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Lihadji, le rêve reconstruit
Victime d’une fracture du tibia droit en 2013, alors qu’il devait rejoindre le FC Barcelone, l’espoir de l’OM a repris sa trajectoire, entre vie modeste et coups d’éclat sur le terrain.
Ce samedi de novembre 2013, il pleut sur le stade du Grand-Pavois, un îlot de verdure synthétique à quelques centaines de mètres de l’A51, plus au nord encore que les quartiers nord de Marseille. Les locaux du FC Septèmes reçoivent les gars du Burel FC, terreurs du Championnat des moins de 12 ans. Isaac Lihadji, la mascotte du FCS, n’est pas là, alors qu’il n’arrive jamais en retard. « Ma mère ne voulait pas qu’il vienne ce jour-là, comme si elle avait eu un pressentiment », se souvient Daniel, l’un des deux frères aînés de Lihadji. Stanislas Delapeyre, son coach, dégaine son portable, le minot de onze ans finit par débarquer. Avec lui, les matches s’éclairent. L’entraîneur du FC Septèmes en convient, il ne s’embarrasse pas toujours de tactique : « Sur le coup d’envoi, on donne la balle à Isaac, il dribble, il marque, on mène au bout de vingt secondes de jeu. Combien de fois c’est arrivé ! Il est tout petit, tout maigre, l’adversaire se dit qu’il ne va rien faire du tout, mais quand il a le ballon, plus personne ne le revoit. »
Ce terne jour d’automne, les costauds du Burel, eux, sont prévenus. En pointe, Isaac martyrise un défenseur central lent, mais les espaces sont rares. L’attente, puis la brèche, le camp adverse parcouru à toute vitesse, le un-contre-un avec le gardien, qui fond sur lui, les deux pieds en avant. Isaac crochète, réussite éphémère d’un geste qu’il ne pourra jamais célébrer. Tibia droit fracturé. « On entend tous le bruit, se remémore “Stani” Delapeyre. Le geste est violent, la moitié des enfants sont en larmes. On veut arrêter le match, on va finir par le terminer alors que le camion des pompiers l’emporte. Il était notre prodige, celui qui devait signer au Barça, celui que les recruteurs de Manchester City ou du Paris-SG venaient superviser. Je m’en suis longtemps voulu de ne pas avoir su le protéger. »
Derrière le grillage, Farid Nasri (cousin germain de Samir), dirigeant du FC Septèmes, a « les larmes aux yeux » : « Notre gazelle est à terre. » À ses côtés, Nabil Hannachi, éducateur du club, qui deviendra le tuteur d’Isaac après le décès de son père, s’apprête à filer à l’hôpital. « Avant cela, tout était simple, si simple. Le foot, ce n’était que du bonheur à l’état pur », dit-il. Le moyen d’enchanter un quotidien avec le ventre vide, souvent, et des chambres sans poster sur les murs. « On n’avait pas les moyens de s’acheter les livres avec les affiches dedans, on imprimait les images dans des taxiphones, on les collait dans nos cahiers », sourit son frère Daniel, vingt et un ans aujourd’hui.
Avec Isaac, ils regardent en boucle les montages vidéos Viva Futbol sur YouTube, s’imprègnent des gestes de Cristiano Ronaldo, de Lionel Messi et du plus grand à leurs yeux, Ronaldinho. Puis ils vont les imiter en bas de la tour H du parc Kallisté, sur le parking en pente. « Et Isaac, il les reproduit bien mieux que moi », souligne tendrement le frangin. La brindille Lihadji prend sa première licence à neuf ans, au FC Septèmes. Son éducateur, Nabil Hannachi, est marqué par sa facilité. Il va voir les parents à Kallisté, des humbles Comoriens originaires de la région de Foumbouni. La cité est sans doute la plus pauvre des quartiers nord de Marseille. Impossible de changer ça, alors on agit sur les petits riens : chacun veille désormais à ce qu’Isaac ne sorte pas dehors en tee-shirt au mois de novembre. Il y a un rêve au bout. Le FC Barcelone. Après le décès de son père, des suites d’une longue maladie, Nabil et les autres veulent envoyer Isaac voir un match de Messi en Catalogne.
Le destin sera plus joueur encore. Alors que Lihadji n’a pas onze ans, il finit meilleur footballeur d’un tournoi à Fréjus. La nouvelle arrive jusqu’à Michel Zamora, le recruteur du Barça, vite sous le charme : « Je le prends pour un premier stage à Colomiers (dans la banlieue de Toulouse), puis il fait deux essais au printemps 2013 à Barcelone, avec les jeunes de sa catégorie, pendant ses vacances scolaires. Il est très bon, s’intègre bien. Guillermo Amor et Albert Puig, les responsables du centre, veulent le revoir. »
Daniel, le frère, suit les aventures d’Isaac à la Masia : « Il a vu Xavi, il n’en croyait pas ses yeux! » Zamora souffle : « On se prend vite d’affection pour lui. On lui fait parvenir des crampons dans sa cité. Sa notoriété enfle, il devient aussi la cible des autres… Sans sa jambe cassée, il serait au Barça. »
Il a tapé dans l’œil de Villas-Boas
Il faut oublier la signature promise. Pour revenir à son meilleur niveau, Lihadji mettra près de deux ans. Les appuis sont moins prononcés, certains observateurs moquent sa puissance de frappe, alors faiblarde, ses corners qui n’arriveraient même pas au premier poteau. Les recruteurs du PSG et de City ont disparu. Il ne reste plus que deux formateurs de l’OGC Nice, Franck Sale et Jean-Marc Luvera, qui ont parié sur lui quoi qu’il arrive. Lihadji doit s’engager avec le club azuréen, mais José Anigo tente une ultime manœuvre pour l’OM. Via son ami Christian Bandikian, patron de la boîte de nuit Le Mistral à Aix-en-Provence et père de Tom, qui évolue aussi chez les jeunes à l’OM, Anigo provoque un rendez-vous avec Nabil Hannachi. Jean-Luc Cassini, futur patron de la formation olympienne, aura ce mot lors des discussions : « On a raté Zidane, alors si on rate Isaac… » On s’en remettra ? Lihadji s’engage quand même avec l’OM, à l’été 2014, tibia à peine déplâtré, tout comme son ami Yassine Benhattab, dit « Zino », aujourd’hui à Niort (L 2).
Malgré la défiance de Cassini, Lihadji s’accrochera, jusqu’à taper dans l’œil d’André Villas-Boas, le nouvel entraîneur de l’OM. Depuis le 14 juillet, des discussions sont en cours pour la signature d’un premier contrat professionnel. « Zino et Isaac sont revenus nous voir à Septèmes fin août, confie Farid Nasri. Isaac, il est trop sage… Une fois, je l’ai emmené déjeuner à La Ciotat avec ma femme et ma fille, il n’a pas dit un mot du repas. » Daniel se marre : « Pour moi, c’est le “caméléon”, il passe partout. Isaac, c’est le respect incarné, il peut être discret à mort. Mais avec les copains, il se lâche, il adore le coupé-décalé ! On aime aller à la plage à Corbières, après l’Estaque... On est tous allés le voir lors de l’amical face à Naples (0-1, le 5 août, Lihadji était entré à la 69e), on était tellement fiers ! »
Lors de son retour en équipe de France des moins de 18 ans, fin août, les coéquipiers et le staff lui ont fait une haie d’honneur à la suite de ses débuts. Après plusieurs années de pensionnat à la Commanderie, Lihadji est retourné auprès de sa mère, à Kallisté, dans un appartement bien plus spacieux de la tour I. Mariata continue de prendre le bus à l’aube pour aller faire des ménages dans le sud de la ville. Les 1 000 euros par mois du contrat aspirant d’Isaac ne sont pas de trop.