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« Je pense que je suis né pour jouer à l’OM »
Le défenseur central revient sur la saison compliquée de son club et sur son environnement particulier. DE NOS ENVOYéS SPéCIAUX
BAPTISTE CHAUMIER ET MéLISANDE GOMEZ MARSEILLE – Personnage central de la saison marseillaise, de la victoire au Parc des Princes (1-0, le 13 septembre), en passant par l’intrusion des supporters à la Commanderie, Alvaro Gonzalez est revenu sur les derniers mois de l’OM, complètement locos, un peu comme lui.
« Mentalement, avez-vous vécu la saison la plus difficile de votre carrière ? Cela a été difficile, oui. Mais en Espagne je suis descendu deux fois en Deuxième Division, malheureusement, c’est dur aussi (en 2012 avec Santander, en 2013 avec Saragosse). Dans le foot, c’est important de pouvoir déconnecter avec la famille, les amis, après les entraînements, les matches. Cette année, cela n’a pas été possible à cause du Covid. J’habite seul ici à Marseille, et cela a été long, plus que d’habitude. Le mieux, c’est de repartir l’an prochain avec le nouveau staff, le nouveau président, beaucoup de nouveaux joueurs. On va essayer d’avoir une équipe forte et une mentalité de vainqueurs, à chaque match.
La cinquième place laisserait-elle des regrets ? Vous étiez potentiels leaders cet hiver avec les matches en retard, et le PSG a subi huit défaites… On a bien commencé, on a gagné à Paris, ce qui ne nous était pas arrivé depuis des années. On ne jouait pas mal, on avait ces deux matches en retard qui nous permettaient d’être virtuellement premiers. Puis on a commencé à perdre des points, à jouer moins bien, à nous montrer nerveux. Cela s’est vite compliqué. On ne peut pas finir 18 points derrière le podium.
La victoire à Paris vous a-t-elle fait du mal, avec le recul ? Pour moi, personnellement, cela a été très difficile. Des choses sont arrivées qui dépassent le sportif (*), et si la saison a été difficile pour tous les joueurs ici, elle l’a été encore un peu plus pour moi. On a gagné au Parc, et au lieu de parler de ce bon résultat, on a parlé de choses négatives.
“C’était des attaques personnelles, mon numéro est sorti, celui de ma famille. Quand tu parles de racisme, d’homophobie, ce sont des choses graves. J’étais toujours stressé
Vous avez souffert de ces accusations de racisme ? Oui, parce que ce n’est pas le football. Moi, je n’ai aucun problème avec les critiques, nous sommes connus, donc on parle de nous un jour en bien, un jour en mal, c’est la vie des joueurs de foot, des chanteurs, des gens célèbres. Mais là, ce n’était plus le football. Et ma famille a vécu des moments difficiles. C’était des attaques personnelles, mon numéro est sorti, celui de ma famille. Quand tu parles de racisme, d’homophobie, ce sont des choses graves. J’étais toujours stressé, regarde mon visage (il a une pelade sur le menton). Mais j’ai essayé de faire au mieux pour l’équipe, pour le club, de laisser ces problèmes de côté pour me concentrer.
Avez-vous pensé à quitter l’OM à ce moment-là ? Non, jamais. Je suis heureux ici, j’aime le club, j’ai parlé avec les supporters que je croisais dans la rue, ou dans des réunions. Je suis clair avec eux et je leur ai dit : “Si vous avez des doutes sur moi, si vous croyez que je suis raciste, alors je m’en irai.” Mais tout le monde m’a soutenu. À Marseille, il y a mille nationalités différentes qui cohabitent, tu ne peux pas être raciste et habiter ici ! Alors, je veux rester et changer les choses.
“Villas-Boas ? La meilleure personne que j’aie connue dans ce milieu
Que voulez-vous changer ? Alvaro ! Retrouvez la mentalité d’autrefois d’un mec content, de bonne humeur, ami avec tout le monde et qui, sur le terrain, se bat pour l’équipe. À Marseille, tu as besoin de qualités mais aussi de joueurs avec un état d’esprit, une mentalité, un caractère. Je crois que je n’ai jamais perdu ma place, les gens me respectent et moi je respecte tout le monde. Mais quand tu passes des moments difficiles, parfois tu n’es pas complètement concentré sur l’essentiel.
Vous étiez proche d’André Villas-Boas, vous l’avez convaincu de rester l’été dernier. Que s’est-il passé, ensuite, pour qu’il parte en février ? L’an dernier, on a passé des moments très beaux, les meilleurs de ma carrière. Je me qualifie pour la Ligue des champions pour la première fois, c’est incroyable. Et là, tu te retrouves à jouer cette compétition dans un Vélodrome vide, sans supporters, c’est très difficile. Je me souviens mieux du premier match amical que j’ai joué ici contre Naples en plein été (0-1, en août 2019) que des matches de Ligue des champions. André avait une super relation avec l’équipe. Mais on ne trouvait plus la motivation. Ce n’est pas une excuse, parce que nous sommes des professionnels. Mais quand tu as joué dix ans devant des stades pleins et que tu te retrouves dans un stade vide… André n’avait perdu la confiance de personne mais il n’est pas parvenu à retrouver la bonne mentalité dans le groupe. Mais c’est un mec exceptionnel, pour moi la meilleure personne que j’aie connue dans ce milieu.
Cette première Ligue des champions, est-ce un bon ou un mauvais souvenir ? Porter un maillot avec le symbole de la Ligue des champions ici (il se touche le bras), ça fait quelque chose quand même. Je suis un compétiteur alors ce parcours reste difficile à accepter. Ne pas la jouer la saison prochaine, c’est dur parce que l’OM devrait la disputer chaque année. Maintenant, il faut se rincer la tête et repartir la saison prochaine avec une nouvelle mentalité.
En moins d’un an, vous avez connu trois entraîneurs, deux présidents, une dizaine de nouveaux joueurs. Comment avez-vous vécu ces changements permanents ? (Il sourit.) À Villarreal, en quatre ans, je n’ai connu que deux coaches (3, en fait) et un président. Une des raisons pour lesquelles j’ai choisi de venir ici, c’est parce que c’est différent. Tu vas te balader en ville, tu vas déjeuner dans le centre, tu vas voir un match au Vélodrome, ça sent le football partout. La première fois que tu poses un pied à Marseille, tu comprends. Mon rêve, c’était de jouer dans ce genre de club, dans un grand club alors je ne vais pas me plaindre !
Ce côté passionnel de la ville vous plaît, en fait. Je suis un peu loco, moi aussi, oui (il sourit). Parfois, je me dis que je suis né pour jouer à l’OM. Je sais qu’il me manque encore des choses pour devenir un top joueur mais dans une équipe, il faut avoir des joueurs qui montrent l’exemple, qui se battent, et je peux donner beaucoup encore.
“Avec Sampaoli, même en tant que défenseur, tu profites un peu mieux du ballon
Vous évoquez la passion des supporters, elle peut parfois complètement déborder comme cette fameuse journée du 30 janvier où certains d’entre eux se sont introduits à la Commanderie. Quels souvenirs en gardez-vous ? Quand j’ai vu tous ces gens à l’intérieur, j’ai décidé de sortir pour aller leur parler. C’est mon caractère. Je n’ai pas eu peur, non. Quand je suis dans une bonne période, je parle, et quand je suis dans une moins bonne, je parle aussi. C’est important de prendre ses responsabilités. Après, dans la vie comme dans le foot, il y a forcément des limites à respecter : tu peux aller au restaurant, commander une viande et ne pas l’apprécier, ce n’est pas une raison pour aller menacer ou frapper le chef cuisinier.
Jorge Sampaoli a déjà changé beaucoup de choses, depuis son arrivée : la philosophie de jeu, les entraînements très tactiques, les séances vidéo quasi quotidiennes, son management. Découvrez-vous une autre façon de voir le foot ? Oui bien sûr. J’ai 31 ans et c’est la vie, j’apprends encore tous les jours. Avec Sampaoli, tu dois penser différemment, tu dois être très intelligent dans ta façon de lire le jeu, tu joues autrement de toute façon : il aime l’attaque, il joue à trois derrière. Bon, parfois, c’est difficile pour nous derrière quand tu perds le ballon (il sourit). Mais on a réussi à se créer des occasions qu’on ne se créait pas avant. Même en tant que défenseur, tu profites un peu mieux du ballon. Tu es encore plus impliqué, tu dois trouver des passes spéciales à la relance, tu dois être sûr dans les sorties de balle. Quand le Vélodrome va être plein, les supporters vont pouvoir profiter parce que c’est un jeu attractif. »
(*) Neymar l’a accusé d’avoir tenu des propos racistes à son encontre. Après enquête, la commission de discipline, qui ne disposait pas « d’éléments suffisamment probants », a décidé qu’il n’y avait « pas lieu à sanction ».
L'Equipe