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Dario Benedetto (OM) : « Tout a été difficile »
À première vue, Dario Benedetto n'a pas grand-chose d'un tueur des surfaces. L'Argentin (29 ans, 5 sélections) est plus du genre à remercier son interlocuteur qu'à le fusiller du regard. Il se décrit comme « un attaquant de sacrifice », confortant l'image qui colle à ses compatriotes, mais même cela, c'est avec un sourire et des yeux enjôleurs qu'il le glisse. Un coup d'oeil du côté de ses cuisses et de leur taille proéminente rappelle en revanche l'athlète qu'il est. Un athlète qui n'a cessé de connaître des épreuves, parmi lesquelles la perte de sa mère à l'âge de douze ans, pendant un match, évoquée par quelques-uns de ses nombreux tatouages. Pendant quarante minutes, mardi, la recrue phare de l'OM s'est livrée sur son parcours atypique, les obstacles qu'il a dû surmonter et ses débuts à Marseille, marqués par ses deux buts lors des deux derniers matches, à Nice (2-1) et contre Saint-Étienne (1-0).
« Qu'y a-t-il de plus grand que jouer à Boca Juniors pour quelqu'un qui s'est fait tatouer l'écusson de Boca, comme vous ? Pourquoi être venu à Marseille ?
Pour l'histoire que possède Marseille. Je suis un supporter de Boca, un malade de Boca. Ç'a été très difficile pour moi de partir de là-bas. La seule chose qui pouvait me faire quitter le club, c'était le défi de jouer en Europe, où je n'avais pas encore eu la chance d'aller. J'ai eu cette opportunité ici, dans un club historiquement important en France et en Europe.
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Était-ce le moment ou jamais de venir jouer en Europe ?
Oui, parce que j'aurai trente ans lors du prochain mercato estival. Déjà que c'est difficile à vingt-neuf ans... Normalement, quand un joueur argentin émigre vers le football européen, il le fait beaucoup plus jeune pour qu'il ait toujours une valeur en cas de revente dans le futur... C'est une énorme réussite pour moi d'être ici, mais ç'a vraiment été dur. Quand on regarde mon parcours, tout a été difficile. Tout.
S'il y avait un moment clé dans votre carrière, quel serait-il ?
C'est quand j'ai pu aller à Boca (en juin 2016). Je savais que ça changerait ma vie. Dans une carrière, il y a des objectifs plus importants que l'argent - l'argent découle de ces autres objectifs. Au Club América de Mexico, j'avais une vie totalement différente de celle que j'allais avoir à Boca. Je savais qu'en revenant en Argentine, je régresserais sur le plan économique ; je ne dis pas sur le plan footballistique, même si le football mexicain est très bon ; mais j'ai abandonné une qualité de vie, la tranquillité de mes enfants... Mais je savais aussi que si ça marchait bien pour moi à Boca, je pourrais aller en sélection et ensuite découvrir le football européen. J'ai pu accomplir ces deux rêves.
« Ma mère s'est évanouie (en tribune) et elle a perdu la vie. Arrêt cardio-respiratoire »
Ce n'est qu'à seize ans que vous avez vraiment commencé le football...
J'ai commencé à jouer dans mon quartier vers six ou sept ans. Dans l'équipe de mon quartier, donc, sur un terrain à sept contre sept. À l'âge de douze ans, j'ai fait un essai à Independiente qui a duré deux mois. C'était la première fois que je jouais sur grand terrain. Ils m'avaient dit qu'ils allaient me prendre. Je jouais toujours avec mon club de quartier avec lequel je disputais un Championnat. Le jour de la finale, ma mère s'est évanouie (en tribune) et elle a perdu la vie. Arrêt cardio-respiratoire. J'ai quitté Independiente, j'ai quitté mon club de quartier, j'ai arrêté le football. Pendant trois ou quatre ans, je n'ai joué qu'avec mes amis. À seize ans, un monsieur qui me connaissait m'a demandé si je serais intéressé pour faire un essai à Arsenal (de Sarandi, un club de Buenos Aires). Je lui ai dit : "D'accord, mais je n'ai même pas de crampons !" Je ne le croyais qu'à moitié. La semaine suivante, il est revenu pour me dire que l'essai était le lendemain. Je suis parti en courant m'acheter des chaussures avec mon père ! J'ai passé l'essai et j'ai été pris. J'avais seize ans. À dix-huit, je débutais en Première Division. Deux ans plus tôt, je n'avais jamais joué sur grand terrain, à onze contre onze, sauf pendant mon essai à Independiente...
Pendant cette période de trois, quatre ans, vous avez aussi quitté l'école.
Oui, j'étais très mauvais. J'avais une seule feuille dans mon classeur quand tous mes copains de classe avaient un classeur bourré dans leur cartable. Je ne faisais rien. Donc mon papa m'a dit : "Si tu veux quitter l'école, O.K. ; mais tu viens travailler avec moi, comme aide-maçon." Je lui ai dit d'accord.
Pensiez-vous toujours au football ?
Non, je travaillais avec mon papa. Quand s'est présentée l'opportunité de cet essai, je me suis dit qu'on allait bien voir...
C'est quand vous jouiez en Deuxième Division argentine, à Jujuy, début 2011, que votre carrière a vraiment décollé. Vous étiez alors très loin de la sélection...
Trop loin même ! J'ai d'abord été prêté en D2 pendant un an et demi au club Defensa y Justicia où je ne jouais pas. (Il sourit.) Bon, je faisais de mauvais choix... Je sortais avec mes amis... Je n'accordais pas assez d'importance aux entraînements... Puis je suis parti pour six mois à Jujuy. Même si c'était un club structuré, c'était vraiment une vie compliquée. Il n'y avait pas grand-chose (Jujuy est situé en altitude, dans l'extrême nord de l'Argentine) et c'était la première fois que je m'éloignais de ma famille. Avec ma fiancée, on s'est retrouvés seuls au milieu de nulle part. Mais j'y ai marqué treize buts en seize matches. Ensuite, je suis retourné à Arsenal (en D1) où j'ai pu remporter mon premier Championnat (le Tournoi de clôture 2012, toujours l'unique titre de champion du club). Puis je suis allé à Tijuana, au Mexique.
« Ma blessure au genou ? La première chose à laquelle j'ai pensé, c'est qu'il y avait dans le stade des personnes du Borussia Dortmund »
Il y a beaucoup d'Argentins qui jouent au Mexique ?
Beaucoup, mais ç'a été dur de sortir d'Arsenal, parce que c'est une petite équipe qui n'attire pas les regards. Ce n'est pas Boca, River, le Racing (à Avellaneda) ou San Lorenzo. Quand j'ai eu la proposition de Tijuana, je l'ai saisie.
Vous avez d'ailleurs acquis la nationalité mexicaine...
Oui, mon fils est né là-bas, et avant, quand un de vos enfants naissait au Mexique et que vous y résidiez deux ou trois ans, vous deveniez citoyen mexicain. Avec ça, vous n'occupiez plus une place d'étranger dans votre équipe.
Vous aviez demandé à jouer pour la sélection mexicaine ?
Si on m'avait proposé de jouer pour la sélection mexicaine, j'aurais accepté. Parce qu'on doit en profiter si une telle opportunité se présente à soi. Aujourd'hui, les joueurs argentins qui jouent au Mexique sont observés par le sélectionneur, mais il y a quelques années, ce n'était pas le cas. Mais grâce à Dieu, j'ai eu plus tard la chance de pouvoir jouer avec la sélection de mon pays (à partir de septembre 2017). Ç'a été la plus belle chose qui me soit arrivée dans ma carrière... Quand je suis entré dans le vestiaire et que j'ai vu Messi, Mascherano, Otamendi, j'avoue qu'il y a un tas de souvenirs qui me sont revenus d'un coup. Je me suis dit : "Putain de merde, regarde où je suis, c'est pas possible." Et ensuite, je m'y suis fait. Je ne voyais plus Messi comme un extraterrestre mais comme un coéquipier comme un autre. Avec la sélection, j'ai pu vivre des éliminatoires de Coupe du monde.
Au moment de votre rupture des ligaments croisés du genou droit, le 19 novembre 2017, à quoi avez-vous pensé ? Au fait de manquer ce Mondial en Russie ?
La première chose à laquelle j'ai pensé, c'est qu'il y avait dans le stade des personnes d'un club européen important qui étaient venues pour moi...
Lequel ?
Le Borussia Dortmund. Ils avaient voyagé pour me voir, ils étaient entrés en contact avec mes agents... Comme le sélectionneur (Jorge Sampaoli) avait bien aimé mes matches, j'avais aussi la possibilité de jouer ma première Coupe du monde. Je sais qu'il y avait d'autres grands attaquants en course, mais j'avais bon espoir... Quand je me suis blessé au genou, je me suis dit : "Il n'y a plus de Coupe du monde, il n'y a plus d'Europe, il n'y a plus rien." La blessure est arrivée comme ça. J'ai poussé pour sauter, comme je le fais toujours, et le genou est parti en arrière. Ça ne m'a pas fait mal, mais j'ai tout de suite compris ce qu'était cette sensation que je n'avais jamais ressentie. J'ai pris sur moi. Par chance, j'ai bien récupéré.
Comment vos premières semaines à Marseille se sont-elles déroulées ?
J'ai eu du mal. Les footballs français et argentin sont totalement différents.
« Quand j'ai manqué ce penalty, je me suis effectivement dit : ''Putain, je revis ce qui s'est passé à Boca'' »
En quoi ?
En Argentine, il y a des défenseurs durs, mais ce ne sont pas des grands costauds comme en France. Ici, la majorité des équipes - pour ne pas dire toutes - ont des joueurs grands et costauds. Évidemment, il m'a fallu un temps d'adaptation pour que je me sente complètement à l'aise et pour appréhender la vitesse du jeu, qui est plus rapide, plus soutenue. Mais maintenant, je me sens très bien.
Votre premier match à Boca était, paraît-il, épouvantable. Or, lors de votre premier match avec l'OM, face à Nantes (0-0, le 17 août), vous avez raté un penalty...
Quand j'ai manqué ce penalty, je me suis effectivement dit : "Putain, je revis ce qui s'est passé à Boca." Mais je savais que s'il se passait la même chose ensuite, tout irait bien. À Boca, lors des trois premières rencontres, je n'avais pas mis un but : je tirais à droite, à gauche, au-dessus... Mais au quatrième match, contre Quilmes (le 25 septembre 2016), j'avais mis trois buts et c'était parti. À Marseille, ç'a été pareil. Je me suis senti mieux au deuxième match, puis j'ai marqué au troisième (2-1, à Nice) et de nouveau au quatrième (1-0 contre Saint-Étienne).
Que vous dit votre entraîneur, André Villas-Boas, à propos de vos débuts ?
Il me transmet sa confiance, toujours. Bon, il s'est énervé pour le penalty. C'est normal, ce n'était pas à moi de le tirer (mais à Dimitri Payet). Je voulais me donner de la confiance. Quand je l'ai raté, je me suis dit : "Eh merde..." (Il sourit.) Mais on a une très bonne relation avec le coach. Il est l'une des personnes grâce à qui je me sens bien.
Que faudrait-il pour qu'à côté de celui de Boca, vous vous fassiez tatouer l'écusson de l'OM ?
Je ne l'écarte pas (il rit), mais il faudrait qu'il se passe beaucoup de choses ! Mais je l'espère ! »