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Duje Caleta-Car
En grand caractère
Vice-champion du monde avec la Croatie, le robuste défenseur central commence à prendre ses marques à l’OM. Avec discrétion et ambition. DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL PERMANENT
MATHIEU GRÉGOIRE (avec V. G.) MARSEILLE – Duje Caleta-Car tend son avant-bras gauche, montre le tatouage inscrit à l’encre noire : « Every challenge makes you stronger, just believe in yourself » (« Chaque défi te rend plus fort, il suffit de croire en toi. ») Pressenti pour débuter ce soir face à Francfort, le Croate, vingt-deux ans depuis lundi, entame la partie la plus risquée de son ascension, la plus exposée. Il ne cherche pas à bluffer comme un mauvais joueur de poker : « En choisissant Marseille, j’ai misé toute ma vie, tout ce que j’avais réussi jusqu’ici. J’espère que je gagnerai un jour un titre ici, je ferai tout pour. »
Son destin s’est joué sur des affrontements rugueux en Ligue Europa, la saison dernière, entre l’OM et le RB Salzbourg, et sur un coup de fil pendant la Coupe du monde en Russie. « Le coach Garcia m’a appelé. Je ne m’y attendais pas, surtout après la demi-finale perdue face à l’OM (0-2, 2-1 a.p.). Ce fut un drôle de clin d’œil, dit-il. Il avait déjà un plan pour mon avenir et, en l’écoutant, je sentais que j’avais déjà accepté de venir : avec lui, le chemin était tout tracé, palier par palier. Après la finale de la Coupe du monde (2-4), au stade, c’était étrange. Je regardais (Steve) Mandanda, (Adil) Rami et (Florian) Thauvin qui étaient à quelques mètres, en pensant : “Je vais être votre coéquipier !” Mais je ne pouvais pas le leur dire... »
L’imposant Caleta-Car est né à Sibenik, entre Zadar et Split, un endroit où les vieilles pierres ont résisté aux tourments des dernières décennies, où le ciel et la mer rivalisent dans le bleu azur. La couleur de ses yeux. Au contraire de nombreux voisins, il n’a jamais vraiment pêché, mais il s’est ennuyé fermement. Il s’en souvient bien : « Ma mère Nevenka travaillait dans un hospice pour personnes âgées et mon père Damir, électricien, gérait sa petite entreprise, où je l’accompagnais parfois. En fait, je restais souvent tout seul, ce n’était pas spécialement joyeux, il fallait s’occuper. »
Jure, le grand frère, l’emmènera jouer au ballon. « Mon père était basketteur et j’ai pratiqué ce sport, tout comme le tennis, mais le foot fut rapidement une évidence », glisse celui qui est déjà défenseur et domine ses petits copains d’une bonne tête ou deux.
“Mon père s’est arrêté un an pour venir s’installer en Autriche et être proche de moi
À seize ans et demi, après avoir fait ses classes dans le club local, ce grand admirateur d’Alessandro Nesta et Ronaldinho file en Autriche, à Pasching, dans la banlieue de Linz. Dans cette région située non loin de la frontière avec la République tchèque, il commence à douter : « Un moment pas facile, surtout les six premiers mois au pensionnat. J’ai l’impression d’avoir été arraché à mon enfance. Heureusement, mon père a tout fait pour que je m’intègre, il s’est arrêté un an pour venir s’installer en Autriche et être proche de moi. Sans sa présence, j’aurais renoncé. » Sur son bras droit, cerné par un lion, une madone, une colombe, une rose et une croix, un tatouage met Damir et Nevenka en avant.
Accrocheur, il survit à l’impitoyable processus de sélection du RB Salzbourg, véritable usine à talents. Après avoir connu trois ou quatre entraîneurs, il devient l’un des hommes de base de Marco Rose. « Dans le vestiaire, ce n’était pas un leader mais, sur le terrain, Duje parle beaucoup, confie son ancien coéquipier, Diadie Samassekou. Il est capable de recadrer ses coéquipiers s’il sent qu’il y a du laisser-aller. Si un de ses gars prend un vilain coup d’un adversaire, il ne va pas laisser passer non plus. Je n’ai jamais entendu un entraîneur s’énerver avec lui car il comprend vite, on n’a pas besoin de lui répéter les consignes dix fois. Dans le jeu, il est plus dans l’anticipation que dans le combat. Il a une bonne lecture et il est très fort avec le ballon. Il est capable de faire une ouverture avec les deux pieds. »
Danijel Subasic (33 ans), un gamin de Zadar devenu gardien de Monaco et de la Croatie, raconte un garçon « discret, tranquille. Pendant deux mois, on a vécu ensemble, en famille, comme des frères, il n’y avait pas de clans de jeunes ou de vieux. Duje a fait un bon match contre l’Islande (2-1, en phase de groupes), c’est le futur de notre sélection à son poste. L’après Coupe du monde est un peu difficile, il a besoin de temps, je lui souhaite le meilleur à Marseille. »
La tour de contrôle a atterri à la Commanderie le 6 août, après trois petites semaines de vacances. Il s’est vite trouvé un pied-à-terre à Cassis, s’est baladé avec sa compagne au Panier et les premiers jours à l’entraînement ont été d’une gaieté folle, entre joyeuse bagarre avec le petit Yusuf Sari (un demi-mètre de moins mais des high kicks (*) dignes de Patrice Évra) et conseils judicieux du taulier Dimitri Payet : « Il me répète : “Si tu veux gagner à l’entraînement, il faut te mettre dans mon équipe ! Sinon tu es mort” », sourit Caleta-Car. Le samedi 18, à la veille du déplacement à Nîmes, il entonne une chanson paillarde croate pour son bizutage. L’officieux. Celui officiel, dans la marmite des Costières, fut plus corsé (1-3).
“C’est un garçon humble, gentil, souriant, encore timide, mais il s’affirmera comme une magnifique recrue
Adil Rami, son partenaire en défense
Il rit, un peu jaune : « On s’attendait à cette intensité de la part des Nîmois. Et pourtant… On a vraiment été naïfs sur les buts. C’était un grand honneur de porter le maillot de l’OM pour la première fois, mais je n’ai pas donné le meilleur, on n’a pas été bons. J’ai bien compris qu’en L 1, il fallait être tout le temps à 100 %. Avec Salzbourg, on était toujours premiers du Championnat autrichien. Quand on jouait contre les derniers du classement, on le faisait sans forcer, il y avait un tel fossé. Ici, toutes les équipes sont fortes. »
Lancé un peu vite, il est replacé dans son cocon par le staff, qui veut le dégrossir. « Contre Nîmes, tout était à jeter à la poubelle, on a manqué de motivation, de rythme, assure Adil Rami, le protecteur à l’entraînement. Moi-même, je n’ai pas aidé Duje. C’est un garçon humble, gentil, souriant, encore timide, mais il s’affirmera comme une magnifique recrue. Le matin, il n’arrive jamais d’un pas nonchalant, il est dans le travail, Paolo (Rongoni, le préparateur physique) lui a concocté un programme infernal. Hier encore, je les voyais suer tous les deux, et je me suis dit : “Duje, il va tomber, c’est pas possible !” Mais non, il ne râle jamais. C’est un joueur costaud, solide et, attention, il n’est pas lent du tout pour son gabarit. »
Déjà témoin de mariage de l’attaquant bosnien Smail Prevljak à Salzbourg, Caleta-Car s’est rapproché du jeune Serbe Nemanja Radonjic (22 ans) à l’OM. Rami lui a appris quelques insultes pour agrémenter un vocabulaire en français limité (« gauche », « droite », « bien joué », « bienvenue »), insiste sur les notions d’entraide et de communication. Les deux centraux travaillent même des petites bottes secrètes sur les coups de pied arrêtés pour piéger l’adversaire. Et exaucer le rêve de Duje : « Marquer de la tête au Vélodrome, devant ces supporters si bouillants, qui me rappellent les “torcidas” (supporters) croates. »
(*) Coups de pied circulaires utilisés dans certains arts martiaux.
L'Equipe