Konstantinos Mitroglou, grec pris en sandwich (
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Né en Grèce mais élevé en Allemagne, l'attaquant de l'OM est partagé entre deux cultures, derrière lesquelles se révèle un homme discret et populaire dans son pays.
Athènes - On ne peut pas faire plus typiquement grec que Thanassis, qui vient tous les après-midi boire son café et jouer au backgammon avec ses copains retraités dans la cafétéria du Panionios. C'est sûrement pour ça qu'au moment de lancer ses dés entre les volutes de fumée, ce vieux supporter s'est arrêté un instant en entendant prononcer le nom de Kostas Mitroglou. « O Germanos ? » Cela fait six ans que Thanassis connaît l'attaquant grec, depuis ce prêt miraculeux au Panionios qui a évité la relégation au modeste club athénien, et il l'appelle toujours ainsi : « L'Allemand ».
Mitroglou défend les couleurs de la Grèce, où il est né il y a vingt-neuf ans dans la ville de Kavala (nord), mais il représente aussi forcément un autre pays, celui qui l'a vu grandir. L'avant-centre de l'OM a quitté le territoire hellénique avec sa famille alors qu'il était enfant pour s'installer en Allemagne, près du bassin de la Ruhr. Il en détient la nationalité, y a appris la langue et aussi le foot, même s'il n'est pas parvenu à y passer professionnel.
Alors, quand il est retourné en Grèce en 2007 pour signer à dix-neuf ans à l'Olympiakos, le club préféré de son père, Mitroglou a pu se sentir comme un étranger : « Il connaissait très peu de mots en grec et avait des problèmes pour communiquer, se souvient Hercules Antipas, producteur de radio à Athènes dont le joueur s'est vite rapproché. Malgré ça, il a rapidement su faire comprendre quelque chose : comme attaquant, il est capable de marquer beaucoup de buts. »
Pas le genre à faire des blagues
Le temps a permis à Mitroglou de finir par maîtriser le grec, mais il ne donne pas souvent l'occasion de le constater. L'attaquant est un taiseux, ce que ses coéquipiers à Marseille ont cerné en quelques jours. « Tout est très intérieur avec lui, décrit Giorgos Donis, son ancien entraîneur à l'Atromitos (2011-2012). Ce n'est pas quelqu'un qui fait des blagues et des trucs drôles. Jamais. »
En Grèce, il n'accorde quasiment pas d'interview et, quand il passait en coup de vent dans les zones mixtes du Championnat à ses débuts, il se confiait à quelques journalistes bien précis, auxquels il demandait d'arranger ses paroles laborieuses. De lui, les Grecs connaissent surtout ses buts, qui ont fait le bonheur du Panionios lors de son prêt de six mois en 2011 (8 buts), puis de l'Atromitos (16), à l'occasion d'un nouveau prêt. L'attaquant s'est révélé à ce moment-là, préparant le terrain à un retour tonitruant à l'Olympiakos, une fois parti Ernesto Valverde, l'actuel entraîneur du FC Barcelone, qui ne le jugeait pas assez sérieux.
Au Pirée, Mitroglou s'est fait connaître à travers l'Europe en 2013 en réussissant quatre triplés en à peine plus d'un mois, dont un en Ligue des champions contre Anderlecht. Des performances qui vaudront à « Mitrogol » un transfert à 15 M€ à Fulham durant l'hiver 2014 (un échec total), puis un autre avec plus de réussite à Benfica (7 M€ en 2016), en attendant de savoir quoi penser de celui à l'OM pour 15 M€ (pour 50 % des droits du joueur).
À chaque fois, il a rempli le coeur de ses compatriotes de fierté. « Le mec vaut deux fois quinze millions, c'est un exemple pour les Grecs, assure Yannis, l'un des gérants du café Opus, dans la banlieue d'Athènes, où Mitroglou passe régulièrement une tête. Surtout qu'ici on est plus habitués à avoir des bons défenseurs que des grands attaquants. Avec ça, il gagne deux millions par an. Comment voulez-vous que ça ne fasse pas rêver les Grecs pendant la crise ? »
Dans ce bar-restaurant à la mode à quatre cents mètres de la plage de Glyfada, Yannis dresse le portrait d'un homme qui « n'aime pas beaucoup se montrer » et choisit systématiquement de s'installer « loin du monde, là où il pourra être tranquille avec sa famille ». Afin de manger par exemple une assiette de poulet-pâtes, son plat fétiche. Sa discrétion fait de lui, d'après son ami, « une personne qu'il est très difficile de ne pas aimer ». Mitroglou a pourtant dû essuyer quelques moqueries durant sa jeunesse pour ses sourcils épilés et son allure de kéké. Il s'est retrouvé associé au terme de « papaki », du nom de ces mobylettes pétaradantes qu'adorent conduire les ados grecs en faisant des roues arrière, même s'il n'en a probablement jamais chevauché.
C'est d'ailleurs dans cette position qu'il est devenu un embryon de figure politique. « En 2012, des élections étudiantes ont eu lieu à l'université Aristote de Thessalonique et un mouvement d'admirateurs de Mitroglou s'est présenté, raconte le journaliste Stavros Charaindros, qui écrit pour le site Contra. Le logo le représentait en train de cabrer sa mobylette. Le mouvement a fini par être exclu, car il était sûr de remporter les élections. » Sur le bulletin de vote figurait notamment ce message : « Ernesto, je n'oublie pas », à l'attention de Valverde, l'entraîneur qui ne le faisait pas jouer...
Élevé en Allemagne, Mitroglou a réussi à se rendre populaire chez les Grecs, surtout bien sûr chez les fans de l'Olympiakos, qui le regrettent encore. Ses buts y sont pour beaucoup, mais sa double nationalité s'accompagne d'une personnalité tout aussi ambivalente qui a su séduire. « Je pense qu'il est 50 % grec et 50 % allemand, juge Hercules Antipas. Il a un côté typiquement allemand dans son approche de l'entraînement, car il a fini par comprendre l'importance du travail. Et puis il est bien sûr grec dans sa manière d'être cool, jamais stressé : il jouera de la même façon un match de Championnat ou de Coupe du monde. »
Décontracté mais aussi « timide », selon son sélectionneur allemand Michael Skibbe, Mitroglou n'est pas du genre à faire dans la fantaisie. Fan du film Scarface et de l'île de Mykonos, l'attaquant cultive des goûts parmi les plus classiques chez les footballeurs, qu'il accommode d'une simplicité pouvant confiner à la puérilité. « Après une victoire avec l'Atromitos, j'avais autorisé les joueurs à manger des pizzas dans le vestiaire, se remémore Donis, aujourd'hui en poste à l'APOEL Nicosie. Tout le monde s'assoit, sauf Kostas, qui prend la pizza et commence à partir. Je lui demande où il va et il me répond : '' Coach, je ne peux pas manger de pizza sans Coca ! '' Kostas, c'est ça : un garçon très gentil qu'il faut guider. »
Un « gars normal » et naïf qui a su gagner en sagesse avec les années. À l'Olympiakos, il célébrait à l'origine ses buts en mimant un geste de cow-boy avec ses doigts en forme de pistolets, comme il le faisait depuis son enfance où il y avait gagné le surnom de « Pistolero ». Et quand Sokratis Kokkalis, le président du club à l'époque, lui a demandé un jour d'abandonner ce geste guerrier, il a obéi en le transformant en... tir au fusil, jusqu'à se faire avertir pour avoir visé les supporters adverses. Mais depuis quelque temps, le buteur devenu père au printemps a décidé de ne plus associer ses buts à des armes à feu, « avec tout ce qui se passe dans le monde ». Mitroglou vient de Grèce et d'Allemagne, mais il trouve aussi un peu d'inspiration ailleurs.