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Dario Benedetto
Une vie de combats
Des Andes à la Bombonera, en passant par le Mexique, le nouvel attaquant de l’OM a su franchir nombre d’obstacles pour atteindre des hauteurs insoupçonnées. Texte Thomas Goubin Pour un enfant de la grande banlieue de Buenos Aires, cela ressemblait à un déclassement, presque un exil. En 2011, Dario Benedetto posait son sac à San Salvador de Jujuy, ville moyenne du grand nord argentin perchée à 1 200 mètres, là où Bolivie, Paraguay et Chili font presque figure de voisins, alors que Buenos Aires pointe à plus de 1 500 kilomètres de là. Dans une région où tous les footballeurs en herbe espèrent imiter Ariel Ortega, génial meneur de jeu descendu des montagnes pour devenir l’idole de River Plate, Dario Benedetto a fait le chemin inverse. Pas forcément un choix, mais le jeune avant-centre (vingt ans à l’époque) va prendre un bol d’air salutaire pour sa carrière en stationnant six mois au pied des Andes. « C’est une province tranquille, explique Daniel Ramasco, ex-coéquipier au Club Atlético Gimnasia y Esgrima de Jujuy (D2), et je crois que de vivre ici a fait du bien à quelqu’un comme lui qui venait d’une grande ville. » Au-delà de l’air relativement pur de la région, Benedetto, qui sort alors d’une année morose en deuxième division avec Defensa y Justicia (deux buts), va surtout pouvoir compter sur la confiance de son coach, Francisco Ferraro, qui sait y faire avec la jeunesse : en 2005, celui-ci a remporté la Coupe du Monde U20 avec… Lionel Messi. Sous sa houlette, Benedetto trouve enfin la confiance dont il a manqué depuis ses débuts pros. « Quand il est arrivé, personne ne le connaissait, souligne Ramasco, aujourd’hui directeur sportif du club. Je me rappelle qu’il dénotait par sa démarche apathique de personne vraiment humble. Mais sur le terrain, il nous a tout de suite surpris par sa vitesse et sa qualité de frappe. »
Un coup franc exceptionnel face à Ronaldinho
Avec El Lobo (le loup), le surnom du club, Benedetto se révèle : onze buts en dix-neuf matches, ce qui fait de lui encore aujourd’hui une idole là-bas. Pourtant, au terme de son prêt, Jujuy ne lève pas l’option d’achat. Une blessure de fin de saison au cinquième métatarse le renvoie dans la banlieue de Buenos Aires, à Arsenal Sarandi, son club formateur. Comme un symbole du parcours de cet attaquant dur au mal qui a longtemps dû ramer à contre-courant avant de percer. En six mois à Jujuy, Benedetto a tout de même eu le temps de faire le plein de confiance, mais il revient diminué dans une équipe qui tourne si bien qu’elle remporte son premier titre de champion d’Argentine au terme du tournoi de Fermeture 2012. Ce fils de maçon, qui a parfois raté des entraînements à l’adolescence pour aider son père sur les chantiers, n’est toutefois pas du genre à baisser les bras et saura saisir sa chance dès la saison suivante. En 2013, il inscrit notamment trois buts en phase de poule de Copa Libertadores, dont un coup franc exceptionnel face à l’Atletico Mineiro de Ronaldinho. Suffisant pour attirer l’attention des Xolos Tijuana, alors champion du Mexique. Dans la turbulente ville frontalière, « El Pipa », attaquant percutant mais encore un peu frustre, va prendre une nouvelle dimension. « Il avait un talent naturel, indique l’ex-attaquant international mexicain Daniel Guzman, son entraîneur à Tijuana. Il était explosif, avait déjà un excellent jeu de tête, et une frappe puissante qu’il arme de trente ou quarante mètres, mais il était encore en phase d’apprentissage. Alors, j’ai parlé avec lui et on a travaillé pour qu’il joue mieux en pivot, qu’il soit capable de retenir des ballons pour aider notre bloc à monter, qu’il soit plus précis dans ses contrôles. Et en enrichissant sa panoplie, il est devenu un attaquant plus imprévisible. »
Cinq sélections avec l’Argentine
Altitude, températures extrêmes, jeu moins direct qu’en Argentine : s’adapter au foot mexicain n’est pas aisé, mais Benedetto va vite prendre ses marques, comme toujours. Lors de ses trois tournois (semestriels) avec Tijuana, El Pipa va tourner à un but tous les deux matches. « Comme tout bon Argentin, c’est un guerrier, loue Guzman. Il était toujours prêt à en découdre, quels que soient le terrain et l’adversaire. » Il y a aussi dans le jeu de Benedetto un supplément d’âme, séquelle d’un terrible drame. À douze ans, le gamin de Berazategui a perdu sa mère, victime d’une crise cardiaque, alors qu’il jouait. « Ce fut un coup très dur pour toute la famille, a-t-il confié à El Grafico. Mais depuis, ma mère est mon pilier. À chaque fois que je me sens frustré, je pense à elle et je repars de plus belle. » Il assure même qu’il lui ressemble sur le terrain, elle qui était une bonne footballeuse amatrice. Il lui dédie ses buts et ses joies, notamment celle de la qualif à la Coupe du monde en Russie, arrachée à l’automne 2017, à laquelle il a participé. Deux ans auparavant, il s’était pourtant dit prêt à jouer pour le Mexique. Il venait alors d’être transféré (pour 7 M€) au puissant América Mexico, et l’Albiceleste vice-championne du monde semblait inaccessible, peuplée d’attaquants d’un autre calibre, Messi, Higuain, Agüero. Mais la carrière de Benedetto va s’accélérer après une grosse année à l’América.
« Un joueur puissant, très explosif »
À force d’empiler les buts au Mexique, c’est Boca Juniors, dont il a l’écusson tatoué sur sa hanche gauche, qui vient frapper à sa porte. L’attaquant, qui donne beaucoup de lui-même à l’entraînement comme en match, va cette fois donner de sa poche pour faciliter la transaction et jouer dans son club de cœur : un million de dollars (environ 900 000€), sur les six de son indemnité de transfert. Le prix de son rêve. Dans un étrange calque du scénario qui l’a amené à Marseille cet été, c’est toutefois au terme de sa saison mexicaine la plus chiche qu’il fait son retour en Argentine. Seulement sept titularisations et un seul but. « Psychologiquement, il s’est déconcentré quand Boca l’a approché, se souvient Carlos Turrubiates, alors entraîneur adjoint de l’América. Et puis il s’est blessé. » Les ennuis physiques ont d’ailleurs souvent freiné Benedetto, comme cette rupture des ligaments croisés du 19 novembre 2017 qui le priva de Coupe du monde. Pour Turrubiates, cela ne doit rien au hasard : « C’est un joueur puissant, très explosif, et pour éviter les blessures, il faut parfois le ménager à l’entraînement, même s’il est difficile à freiner… » Mais Benedetto sait surtout encaisser les coups. Toujours prêt à repartir au combat. Daniel Guzman ne doute pas de la réussite à l’OM de l’international argentin, appelé par Jorge Sampaoli après avoir inscrit 21 buts en 25 matches lors de sa première saison à Boca (2016-17). « C’est vrai que ce n’est pas commun pour un Argentin d’arriver à 29 ans, convient Turrubiates, mais c’est un attaquant complet, en pleine maturité, qui a tout pour être le goleador de Marseille. » A condition de se remettre de ce penalty raté à Nantes (0-0). Ce qui ne devrait pas être trop difficile : en dix ans de carrière, il en a vu d’autres...
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