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Et soudain, tout le Vélodrome se mit à applaudir. Le 25 janvier dernier, à l’occasion de la rencontre OM-Lille (1-2), alors que le stade boudait ostensiblement ses ouailles, Mario Balotelli fit sa première entrée sous le maillot phocéen à la 74e minute et un immense frisson s’empara du public marseillais qui fit une ovation monstre à sa nouvelle vedette italienne. Oui, en une apparition, « Super Mario » avait déjà mis toute la Canebière dans sa poche. Et, au fond, comment en être surpris, tant le mariage entre l’infernal Balotelli et Marseille l’incandescente faisait saliver tout le monde à l’avance. Cinq matches et trois buts plus tard, l’ancien Niçois ressemble déjà bel et bien à ce que son statut lui promettait d’être : la star de l’Olympique de Marseille. « À la simple annonce de l’arrivée de Mario Balotelli, comme tous les Marseillais, j’ai été tout de suite emballé », nous confie José Anigo, ancien directeur sportif et entraîneur de l’OM, persuadé que la star transalpine est la recrue idéale pour son club de cœur. Pourtant, l’attaquant de la Nazionale restait sur six mois à végéter à Nice sans marquer le moindre pion. Alors, pourquoi diable Super Mario, incapable de la moindre constance, prompt à dégoupiller à chaque seconde, suscite-t-il déjà les passions à Marseille ?
Un antidépresseur dans la morosité
« Faut avouer, après toutes les annonces “viendra, viendra pas”, sa signature et, dans le même temps, l’annonce du départ de Mitroglou en Turquie où il pourra faire des boulettes et des kebabs, c’est le double effet Kiss Cool, nous raconte l’humoriste local Bengous. Il y a forcément eu une excitation immédiate parce que l’on passe d’un mec qui rate le but à cinquante centimètres de la cage à un type capable de mettre une mine pleine lunette du fin fond de la galaxie. » C’est un fait, dans un club qui se languit depuis deux ans de la venue du fameux « grantatakan », la signature de l’international italien fait office d’oasis dans le désert. « Balotelli est arrivé dans une période terriblement morose où il n’y avait plus rien en termes de résultats, mais aussi de passion, confirme Matthieu Franceschi, ex-responsable des South Winners. Rien que l’annonce de son nom a été un coup de fouet pour le peuple marseillais. On était en pleine dépression et Mario Balotelli est arrivé. Il a alimenté direct la machine à fantasmes dont les supporters ont besoin ici pour vibrer. Il a eu la bonne idée de marquer tout de suite et de se rendre immédiatement incontournable. Du coup, ça ressemble au mariage idéal. »
Pourtant, ne surtout pas prendre les fans de l’OM pour des gogos prêts à tout oublier et à dérouler le tapis rouge sans condition. Au vrai, le terrain n’était pas conquis d’avance, comme le confirme l’historique supporter-gouailleur René Malleville. « C’est un sentiment un peu ambivalent que l’on a eu par rapport à Balotelli. Parce que l’été dernier, on était persuadés qu’il allait signer et, à l’arrivée, on a eu l’impression de se faire promener. On en a voulu à son agent (NDLR : Mino Raiola) qui n’a pas été clair et à la direction de l’OM qui a su assez vite que ça ne se ferait pas mais qui a laissé traîner le sujet jusqu’au bout pour booster la campagne d’abonnement. Et nous, être des paillassons sur lesquels on s’essuie les pieds, on n’aime pas ça du tout, ça nous a vraiment foutu les boules. Donc, quand le dossier est réapparu au mercato d’hiver, on était nettement moins enthousiastes. Après, ça a fini par se faire et Balotelli a tout de suite montré qu’il allait apporter quelque chose. »
Le mythe disparu des grands numéros 9
Il faut dire aussi que Balotelli ressuscite quelque chose d’un mythe éternel qui a fait l’histoire de l’OM : les grands avants-centres. « Il y a deux postes mythiques : le numéro 10 et le numéro 9, reprend Matthieu Franceschi. Et à l’OM, on a la culture des grands buteurs. Mais Balotelli a une originalité en plus. Historiquement, la plupart des très grands attaquants de l’OM se sont faits durant leur passage au club, ils n’étaient pas toujours des stars internationales avant d’arriver, à l’image d’un Papin ou d’un Drogba. En ce sens, Balotelli se rapproche davantage d’un Ravanelli qui avait une renommée internationale immense avant de signer ici. Ça fait longtemps que Marseille attend un avant-centre de cette stature-là. Ces dernières années, on n’a pas eu ce genre d’attaquant. On en a eu des bons comme Gignac, Batshuayi ou Gomis, mais pas des mecs d’un talent supérieur, comme Drogba, par exemple. Donc, oui, ça réveille quelque chose qui a toujours fait partie de l’histoire du club. »
Et qui dit star de l’OM dit joueur à fort caractère. « Il faut être très costaud pour jouer à l’OM et ça convient parfaitement à Balotelli, confirme Robert Pirès, ancien milieu de l’OM, aujourd’hui consultant pour beIN Sports. Il aime ce genre de contexte où il faut prendre ses responsabilités, il est même plus à l’aise quand ça repose sur lui. Cette pression, ça lui va comme un gant car ça glisse sur lui. Les sifflets, les insultes, aucun problème, alors que ses partenaires me semblent moins solides dans ce genre de contexte. On voit d’ailleurs déjà qu’ils sont soulagés de cette pression et qu’ils la laissent volontiers à Mario. Cette saison, l’équipe a manqué de fortes personnalités, en ce sens, l’arrivée de Mario va être un sacré plus. » Pour « Deuk », responsable du Club Central des Supporters (CCS), la présence du volcanique Italien va mettre un coup de fouet aux autres joueurs, pour le plus grand plaisir du peuple phocéen. « Mario a un caractère très fort, c’est ce qu’il fallait à cette équipe. Parce que lui, si le ballon n’arrive pas correctement, il va te les remettre d’équerre direct. Il sera exigeant et en capacité de l’être car les autres ont tout de suite compris que c’est la pointure au-dessus. Sa présence va élever naturellement le niveau de tout le monde, j’en suis certain. ». Et Matthieu Franceschi de prolonger sur le magnétisme du Transalpin : « Il a une présence, une stature, il ne passe pas inaperçu. Dans un autre style, Luiz Gustavo avait tout de suite dégagé un vrai charisme rien que sur son allure. Pareil pour Lucho il y a quelques années. Ça ne s’explique pas… »
Entre Bielsa, Drogba et Ravanelli
Et on en arrive finalement au point crucial de ce début de coup de foudre de Marseille pour son buteur sicilien : sa personnalité hors norme. « C’est un fada complet ! Et c’est pour ça que Marseille ne peut qu’aimer un joueur comme lui », s’enthousiasme l’impayable René Malleville. Matthieu Franceschi complète l’analyse : « Être un joueur performant, ici, ce n’est pas forcément suffisant pour toucher les cœurs. Par exemple, Thauvin est indiscutable sur son rendement et il est clair qu’il aime l’OM. Pourtant, il n’y a pas de chanson à sa gloire au stade. Balotelli, son côté frondeur, rebelle, incompris, ça nous parle parce que notre ville se perçoit comme ça. Marseille se vit, et on se construit, beaucoup en opposition aux autres. C’est nous contre Paris, c’est nous contre le reste du monde. Forcément, un Balotelli qui se frite partout où il va, quelque part on est fan. »
Dans le folklore marseillais qui nourrit les passions et les inspirations locales, Balotelli figure une source intarissable, comme nous l’explique Bengous. « En tant qu’humoriste passionné de l’OM, Mario Balotelli, je suis client. Parce qu’on récupère un mec qui est un crack quand il est bien dans ses pompes mais qui est surtout un personnage bien déglingué comme on les aime ici. Gamin, je me déguisais en Ravanelli et je me faisais des auto-croche-pattes. Avec Balotelli, c’est un autre genre d’original, mais nous on aime les fous qui assument leur différence, un peu comme Bielsa. » Marcelo Bielsa, le nom est lâché. Car l’engouement qui se dessine autour de Balotelli peut rappeler la véritable passion que l’OM a nourri pour El Loco, mage olympien en 2014-15 et dont quelques portraits ornent toujours le Vélodrome, comme l’explique encore René Malleville. « Avec Bielsa, on s’est régalés, on a vu du ballon, on a vu de la folie, on a eu des émotions. Même quand on perdait, pas une fois on ne s’est emmerdé. Alors qu’en 2010, à part le titre, je ne retiens rien car on s’est fait chier les trois quarts du temps. »
Si José Anigo reconnaît que la dimension panache est incontestable dans la passion des fans de l’OM, il tient à souligner une autre dimension essentielle pour comprendre la frénésie déclenchée par les débuts du natif de Palerme sous la tunique des Ciel et Blanc. « Même si leur statut était différent à leur arrivée, Balotelli me fait penser à Drogba dans cette capacité à incarner l’attaque de l’OM. Ce sont eux qui représentent la menace marseillaise, qui font en sorte que l’adversaire va être dans la crainte, davantage en tout cas que le seul Mitroglou, ou le seul Germain, même si ce sont de bons joueurs. Et ça, c’est important pour le public car l’OM a une très grande histoire et les supporters doivent sentir que leur équipe fait peur, qu’elle possède quelques joueurs de classe, car c’est ce à quoi ils ont été habitués. »
Faut-il s’emballer pour un CDD ?
Une thèse à laquelle souscrit totalement Mathieu Franceschi qui prolonge : « Avec Balotelli, c’est aussi l’espoir de faire enfin un grand coup contre un très gros. Il possède cette capacité à ne pas avoir peur alors que dans l’équipe, les autres rapetissent un peu contre les cadors. On n’est pas dupes, on sait bien que Balotelli est à l’OM pour se relancer, pas forcément pour l’amour du club. Mais c’est aussi un joueur qui aime l’électricité, la passion et je suis persuadé qu’il va avoir envie de briller dans une telle atmosphère. » Si José Anigo souligne que politiquement « sa venue sauve sans doute la tête de Garcia et de la direction actuelle », d’autres veulent aussi tempérer un peu l’effet Balotelli. « On va se calmer et arrêter de dire que le mec a réveillé la passion de l’OM, réajuste Bengous. Que ça perde, que ça gagne, qu’il vente ou qu’il pleuve, la passion reste intacte, on parle de l’OM tous les jours. Mais la différence, c’est que depuis quelques semaines, on les fracasse un peu moins, ça repose. (Rire.) » Et l’inénarrable René Malleville de conclure : « J’en ai vu d’autres et je reste mesuré. J’attends de voir quand l’adversité va se corser. Il faut rappeler que c’est un CDD, cette histoire. Balotelli n’est là que pour quelques mois, probablement. Alors que l’on ne me demande pas d’aller remercier la direction du club de l’avoir fait venir car ils l’ont fait beaucoup trop tard et uniquement parce qu’ils n’avaient pas le choix après en avoir fait des dizaines de mauvais. Mais j’admets que le simple fait de voir les supporters marseillais de nouveau excités par leur équipe et retrouver l’espoir, c’est très beau. Ça vibre de nouveau et il faut déjà rendre ça à Balotelli. »
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