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«Avant Marseille, je n'avais jamais eu de chant à ma gloire»
LE VÉLODROME SE CHERCHAIT UN NOUVEAU HÉROS. IL L'A TROUVÉ EN LA PERSONNE DE LUIZ GUSTAVO, HOMME FORT DE L'OM DEPUIS SON ARRIVÉE L'ÉTÉ DERNIER. LE BRÉSILIEN N'A PAS EU BESOIN DE FAIRE LE SHOW POUR SÉDUIRE MARSEILLE L'EXUBÉRANTE.
C'est l'histoire de la rencontre improbable entre une ville bruyante et un taiseux. En sept mois, le milieu de terrain brésilien Luiz Gustavo a mis Marseille à ses pieds sans avoir l'air d'y toucher. Un chant et un tifo sont déjà venus lui rendre hommage. Dans les bars du Panier, on glisse que, coach Bielsa mis à part, on n'avait plus connu ça depuis Lucho Gonzalez. D'autres exhument même le sacro-saint nom de Didier Drogba. Un profil bien plus flamboyant que celui du grand escogriffe qui avance dans le hall de l'hôtel Intercontinental quelques jours avant le match nul contre Montpellier (0-0) qui a fait chuter l'OM du podium. Le joueur de 30 ans arrive au rendez-vous avec trente minutes d'avance, c'est dire si on est loin du caprice de star.
Luiz Gustavo a le palmarès d'une vedette (une Ligue des champions et un titre de champion d'Allemagne avec le Bayern Munich, une Coupe d'Allemagne avec Wolfsburg, une Coupe des Confédérations avec le Brésil), mais il affiche une humilité désarmante. La seule chose qu'il refusera, avec gêne, c'est de sourire lors du shooting photo. Ténébreux, certes, mais affable. « Même sur les photos privées, je n'y arrive pas, ma femme s'arrache les cheveux avec moi », s'excuse-t-il en français, avec ce petit accent qui lui vaut quelques plaisanteries dans le vestiaire marseillais.
Neuf mois après votre arrivée, comment vous sentez-vous ici ?
J'y suis très heureux. J'évolue dans une grande équipe, avec des supporters fantastiques, des joueurs de qualité et les infrastructures pour travailler sereinement. Et la qualité de vie est très agréable. Me réveiller sous le ciel bleu et le soleil... C'est incroyable. Climatiquement parlant, je me rapproche de mon pays. Et même dans la philosophie de vie des gens. Cela me manquait. La passion que les Marseillais ont pour le foot est merveilleuse.
Si je vous chante « De Marseille à Janeiro, Luiz Gustavo »...
La première fois que j'ai entendu cette chanson, j'avoue que je ne me suis pas rendu compte qu'il s'agissait de moi (rires). Je ne m'y attendais pas du tout. On a déjà crié mon nom dans un stade mais un chant à ma gloire, jamais ! C'était vraiment une agréable surprise. Je ne peux que remercier les supporters en travaillant encore plus sur le terrain.
Et ce tifo à votre effigie, fin janvier...
On peut dire que cette saison est celle de toutes les surprises (il rigole encore). Ma manière de travailler et de vivre, mon dévouement à mon métier expliquent peut-être cela. C'est un honneur.
Depuis Carlos Mozer dans les années 1990, aucun Brésilien n'a su aussi vite s'imposer dans le coeur des supporters marseillais. À quoi tient cette alchimie selon vous ?
C'est toujours très dur de parler de soi. Il m'est plus facile de faire face aux critiques que de faire face aux éloges. Je ne trouve pas les mots pour expliquer ce qu'il se passe entre eux et moi, je ne peux que mettre en avant le travail que j'accomplis. Ce métier est celui dont j'ai toujours rêvé, c'est merveilleux de recevoir tant de reconnaissance et d'amour. Je me dois de mériter cet attachement.
On dirait qu'il vous surprend, cet attachement ?
Non, je ne dirais pas cela. Plutôt que les supporters et moi, on s'entend. On se comprend. Parce que, enfant, j'ai toujours soutenu une équipe ou un joueur. Et dès que j'arrive dans un club, j'essaie de me mettre à la place du supporter. Je sais que, quand il voit un joueur ne pas courir ou commettre une faute impardonnable, c'est dur. Alors j'essaie de donner chaque jour le maximum.
Quel est votre rôle dans le vestiaire marseillais ?
Je suis quelqu'un de très tranquille et positif. Toujours à essayer d'aider les collègues, à trouver le mot qui va donner le moral. C'est sans doute là une de mes principales qualités. Pour jouer à mon meilleur niveau, j'ai besoin que les autres le soient. Je ne peux pas penser qu'à moi, je dois penser aux autres pour être fort avec et par eux.
Vous avez déclaré que le rôle de leader était naturel pour vous car vous avez toujours évolué auprès de personnes plus âgées. Que voulez-vous dire ?
Au fil de ma carrière, j'ai été béni: dans tous les clubs où je suis passé, j'ai souvent été le plus jeune. J'avais besoin d'écouter plus, de travailler plus, parce que je savais que mes chances de jouer étaient plus faibles que les autres. J'ai observé les plus âgés et pris exemple sur eux. Il y a plusieurs façons d'être leader. La mienne passe par le travail et le respect de mes collègues. C'est ce qui fait qu'on m'écoute. On ne peut pas être respecté si on ne respecte pas les autres.
L'entraîneur dont vous avez le plus appris est Louis van Gaal. Pourquoi ?
C'est lui qui m'a fait venir au Bayern Munich (en 2011, alors qu'il jouait à Hoffenheim). Nous avions une équipe incroyable à cette époque. À mon poste, il y avait Tymoschuk, et rien de moins que Toni Kroos et Bastian Schweinsteiger. Louis van Gaal a été très sincère à mon arrivée : « J'ai ces deux joueurs, et toi. Comment vas-tu faire pour jouer? » Je lui ai répondu que je respectais son opinion, mais que j'allais travailler dur pour mériter ma place. Au bout de quelques jours, j'ai compris que plus on travaillait, plus le coach était prêt à nous aider. Que notre nom importait peu. À la fin de chaque journée, il venait me voir en me donnant des pistes pour m'améliorer. J'ai fini par jouer 16 matches sous sa direction, et à tous les postes : latéral gauche, défenseur central... Il a été essentiel.
Avec Pep Guardiola, le courant est moins bien passé.
Malheureusement, il avait déjà en tête son idée sur moi avant même de me connaître. Mais c'est par Filipe Luis, le joueur de l'Atlético de Madrid, que j'ai su que je n'allais pas rester au Bayern! À chaque fois que je parlais avec lui, il me demandait si j'allais bien venir à l'Atlético... Je ne comprenais pas, vu qu'il me restait trois ans de contrat au Bayern, que j'y étais heureux, et que je venais de gagner la Coupe des Confédérations. Au bout d'un certain temps, mon agent m'a expliqué la situation: Pep Guardiola n'envisageait pas de travailler avec moi. Dans le fond, ce n'était pas grave, mais il aurait pu m'en parler. Je n'allais pas rester dans un club où l'entraîneur ne comptait pas sur moi, c'était évident.
En 2013, vous quittez le Bayern pour Wolfsburg où, selon votre ancien entraîneur Valérien Ismaël, vous finissez par perdre le plaisir de jouer...
C'est vrai. Le passage d'Ismaël a été bref mais intense, il nous a aidés du mieux possible. Il m'a dirigé à une époque de ma vie particulièrement difficile. Il y avait des situations dans le club que je n'arrivais pas à accepter, alors je suis rentré chez moi pour me ressourcer et revenir plus motivé.
Le plaisir, vous l'avez retrouvé ici ?
J'aurais pu faire d'autres choix que de venir ici. Aller dans un club avec moins de pression, ou rester en Allemagne dans ma zone de confort. Mais j'avais besoin d'un défi. Mon entourage me disait de manière unanime: « Si tu vas à Marseille, il faut que tu sois préparé ! » Aux critiques, à la vie qui n'est pas forcément facile, à un club qui ne va pas toujours très bien. Je savais que j'allais peut-être courir un risque, mais que ce risque pouvait m'amener à me dépasser. C'est exactement ce qu'il s'est passé. Marseille m'a rendu la joie et le plaisir de faire mon travail de la meilleure des manières.
De la meilleure manière... Vous en êtes déjà à onze cartons jaunes et un rouge ici. Et vous détenez le record d'expulsions en Bundesliga.
(Il bougonne en souriant.) Les statistiques de cartons, cela ne m'a jamais beaucoup intéressé. Oui, j'ai reçu beaucoup de cartons rouges pour lesquels j'étais coupable, certains n'étaient pas vraiment utiles... Cela ne me préoccupe pas car qui me connaît au quotidien sait comment je suis. Ce n'est pas une histoire de méchanceté. Je suis quelqu'un qui respecte tout le monde.
Est-ce que cette grinta, justement, ne contribue pas à vous faire aimer ici ?
J'ai toujours eu ça en moi. Je veux courir plus, gagner plus, récupérer plus de ballons, donner plus physiquement... Je suis très exigeant avec moi.
Vous avez vécu des moments douloureux : la perte de votre mère, à 16 ans, celle de votre grand-mère fin octobre, qui vous a beaucoup affecté. Malgré la fatigue et le décalage horaire, vous avez tenu à jouer peu de temps après ses funérailles, quelques heures après votre atterrissage...
Je n'ai rien fait d'exceptionnel, juste ce que j'avais à faire, et ce que ma grand-mère m'avait enjoint à faire. C'est dans ces moments-là qu'on comprend que le mot « limite » n'existe pas en soi. Chacun les définit selon ce qu'il est capable d'accepter. En me dépassant sans cesse, je continue de suivre les enseignements qu'elles m'ont toutes deux prodigués. Je n'aime pas utiliser l'expression « mauvais moment », car toute expérience a un bon côté. Ces épisodes m'ont rendu plus fort.
On voit d'ici la Bonne Mère qui veille sur la ville. Vous êtes très croyant. Qu'est-ce-que votre foi vous apporte dans votre pratique du football ?
J'essaie toujours de redistribuer les bonnes choses qui me sont arrivées au cours de ma carrière, d'aider ceux qui sont dans le besoin. Nous qui avons cette chance de jouer au foot professionnellement, de profiter d'une qualité de vie supérieure au citoyen lambda, nous pouvons transmettre un message. Par mon style de vie et ma manière d'être, j'essaie de montrer que la foi et le travail peuvent conduire à réaliser ses rêves.
Quels sont vos liens avec les Brésiliens de Ligue 1 ?
Dante est un ami personnel. Thiago Silva également. J'échange beaucoup avec eux. Avec Neymar aussi, parfois, et Dani Alves. Je suis ravi qu'il y ait autant de Brésiliens en Ligue 1.
Et vous seriez ravi que Neymar y reste ?
Bien sûr. Neymar est un garçon très intelligent. Ce qu'il désire le plus au monde, c'est pouvoir revenir et jouer au football le plus rapidement possible. Et, selon moi, il peut atteindre tous les objectifs qu'il s'est fixés en évoluant au PSG.
Le sélectionneur brésilien Tite ne vous a pas retenu pour les derniers matches, contre la Russie et l'Allemagne. Vous vous y attendiez ?
On va dire que oui, car il y a deux grands joueurs (Casemiro du Real Madrid et Fernandinho de Manchester City) qui jouent à mon poste. Un poste qui requiert une confiance vraiment particulière de l'entraîneur. Avec cette paire, il a réussi à bâtir une équipe qualifiée pour la Coupe du monde et qui gagne tous ses matches amicaux. Je respecte son opinion et ces deux joueurs. Actuellement, c'est leur moment. Pas le mien. Tant que l'équipe du Brésil va bien, je suis heureux.
Vous avez déjà réservé vos vacances pour cet été ?
(Il sourit franchement.) Presque. Je suis réaliste, cela me paraît très compliqué de participer à cette Coupe du monde. Mais je continue à travailler pour avoir une chance de retrouver la sélection.
Vous en êtes déjà à presque 50 matches disputés avec l'OM cette saison. Vous sentez-vous d'attaque pour cette lutte, si tendue, pour la troisième place ?
La trêve internationale m'a fait du bien, je me sens prêt à retrouver la meilleure forme possible. Collectivement, notre fatigue ne peut être une excuse. Notre saison a été très bonne, il faut maintenir une concentration extrême pour avoir une chance de jouer la C1 ou la C3. On fera notre maximum.
En décembre, vous disiez avoir pratiquement réalisé tout ce que vous vouliez faire dans le football. Que vous manque-t-il ?
Je sais qu'il y a certaines choses que je ne pourrai plus réaliser. Comme jouer de nouveau une Coupe du monde, par exemple. Mais j'en ai déjà joué une (en 2014). Disons que j'ai réalisé une partie de ce rêve. Et puis, il y a un club où j'ai toujours rêvé de jouer. Je sais très bien que cela ne se fera pas.
(On le coupe.) Au FC Barcelone ?
(En français.) Non, ce n'est pas le Barça (sourire). (Il reprend en portugais.) Mais j'ai vraiment failli y aller, c'était presque fait (on maintient le Barça, qui l'a courtisé en 2013).
Une dernière question : d'où vient cette moustache qui signe votre look ?
Je l'ai laissée pousser lors de la Coupe des Confédérations au Brésil (en 2013), sans véritable raison. Je m'y suis habitué. Quand mon fils est né, j'avais cette moustache. Il a donc gardé cette image de moi, et maintenant, chaque fois que je propose de l'enlever, il ne veut pas (rires). Pareil pour mes cheveux. Un jour, en plaisantant, je lui ai demandé s'il voulait que j'aie les cheveux longs, il a répondu oui. Donc j'ai laissé pousser et maintenant, je me suis fait à cette image. Ma femme aime bien, ça va.