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Luiz Gustavo « C’est mon rôle d’être en première ligne »
Âme du vestiaire de l’OM, le milieu brésilien revient sur son début de saison contrasté et son épanouissement à Marseille. DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX
RÉGIS DUPONT et MATHIEU GRÉGOIRE MARSEILLE – Luiz Gustavo a vécu un tourbillon d’émotions, ces dernières semaines, entre prestations parfois délicates en défense et recadrages musclés en zone mixte. Souriant et affable, ce jeudi 18 octobre, le longiligne Brésilien (31 ans) fait part de son optimisme et de sa foi dans le « travail », un mot qui reviendra tout au long de l’entretien et dont il est l’incarnation parfaite.
« On revoit le Luiz Gustavo qui finit les matches carbonisé mais épanoui, presque soulagé… J’ai commencé la saison défenseur central. Ça ne me dérange pas de jouer à ce poste, mais je m’y sens prisonnier. Au milieu, j’aide beaucoup plus mes coéquipiers. Le coach m’a demandé de dépanner derrière, j’ai répondu présent et essayé de donner le meilleur ; maintenant, on a Adil (Rami), Duje (Caleta-Car) et beaucoup de joueurs de qualité. L’équipe va progresser avec chaque joueur à son poste.
Pourquoi n’apportiez-vous pas autant derrière ? En défense centrale, tu n’as pas besoin de faire beaucoup de courses, mais ce poste demande de la concentration. Au milieu, je fais de nombreux déplacements, je “trouve” les duels. Le rôle est plus fatigant, mais me stimule. Défenseur, ton corps ne ressent pas la fatigue, mais, dans la tête, tu es rincé. Pour moi, jouer au milieu est naturel. Je peux dépasser mes limites car je les connais.
Vous avez participé à 53 matches la saison passée. Ce rythme vous a-t-il usé ? Je pense avoir réalisé mon record. Le début d’exercice, ça va, et tu peux terminer tranquille, mais, au milieu de saison, tu plafonnes, le corps, la tête sont fatigués. Les trêves sont alors importantes, il faut couper. Sans sélection, je peux récupérer un peu plus. Parfois, c’est compliqué de tout donner, l’adversaire est à 100 % de sa fraîcheur, tu n’es pas au même niveau, il te manque un peu de vivacité, tu as peur de forcer, à cause de la blessure… J’ai appris à gérer.
Avez-vous douté après des prestations ratées en début de saison ? Je n’étais pas bon du tout, mais je n’ai pas douté, je suis resté sur ma philosophie, appliquée pendant toute ma carrière. Le travail. Et je ne peux pas arrêter de travailler ! Que je sois bon ou mauvais, je continue, la salle, la maison, je garde le cap. Dans le foot, c’est normal qu’il y ait des moments difficiles. Tu dois rester fidèle à ton éthique, elle te donne de la confiance, des repères. Si tu te dépouilles moins, ça va te manquer, tu auras besoin de plus de temps pour retrouver ta meilleure forme. Ça, je ne l’ai jamais fait.
Des personnes ont-elles compté ? Une ambiance, plutôt. En France, les gens sont plus tranquilles, ils rigolent plus, cela m’a encouragé à me relâcher. Tu ne peux pas rester tout le temps dans ton coin. Mes coéquipiers m’ont aidé sur ce point.
C’est nouveau pour vous ? Je suis un mec sensé, rationnel, quand j’ai fait un mauvais match, je suis le premier à le reconnaître. Ici, après chaque match, réussi ou raté, je regarde les autres pour voir comment ils se comportent. Ils essaient de sourire, de continuer à vivre, c’est une chose qu’avant je ne pouvais pas faire. Un match raté ? Je me fermais. J’ai un profil différent, pour des raisons culturelles. L’Allemagne, c’est 50 % de moi. Sportivement, tout s’est passé là-bas. Je suis parti jeune du Brésil (20 ans), je n’y ai connu que la Deuxième Division, avant la Seleçao, je n’avais quasiment aucun contact avec d’autres joueurs du Brésil. Marseille, ça me donne l’envie de continuer.
“On se complique les matches alors qu’on peut mieux les gérer. Mais une défaite m’a vraiment marqué : Francfort (1-2, en C 3). On était à 11 contre 10, on s’est endormis
Vos rares passages en zone mixte surviennent après des contre-performances (Francfort, Lille, Limassol). Quel est votre but ? Dans le vestiaire, j’écoute ce qu’on me dit, et je parle aussi, de façon directe. Je ressens beaucoup de respect des autres à l’OM, une bonne mentalité. S’il faut parler fort, on parle fort, parfois. Ça nous donne la confiance. Après les matches, quand la situation est difficile, c’est mon rôle d’être en première ligne. Avec mon expérience, ma responsabilité, j’ai besoin de livrer quelque chose en zone mixte. Ces matches-là, je n’étais pas bien, je suis le premier à le reconnaître, je ne gagne pas seul, je ne perds pas seul. La saison dernière, vous avez parlé beaucoup de moi, sans me voir en zone mixte ! Tous les magazines, tout ça, je découvre… en Allemagne ou au Brésil, je n’ai jamais été trop exposé, je ne me confie pas beaucoup. C’est une bonne surprise, j’ai apprécié. Mais, parfois, tu dois aussi envoyer un signal à l’équipe. Pas comme une critique, mais comme une source de motivation.
Pour vous citer après Lille (0-3) : “Il n’y a pas de Messi, pas de Cristiano à l’OM […] Il faut travailler en équipe, faire les efforts ensemble”… Quel déclic recherchez-vous ? Notre force, c’est le groupe, il y a beaucoup de bons joueurs, avec de grandes qualités, mais un seul élément ne fera pas toute la différence. On a déjà l’exemple de la saison dernière. Ce n’est pas difficile, il faut s’en servir, retrouver cette âme, ces vertus. On peut avoir plus de sécurité, être plus solide : on est sur le podium alors qu’on n’a pas atteint le niveau de la saison dernière. On se complique les matches alors qu’on peut mieux les gérer. On a perdu face à Lille et Lyon ( 2-4), deux très bonnes équipes. Mais une défaite m’a vraiment marqué : Francfort (1-2, en C 3). On était à 11 contre 10, on s’est endormis. Avec tout le respect que j’ai pour Francfort, ce n’est pas possible. On aurait pu continuer la saison en L 1 et en Ligue Europa plus tranquillement, on n’aurait pas compromis nos chances d’entrée.
Quelles différences notez-vous entre les Championnats allemand et français ? En Allemagne, ça va tellement vite… Il y a beaucoup d’intensité, peu de touches de balle, le jeu est direct, vertical. En France, il y a aussi du duel, parce que tu as des adversaires costauds, mais le match est plus tranquille, tu as beaucoup de temps faibles, des un contre un, des joueurs qui étalent leur talent individuel. En Allemagne, ça ne s’arrête jamais, on fait courir le ballon. Ici, on le manie, la qualité individuelle ressort plus. J’aime bien ça, ça me rappelle le Brésil. C’est une expérience parfaite d’être passé de la Bundesliga à la L 1.
“La L 1 est d’un très bon niveau, elle peut encore s’améliorer dans son professionnalisme, partout, du stade à la pelouse. Mais la qualité individuelle des joueurs est incroyable
Le niveau est-il plus faible ? La L 1 est d’un très bon niveau, elle peut encore s’améliorer dans son professionnalisme, partout, du stade à la pelouse. Mais la qualité individuelle des joueurs est incroyable. Il n’y a qu’au Brésil que j’ai vu ça, cette capacité à sortir des phénomènes en un contre un, au milieu, sur les ailes. Sarr (Rennes), Pépé (Lille)… dans chaque équipe, tu trouves ça. Pour un défenseur, c’est un bon apprentissage tant il est dur de maîtriser ce type de joueurs.
Trouvez-vous les jeunes un peu paresseux, comme d’autres étrangers (Joey Barton, Carlo Ancelotti) avant vous ? Difficile de répondre, mon niveau d’investissement est très élevé, je ne peux pas demander la même chose. Chacun connaît ses besoins. À l’OM, les jeunes sont bien préparés, ils bossent bien. J’essaie de les pousser parfois, parce que j’estime que tout le monde peut en faire un peu plus. Je les pique. Je leur dis : ‘‘On nous dit qu’on a des limites. Mais nous n’avons pas de limites, nous pouvons toujours les dépasser.’’ Mon autre credo : ‘‘Si tu penses que tu es jeune et que tu as le temps, tu te trompes, la vie va très vite. Et le foot aussi.’’ Tu ne peux pas te permettre de gaspiller tes chances, quand tu es dans un bon club, tu dois tout donner pour garder ta place.
Le travail, encore, toujours… Je connais peu Messi, qui a peut-être un talent naturel. Mais les autres, ceux qui te semblent différents ? Ils travaillent. Mon ami Neymar, il fait tout pour progresser chaque jour. Thiago Silva, pareil, Roberto Firmino à Liverpool, il a son kiné privé. Ils mettent tous les petits détails de leur côté. Si tu restes paisiblement dans ta zone de confort, c’est le début de la fin.
Vous avez des cibles favorites à l’OM ? Si tu leur demandes, ils te diront tous : ‘‘Parfois, Luiz m’énerve !” Je ne parle jamais dans une optique négative. Je veux juste accompagner, que ce soit Bouna (Sarr), Jordan (Amavi), Lucas (Ocampos), Dim’(Payet), Flo (Thauvin)… Si on commence à écouter les autres, à faire un peu plus pour le collègue, on aidera l’équipe. On a un groupe respectueux, je peux parler avec tous. Si tu as un groupe moins compréhensif, tu fermes ta bouche et tu parles juste avec un ou deux amis.
“Paris est une très bonne équipe, avec des joueurs qui peuvent faire la différence à chaque instant. Pour gagner la Ligue des champions, il ne faut pas juste une bonne équipe
Revenons à Neymar. Il n’a pas été épargné au moment de la Coupe du monde… Les médias brésiliens l’ont jugé trop durement. On attend qu’il fasse la différence à chaque instant, pour moi, il a fait une bonne Coupe du monde alors qu’il est revenu directement d’une blessure au pied. Il est fort dans sa tête, il sait quand il doit corriger ses défauts. Il le démontre .
Son attitude (plongeon, simulation) a été stigmatisée. Oui, ça a pris une résonance mondiale, mais il est très intelligent, il a analysé la situation et a adapté son comportement. Il est capable de changer.
Vous avez gagné la Ligue des champions avec le Bayern, en 2013. Pensez-vous que ce Paris-SG en est capable ? C’est une très bonne équipe, avec des joueurs qui peuvent faire la différence à chaque instant. Pour gagner la Ligue des champions, il ne faut pas juste une bonne équipe. Au Bayern, on était parfois énervés quand on allait sur le banc, on ne comprenait pas le choix du coach, mais on le respectait car on connaissait la force de celui qui était sur le terrain à notre place. Le plus difficile est de trouver cette alchimie. Il y avait beaucoup d’ego dans le vestiaire, mais on était trop proches les uns des autres pour ne penser qu’à notre petit cas personnel. Tu ne trouves pas ça tout le temps.Un groupe où le respect passe avant tout, cela provoque comme une explosion, c’est jouissif, incroyable, tu profites après. J’ai vécu ça avec la finale en 2012 (1-1, 3-4 aux t.a.b. contre Chelsea) puis la victoire en 2013. Paris a la qualité, l’ambition, il lui faut trouver ça pour que ça passe. On ne peut pas prévoir quand. C’est comme une formule magique que tu dois découvrir.
N’est-ce pas pénible de lutter seulement pour la deuxième place ? On a quand même l’exemple de Monaco, champion en 2017. Ce n’est pas la normalité, mais ça prouve qu’il est possible de devancer le Paris-SG. À l’OM, on peut s’offrir des bons moments, il y a ainsi les Coupes. Jouer une finale, c’est magnifique, on l’a vu avec la Ligue Europa (0-3 contre l’Atlético de Madrid). Si on continue de remplir les objectifs, si on améliore le classement et qu’on retrouve la Ligue des champions avec nos supporters, ça fera grandir la ferveur, ça nous motivera encore plus. L’ambiance est déjà incroyable, il faut faire grandir cette flamme, se réchauffer auprès d’elle, et créer une chance, peut-être, de gagner un jour le Championnat. »
L'Equipe