Angeles est davantage préoccupé par les pertes financières de son écurie que par la nationalité des recrues olympiennes.
"Un joueur
du groupe Pozzo"
Voilà pour le contexte. Maintenant, place au nom de ce fameux renfort : Luis Suarez. "Mais c'est LE Luis Suarez ?", se sont demandé beaucoup de supporters (enfin, ceux qui ne dormaient pas) lorsque l'alerte du communiqué officiel de l'OM a fait vibrer leur smartphone au cours de la nuit du lundi 18 au mardi 19 juillet. Enthousiasme retombé illico dès l'ouverture du lien.
Né à Santa Marta, ville portuaire des Caraïbes colombiennes, il y a vingt-quatre ans, Luis Javier Suarez Charris n'est bien sûr pas le Pistolero, ancien attaquant vedette du Barça, aujourd'hui âgé de 35 ans, qui vient de passer deux saisons à l'Atlético de Madrid. Ni, évidemment, le Ballon d'Or 1960, lequel avait alors devancé les illustres Ferenc Puskas, Uwe Seeler - décédé ce jeudi - Alfredo Di Stefano, Lev Yachine, Raymond Kopa ou Bobby Charlton. Ceci ne l'empêche pas de présenter un profil intéressant pour Igor Tudor. "Il a un énorme potentiel, c'est un joueur très puissant, qui se déplace vite et s'avère bon dans les duels", détaille un scout espagnol l'ayant longuement scruté à Grenade.
Avis partagé par un journaliste suiveur du Séville FC : "Il a été bon ces dernières saisons, c'est un gros travailleur." Les Blanquirrojos ont même pensé à lui et envisagé de le recruter ces dernières semaines, quand bien même il ne figurait pas en tant que numéro 1 sur leur short-list.
Dithyrambique, l'observateur ibérique poursuit la présentation : "Sa frappe est très précise à courte et moyenne distance. Il utilise principalement des dribbles courts pour éliminer ses adversaires et les laisse facilement derrière lui. Il possède une bonne technique individuelle, ce qui lui permet de jouer dos au but, mais il a surtout de l'appétit pour le jeu en profondeur. Il anticipe bien et a de l'intuition. Il peut jouer seul devant, à deux, ou sur les côtés."
Le portrait rappelle celui dressé par Pablo Longoria la semaine passée en conférence de presse : "Luis Suarez est un joueur polyvalent sur les postes offensifs. La saison dernière, il a joué comme attaquant central mais aussi sur le côté gauche. On l'a engagé pour avoir un joueur avec des caractéristiques différentes de ceux qu'on a dans l'effectif actuel. Il peut presser, répéter les efforts à haute intensité avec de la vitesse, il a la capacité à attaquer les espaces. Ce profil est nécessaire pour développer l'idée de jeu d'Igor."
Le montant de son transfert n'a pas été dévoilé. Il ne le sera sans doute jamais, même si plusieurs sources évoquent un tarif avoisinant les 10 millions d'euros, bonus compris. Il faut dire qu'avec ce Suarez-là, engagé jusqu'en juin 2027, un pan des coulisses de l'univers du football moderne est entraperçu.
"C'est un joueur du groupe Pozzo", rappelle un agent bien implanté en Italie. Pozzo, quèsaco ? Giampaolo Pozzo, le papa, octogénaire, détient Udinese, le club de sa ville natale italienne depuis près d'un tiers de siècle. Mais il a aussi été propriétaire de Grenade (Espagne), de 2009 à 2016. Gino, le fils, 57 ans, est, lui, à la tête de Watford, en Angleterre, mais c'était d'abord un bien acquis par son père (en 2012).
Leur politique ? Recruter des jeunes éléments à fort potentiel, les faire progresser dans des écuries satellites, les rapatrier dans leurs clubs phares pour ensuite réaliser de belles plus-values sur leur revente. C'était le projet pour le Colombien lorsqu'il a débarqué en Europe en 2016. "C'est un produit made in Udinese, sauf que les bons produits Udinese évoluent à Udinese ou à Watford... Au bout du compte, lui n'y a jamais joué, explique l'imprésario transalpin. Comme il était aussi propriétaire de Grenade, Pozzo l'avait placé là car il était extracommunautaire colombien et n'avait pas le passeport (espagnol, qu'il a désormais). Il l'a ensuite récupéré (à Watford, en 2017) quand il a vendu le club, mais comme il y avait des accords avec Grenade, il l'a finalement renvoyé là-bas (en 2020)."
Et entre-temps ? Il a enchaîné trois prêts à Valladolid, Tarragone et Saragosse. Loin du très haut niveau de la péninsule.
C'est toutefois là qu'il s'est illustré, surtout dans l'Aragon, où il a inscrit 19 buts en 2019-20 en Liga2. "Il est intéressant mais un peu limité, poursuit le conseiller de joueurs. Il aurait dû jouer à Udinese, mais il n'y est jamais allé parce que ça ne passe pas en Italie. Il a du caractère, il court, heureusement d'ailleurs... Je l'aimais bien, mais il n'a pas eu des statistiques incroyables. Au début, il était attaquant axial, mais il a finalement occupé plusieurs postes car il n'est pas très adroit. Il n'a pas joué à Watford, c'était peut-être un problème de permis de travail, mais il aurait quand même eu du mal."
Notre interlocuteur tempère, néanmoins : "Est-ce que c'est une bonne acquisition pour l'OM ? Pour 10 M€ aujourd'hui, il n'y a pas grand-chose chez les attaquants, donc je ne pense pas que ce soit une mauvaise affaire."
Cette transaction a-t-elle, dans le même temps, permis à Pablo Longoria de discuter tranquillement avec les Pozzo, lesquels avaient décidé de ne faire aucun cadeau à l'OM quand Jacques-Henri Eyraud s'était entêté à récupérer Pape Gueye gratuitement à Watford en 2020 ?
"C'est une pure construction intellectuelle. Il n'y a aucun rapport avec cette affaire", réplique-t-on à La Commanderie. Le club anglais est en effet déterminé à aller jusqu'au bout de la procédure, dont le jugement sera rendu en octobre. D'ici-là, on saura aussi ce que vaut réellement ce mystérieux Luis Suarez.
La Provence