RAMI
« Je vois bien, avec ce qui se passe autour de moi,
que j’ai dépassé les limites du foot » Depuis la Coupe du monde, où il a joué un rôle central sans entrer sur le terrain, le défenseur de l’OM a vu sa popularité exploser. S’il est fier de sa destinée unique, Adil Rami tient surtout à être considéré comme un footballeur.
On l’a rencontré quelques jours après la fête des champions du monde au Stade de France. Quelques jours avant que ses ischios ne lâchent contre l’Eintracht Francfort, en Ligue Europa. L’OM a perdu le match et son défenseur pour dix à quinze jours. La reprise aurait pu être plus simple pour Adil Rami, qui peine à retrouver le niveau qui a fait de lui, avec 53 matches joués, l’un des piliers du système de jeu de Rudi Garcia, la saison dernière. Mais, en cette matinée de septembre où le soleil marseillais est en RTT, Adil Rami affiche le même sourire qu’on lui a vu avec les Bleus. Il n’a pas fait dix mètres en sortant de son Uber qu’on l’interpelle pour une photo. Puis deux. Puis trois. En mode sportswear stylé, cheveux et barbe impeccables, illustre moustache taillée, Adil Rami avance entre les selfies – « c’est comme ça tout le temps depuis la Coupe du monde » – jusqu’au lieu de l’interview, la Tour La Marseillaise, nouvelle pièce de la skyline phocéenne, quai d’Arenc. Un immeuble de bureaux ultra-moderne du groupe Constructa, dessiné par Jean Nouvel, avec une vue sur la ville et sur la mer à tomber, même s’il ne vaudrait mieux pas, vu qu’elle culmine à 135 m. Égal à ce qu’il a dégagé pendant l’été russe des Bleus, Adil Rami vanne, Adil Rami fait rire, Adil Rami répète « le sssssang » et « on les aura les méchants ». Pendant l’heure d’interview, il distillera bien deux-trois punchlines maison, mais sans se cacher derrière le « lol ». Il se fera grave, même, en évoquant son parcours. Avant de repartir vers chez lui, en battant probablement le record du monde de selfies.
Vous avez confié qu’il n’était pas facile de « redescendre » après ce titre de champion du monde, c’est vrai ?
Ce n’est pas facile, non. On reçoit trop de compliments, trop de gentillesse. C’est magnifique, c’est aussi ce que tu recherches quand tu es footballeur, mais ça peut fragiliser. Mais j’ai eu la chance d’avoir fait les deux boulettes à Monaco.
La chance ?
Oui, la chance. Parce qu’on a quand même gagné (3-2) et qu’à titre personnel, elles ont été un mal pour un bien.
Comme une espèce de gifle qui vous a ramené sur terre ?
C’est ça. Magnifique ! J’ai une bonne étoile. Depuis, j’ai mis le bleu de chauffe.
Vous vivez un début de saison compliqué, est-ce que vous payez l’énergie dépensée à être le coéquipier modèle en Russie ?
C’est vrai que ça en demande beaucoup mais dès que tu gagnes la Coupe du monde, tu te relâches, c’est fini. Je mets plutôt ça sur le compte des vacances. Je n’ai eu que cinq-six jours complets, à Los Angeles. Je ne pouvais pas faire ce que je voulais, vu que le lendemain j’avais prépa physique avec mon coach, donc je ne me suis pas libéré mentalement. Je ne me plains pas, je constate pour pouvoir me remettre en question et comprendre pourquoi j’ai fait ces erreurs, pourquoi je ne suis pas à 100 %. Et puis une fois rentré, j’ai mis sept-huit jours à récupérer du jetlag, je me réveillais à 3 heures du matin et j’attendais l’entraînement, j’étais aigri avec tout le monde. Mes coéquipiers, les pauvres, ils ont dû passer de sales moments !
Vous avez changé de coéquipiers mais pas vraiment d’ambiance. Il y a quelque chose en commun entre le groupe créé par Didier Deschamps et celui créé par Rudi Garcia ?
Avec des entraîneurs comme lui, Didier Deschamps ou Unai Emery (quand Adil Rami jouait à Séville), j’ai appris qu’être coach, ce n’est pas seulement prendre les meilleurs joueurs de football. Il faut beaucoup de mental. Avec Rudi, courir pour son coéquipier, c’est très important. Il y a des matches où ce dont il a besoin, c’est de guerriers, de bonshommes avec du cœur, et cette équipe de l’Olympique de Marseille en a. La saison dernière, on a beaucoup parlé de nous pour ça aussi. Ce groupe, il est beau.
Comment avez-vous basculé à celui de l’équipe de France, de cette fin de saison folle avec l’OM, en mode compétition absolue, à un statut de remplaçant à zéro minute de jeu ?
Pas une seule seconde, je ne me suis dit : vas-y, t’es remplaçant, tranquille. J’étais un remplaçant-titulaire. C’est la première fois que j’ai ressenti ça. Être sur le banc mais tout faire pour être prêt, c’est dur.
Qu’est-ce qui est dur ?
Quand tu es titulaire, dès le coup de sifflet d’engagement, tu entres en action et la boule que tu as dans le ventre s’envole. Quand tu ne débutes pas, la boule, elle reste, le stress, il reste, tout ton corps est tendu. Tu regardes ton équipe, tu te dis : s’il y a un blessé, je vais devoir entrer et la pression augmente. Devoir contenir cette boule a été super dur. À la fin, je priais pour que Raphaël Varane n’ait pas de pépins physiques parce qu’à un moment donné, c’était plus possible. J’étais prêt mais, avec le peu de temps de jeu que j’avais, c’était mieux pour tout le monde qu’il ne se blesse pas.
Le public n’a pas conscience de ça, lui vous connaît comme ambianceur. Vous ne vous sentez pas un peu enfermé dans ce rôle-là ?
Je n’estime pas avoir été un ambianceur. L’ambianceur, il prend le micro et il chauffe la salle. Moi, j’étais plus un lien dans un groupe. Je n’aime pas les conflits, je n’aime pas les clans, j’ai toujours eu ce réflexe de faire le trait d’union entre eux.
Il y avait des clans en équipe de France ?
Il y a des clans partout, c’est normal, et si tout le monde se kiffe, ça n’a aucune incidence. Ce que je ne veux pas, ce sont des clans rivaux. Si j’en vois, je vais faire le lien. Je peux même mentir pour qu’ils s’entendent, dire des choses à l’un puis à l’autre, juste pour qu’on vive bien, tous ensemble. Peut-être que ça a été ma force et que j’ai réussi à la transmettre au groupe.
Est-ce qu’il y a des moments clés où vous avez pesé ?
Je parlais beaucoup avec ceux qui étaient sur le banc, j’essayais de remonter le moral de ceux qui étaient déçus, de leur dire : « Hey, frérot, c’est normal que tu ne joues pas, c’est pas parce que tu dribbles mieux ou que tu marques plus de buts que tu dois jouer, c’est une question d’esprit d’équipe pendant une Coupe du monde, ça n’a rien à voir. » J’ai passé mon temps à expliquer ça aux jeunes, et à d’autres, pour leur faire comprendre que le coach les appréciait. D’ailleurs, il ne sait pas tout, tout, tout…
Il ignore quoi, par exemple ?
Parfois, je faisais un compliment à un gars qui ne jouait pas en lui disant que ça venait du coach, pour qu’il reste concentré. « Je l’ai entendu, il disait que t’étais au top aux entraînements, qu’il hésitait… » Je l’ai fait pour le bien de l’équipe. J’essayais d’apaiser un peu ceux qui en avaient besoin.
Et vous, vous n’avez pas eu de coup de blues ?
Si, si, j’ai eu un coup de moins bien, un moment où j’ai eu besoin d’air, j’en avais marre d’être enfermé, et j’ai senti que l’équipe aussi. Le coach est extraordinaire mais on connaît tous Didier Deschamps, il est strict. Il a été un joueur professionnel et il est un entraîneur très professionnel, avec beaucoup de discipline. Nous, on est jeunes. Entre Clairefontaine et le camp de base en Russie, on était trop enfermés.
À qui est-ce que vous en avez parlé ?
D’abord aux Loris, Giroud, Pogba. Je leur ai dit : « Les gars, moi je reste pas ici, il faut qu’on sorte de l’hôtel, je peux plus. Vous, ça ne vous fait rien de rester en vase clos ? Il y a un mois qu’on est ensemble, le repas du soir dure 15-20 min, on n’a plus rien à se dire, on ne parle que de foot. Il faut qu’on aille voir autre chose. » Hugo m’a regardé et m’a dit : « Il n’acceptera pas. »
Mais « il » a accepté.
Oui. Quand il m’a vu, le coach a lâché : « Oh là là là, s’il y a Adil Rami, c’est qu’il va y avoir une demande bizarre ! » Je lui ai expliqué : « On aimerait aller à Moscou, vivre un petit peu, oublier le football parce que là, c’est trop de tension, trop de pression. » Il a accepté, on devait juste être au camp de base entre une heure et deux heures. En rentrant, on a dit : « Le coach nous a fait plaisir, on est sortis, on a rigolé, on a kiffé. Si vous voulez qu’on le refasse, les gars, il faut tout niquer. »
Et vous avez tout « niqué » ?
Le match d’après, c’était l’Argentine… (En huitièmes, le match déclic des Bleus, remporté 4-3) Alors, on a dit : « Il nous a fait confiance, on lui a renvoyé la pareille, à son tour ! » et on est repartis lui demander de sortir !
C’est aussi là que s’est gagné le Mondial ?
À chaque sortie, on parlait, surtout Paul, qui a pris tellement de maturité. Il a dit : « Les gars, on va gagner la Coupe du monde – j’ai des frissons, tiens (on confirme) –, on va gagner la Coupe du monde, et après, on fera des fêtes tous ensemble, il faut qu’on continue comme ça. » Que le coach nous ait laissé des moments off comme ça, c’était vraiment bien. D’ailleurs, tous les joueurs l’appréciaient.
Vous aussi. Notamment parce que vous étiez toujours « lol ». Ce n’était pas un peu surjoué ?
Je souris beaucoup mais je souffre comme tout le monde, évidemment. Plus, même, parce que je suis très sensible. Mais je pense aux gens qui me regardent et je me dis : ça leur fait plaisir de te voir sourire, alors souris. Du coup, je suis « entre deux chaises », parfois. Alors, quand je suis chez moi, je mets Fortnite et j’oublie tout ! Bien sûr que c’est pas facile. Je suis un humain. À l’Euro, quand Didier Deschamps était venu m’annoncer que je ne jouerais pas la demi-finale contre l’Allemagne, j’étais abattu, mais je ne voulais pas transmettre ma tristesse à l’équipe. Avoir l’air dégoûté dans le car peut mettre le mec à côté mal à l’aise, le déconcentrer, alors j’ai fait l’impasse sur mes émotions. Peut-être que ce geste‑là m’a fait champion du monde aujourd’hui.
Depuis, votre vie a complètement basculé ?
Oui, je vois bien ce qui se passe autour de moi, que j’ai dépassé les limites du foot. D’autant qu’avec la presse people, qui fait un peu tout et n’importe quoi, on se dit « c’est un people ».
Et vous n’avez pas envie de vous replacer sur le terrain ?
J’en ai envie mais je reste serein de ce côté-là. Tous les week‑ends, je vais avoir un match avec l’Olympique de Marseille et l’Olympique de Marseille, ce n’est pas n’importe quoi.
Vous avez 33 ans, il vous reste trois ans de contrat avec l’OM, vous les voyez comment ?
Si je vois que je commence à être fatigué, et que ne je réponds pas aux attentes, je ferai le meilleur choix pour moi et pour l’Olympique de Marseille. Rester dans un club juste pour prendre de l’argent, je ne peux pas, j’ai besoin de prendre du plaisir, d’avoir un feeling, c’est comme ça que j’ai envie de me battre sur le terrain. Sans alchimie, je n’y arrive pas. Pour le bien d’un club, parfois, il faut savoir être intelligent et dire : je laisse la place. Mais je n’y suis pas encore, hein ! (Il rit.)
Est-ce que vous avez déjà pensé à l’après-foot ?
Vous devez crouler sous les propositions
depuis la Russie.
J’ai eu beaucoup, beaucoup, de belles propositions mais je veux rappeler à tout le monde que ma vie à moi, c’est le football, que je suis footballeur. Aujourd’hui, j’ai envie de donner mon corps à la science et de tamponner encore un peu ! Et puis je suis casanier de ouf.
Adil Rami, casanier, vraiment ?
Pendant les vacances, on peut me voir partout, prendre du plaisir, m’amuser, mais sinon, je termine l’entraînement, je taille direct à la maison.
On vous a quand même vu dans « Touche pas à mon poste », par exemple.
On m’a demandé de faire la surprise à Cyril Hanouna, que j’aime beaucoup. C’est un programme télé tranquille, où rien ne t’empêche de répondre comme tu en as envie, sans ce discours formaté du footballeur que je ne supporte pas. Mais j’ai repensé à ma prestation contre Monaco, je me suis dit : je ne vais pas aller faire Cyril Hanouna après ça. Finalement, on était encore loin du match contre Guingamp, j’ai décidé de profiter du moment.
Vous réfléchissez beaucoup !
Oui, oui, à tout. À tout.
À devenir entraîneur, par exemple ? Vous avez évoqué cette envie à plusieurs reprises en conférence de presse.
Je l’ai dans un coin de la tête, je vais commencer à passer mes diplômes cette année. Je pense que je pourrais être un très bon entraîneur. Bon, peut-être pas à l’Olympique de Marseille, je n’ai pas envie d’avoir une calvitie (il rit) ! J’ai eu la chance d’avoir de très bons coaches : Rudi, Didier Deschamps, Unai Emery, Laurent Blanc, Clarence Seedorf (qui l’a entraîné à l’AC Milan). Quand tu les regardes, tu peux te dire qu’il ne sera pas facile d’être à la hauteur mais grâce à des Filippo Inzaghi (qu’il a aussi eu comme entraîneur à Milan), je me dis que ça peut le faire parce que, lui, ça a été une catastrophe totale !
Ce serait la suite d’un parcours étonnant. Du joueur qui a évolué en amateurs jusqu’à l’âge de 21 ans au plus beau palmarès de Français de Ligue 1, vous avez conscience de ce destin hors normes ?
En 2010, Téléfoot avait tourné un petit reportage, qu’ils ont repassé récemment, où beaucoup de monde parle de moi. On revoit mes actions, des images… Je l’ai regardé dans la voiture, à la fin, je pleurais.
Qu’est-ce qui vous a ému comme ça ?
On ne se rend pas compte, on joue tous les trois jours, on enchaîne sans faire attention mais se construire un palmarès, c’est dur. D’autant que je n’ai pas évolué dans les 5-6 top clubs, alors avoir été champion avec Lille, avoir gagné la Ligue Europa avec Séville, avoir disputé des demi-finales avec Valence, ça donne un goût différent. La Coupe du monde, aussi, je m’attendais un petit peu à être appelé mais entendre mon nom en direct sur TF1, ça m’a fait un électrochoc. À chaque fois, je me dis : je ne meurs jamais, c’est un truc de ouf.
Vous êtes fier de ce parcours ?
Oui, mon histoire est belle. Et les gens ne savent pas tout. Je raconterai un jour. Il y a un bon 50 % qu’on ne sait pas.
À quels sujets ?
Les problèmes qu’un footballeur peut rencontrer sur son chemin, moi encore plus que les autres parce que j’ai toujours été très sociable et que je ne me suis jamais contenté de ce que j’avais. Dans tout, le sport, le people, je suis toujours allé chercher plus haut. Parfois, je voyais la ligne rouge.
C’est quoi, « la ligne rouge » ?
Les fréquentations, les femmes, la drogue, les vacances, où est-ce que tu mets les pieds. Il faut faire preuve de force mentale. Un jour, je raconterai ce que j’ai vécu, ce que j’ai vu de mes propres yeux. Ça pourra choquer, mais j’ai besoin de le dire, pour prévenir, pour montrer qu’il n’y a pas que le football. Pour tenir là-haut, il faut une discipline extraordinaire et moi, grâce à Dieu, je l’ai eue.
Vous évoquez souvent le destin, le vôtre est incroyable. Du joueur dont aucun centre de formation ne voulait à champion du monde, de mécanicien à la mairie de Fréjus aux beaux quartiers de Marseille avec Pamela Anderson…
Concernant ma vie privée, elle n’est plus privée. Et dans toutes les dernières histoires sur mon couple, la seule chose qui ne soit pas fausse, c’est l’orthographe de mon nom ! Je lis ces articles comme un roman, je ne suis pas au courant de ce qu’ils racontent ! Ces magazines ont un budget pour les gens qui vont attaquer, c’est incroyable, non ?
Et vous avez attaqué ?
Oui, j’ai porté plainte, parce que ça reste mon image, ma vie privée. Moi, je n’en parle pas. Sur mon Instagram, j’ai dû poster deux photos de mes enfants, de dos. À part dire que je joue à la PlayStation, je ne donne jamais rien de ma vie privée. Les gens ne savent pas réellement où je suis, avec qui je suis aujourd’hui. C’est peut-être pour ça qu’on ment, d’ailleurs, parce que personne ne sait.
Sauf que quand on vit avec une star, on sait qu’on va basculer dans une autre sphère, non ?
Bien évidemment, Pamela Anderson, c’est Pamela Anderson. Il ne reste pas beaucoup de légendes et elle en est une, elle est extraordinaire, elle est fantastique, tout le monde aurait rêvé de la rencontrer, moi j’ai eu cette chance-là. Mais là, je regarde mon téléphone : « On parle de toi ! », je lis et c’est un truc de fou… C’est pas grave ! J’envoie un message à mon avocate : « Allez, attaque ! »
Elle vous pèse, cette situation ?
Ça fait partie du jeu, il faut l’accepter. À chaque fois qu’il m’arrive des trucs, je me dis, il vaut mieux ça que la mairie de Fréjus ! Avec tout le respect que j’ai pour la mairie de Fréjus.
Justement, de l’Étoile de Fréjus, où vous avez débuté, à l’étoile sur votre maillot, la boucle est bouclée ?
Non, il va se passer des trucs, je te rassure ! Il y a cinq ans qu’on me propose d’écrire un livre, de faire un documentaire sur moi, je me dis qu’heureusement que je ne l’ai pas fait parce qu’il aurait fallu en écrire un deuxième, un troisième, un cinquième ! Je vais finir par écrire un dictionnaire ! •
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