Information
«ICI, IL FAUT SE BATTRE POUR AVOIR LE BALLON»
LE MILIEU BRÉSILIEN DE L'OM ÉVOQUE SON ADAPTATION À MARSEILLE ET À LA FRANCE, APRÈS DIX ANNÉES PASSÉES EN ALLEMAGNE.
Il dit ne pas très bien parler le français mais semble apprendre très vite. Luiz Gustavo (30 ans) n'a tiqué qu'une fois sur une question dans notre langue tout au long de l'entretien qu'il nous a accordé jeudi au centre d'entraînement de l'OM, en portugais et en français. Le milieu international brésilien est parfois moqué par ses coéquipiers pour son accent mais il possède déjà assez de vocabulaire pour s'imposer comme un leader, dans le vestiaire et sur le terrain. Même en tribunes, où il a gagné une forme d'immunité en ouvrant le score face au PSG, le mois dernier (2-2).
« Qu'est-ce qui a convaincu un champion d'Europe 2013 de venir à Marseille ?
Le défi. J'aime tenter de nouvelles choses, me sentir toujours poussé au maximum. Je n'ai pas peur de me confronter à un monde différent. Au contraire, j'adore ça.
Après dix ans de Bundesliga, aviez-vous besoin de changement ?
L'Allemagne est un pays merveilleux. Je lui dois une grande partie de ce que je suis devenu. Mais à un moment, quand on en ressent le besoin, il faut changer. Chercher une équipe, un défi qui vous motive réellement. Et ici, il y a tout cela : une équipe, une ville où je me sens de mieux en mieux jour après jour, des gens chaleureux, passionnés, qui me rappellent le Brésil.
Aviez-vous aussi besoin d'un peu de soleil ?
(En français.) Ici, c'est très, très mieux ! (Il reprend en portugais). Au bout de dix ans en Allemagne, ma vie était presque devenue automatique : aller à l'entraînement, passer chercher mon fils, rentrer à la maison. Ici, il y a le soleil, le ciel est toujours bleu.
Que connaissiez-vous de l'OM ?
Pas grand-chose. J'avais joué une fois contre Marseille en Ligue des champions avec le Bayern (1). Je savais que Ribéry avait joué ici, que beaucoup de grands joueurs sont passés ici. On m'a dit qu'il y avait une grande tradition, des supporters passionnés, que le retentissement du club était immense à travers le pays. Qu'il était difficile de rester insensible à l'OM.
Rudi Garcia voulait déjà vous recruter à l'AS Rome. Quel a été son rôle dans votre venue ?
Je ne savais pas, pour la Roma. Avant de venir, je n'ai parlé avec lui qu'une fois, au téléphone. Ça valait plus, à mes yeux, que plusieurs conversations que j'ai eues avec d'autres clubs. Je n'aime pas les discussions à n'en plus finir mais les discussions constructives : "Qu'est-ce que tu veux, qu'est-ce qu'on attend". Voilà. J'ai parlé aussi avec (Andoni) Zubizarreta, le directeur sportif. Pour moi, tout était réuni pour que je vienne ici. Leur façon de m'appréhender était la bonne : on parle et on travaille. Pour moi, il n'y a que ça qui vaille, travailler.
Avec l'OM Champions Project, le club est au début d'une nouvelle histoire, mais n'a pas l'argent du PSG ni ses stars. Que peut-il viser ?
Le projet est très ambitieux. Mais je crois qu'on ne peut pas vraiment comparer avec le PSG. Notre philosophie est différente, nos supporters aussi. Ils aiment les joueurs qui luttent, se battent, qui vivent leur club. Le PSG, c'est plutôt un club de stars. Nous, je crois qu'on doit rester dans ce qui fait l'essence de l'OM : jouer quatre-vingt-dix minutes à fond, se battre et qu'à la fin nos supporters soient fiers de nous.
Quel est le niveau de la Ligue 1 ?
J'aime ! C'est très bon, ça m'a vraiment surpris.
Est-ce plus physique qu'en Allemagne ?
Non, en Allemagne on court plus, il n'y a pas autant de duels mais c'est plus intense. Ici, vous avez le temps de réfléchir, d'étudier un peu ce qui se passe, de calmer le jeu ou pas. En Allemagne, on n'a pas ce temps, c'est un jeu sans doute plus automatique, mais qui exige beaucoup de vitesse. Jouer en touchant le moins possible le ballon, en l'ayant le moins longtemps possible dans les pieds. Jouer vite et simple, c'est naturel pour moi.
Au début, vous ne parliez que de "douels" (duels), comme le rappelait récemment Jordan Amavi. Est-ce si important ?
Avant les matches, j'essaie toujours de parler aux joueurs. Ici, il y a des duels, il faut se battre pour avoir le ballon. Un duel gagné, c'est plus de calme et de contrôle sur le jeu. Si on ne gagne pas les duels, on va courir, courir et encore courir. Tout se complique.
Vous avez reçu six cartons jaunes et un rouge depuis le début de la saison. Est-ce un problème d'adaptation à la L 1 ?
Je ne peux pas dire que c'est un problème d'arbitrage, parce qu'en Allemagne aussi j'en prenais pas mal (sourire) (2). Au début, j'ai eu du mal ici parce qu'on peut prendre un carton jaune pour des contacts pas si rudes que cela. En Allemagne, on peut se permettre des fautes un peu plus dures. J'ai dû m'adapter.
À Marseille, vous semblez plus à l'aise avec un autre milieu défensif à vos côtés. D'ailleurs, les résultats sont meilleurs depuis le passage au 4-2-3-1…
C'est difficile de dire ça. Parce que quand on a joué à trois c'était avec Maxime (Lopez) et Morgan (Sanson), deux joueurs très talentueux qui vont beaucoup nous aider cette saison. Mais nous n'avons pas eu tant de temps que ça pour travailler nos automatismes. L'entraîneur a changé, on est passés à deux devant la défense et ça a fonctionné avec Zambo (Anguissa),un joueur qui a aussi beaucoup de qualités. C'est ça le football, une affaire d'opportunités. Ça marche bien comme ça, et quand Morgan ou Maxime entrent, ils nous aident aussi beaucoup.
Tous les joueurs cités, Lopez, Sanson, Anguissa, sont très jeunes. Votre rôle, c'est celui du grand frère ?
J'essaie d'aider, de parler, de transmettre un peu de ce que je sais. Au fur et à mesure, je maîtrise un peu mieux le français et j'en fais un peu plus. Même avec Kamara, qui est encore plus jeune et a un talent énorme. Transmettre cette énergie positive, ça m'aide moi aussi. Parce que je ne sais pas tout, je continue à apprendre, et je m'enrichis aussi en parlant avec eux.
Lorsque vous étiez plus jeune, qui était votre modèle ?
Je n'ai jamais eu vraiment de modèle de joueur. Mais ceux qui m'impressionnent le plus, ce sont les plus simples dans leur jeu. Ceux qui ne font des choses difficiles que quand c'est nécessaire pour l'équipe.
On a l'impression que vous avez pris un rôle très important en quelques mois. Vous portiez même le brassard contre Caen. Est-ce naturel d'être un leader ?
Ça a certainement à voir avec ma personnalité, J'ai grandi entouré de personnes plus âgées, j'ai toujours aimé les défier. Et les gens ont confiance en moi, en cette forme de pensée positive. Quand je parle, c'est toujours de manière positive. Parce qu'on a toujours besoin des autres. Dans toutes les équipes où je suis passé, brassard ou pas, ça ne faisait pas vraiment de différence à mes yeux. C'est naturel pour moi d'aider, de transmettre mon énergie.
Avez-vous été inquiet après les lourdes défaites contre Monaco (1-6, le 27 août) et Rennes (1-3, le 10 septembre) ?
Ce qui compte, c'est que l'équipe n'a pas dévié, on a continué à bien travailler, on a corrigé, on a toujours regardé devant.
Avant le Classique (2-2, 22 octobre), aviez-vous peur de prendre une correction ?
Non. En arrivant ici, je ne connaissais pas la dimension de cette rivalité, cette longue histoire avec Paris. Mais dès que je suis arrivé, on m'en a beaucoup parlé. On a réussi un grand match, à la hauteur d'un tel rendez-vous. C'était sensationnel.
Avec votre but (l'ouverture du score, 16e ), vous avez gagné de la tranquillité pour toute l'année !
Non, à mes yeux je n'ai rien gagné (sourire). Ce n'est pas ma philosophie. Je regarde toujours le match qui arrive. Paris, c'est passé, c'est derrière. Ce qui compte, c'est notre classement en fin de saison.
Préférez-vous marquer d'une belle frappe du gauche ou récupérer un ballon de contre-attaque adverse ?
(En français.) Récupérer le ballon. (De nouveau en portugais.) Je n'ai pas besoin d'être le meilleur, le capitaine, etc. J'ai seulement besoin d'avoir la certitude que je fais de mon mieux. Ce qui me rend heureux c'est ça : ni le pire ni le meilleur, mais que ce soit moi. Je ne me sens pas bien parce qu'on parle de moi dans les journaux ou parce qu'on me voit à la télévision. Je me sens bien quand je suis en paix, quand ma famille est heureuse, quand je peux faire ce que j'aime.
Vous parlez beaucoup de travail, mais dans un environnement pareil, est-ce facile de rester calme ?
Oui, je suis comme ça. C'est sans doute dû à mon parcours personnel. Je ne peux pas oublier ce que j'ai fait pour en arriver là. Je me suis toujours bagarré. On souffre déjà assez dans la vie pour obtenir certaines choses, ça ne sert à rien de s'infliger des souffrances supplémentaires. Ce que j'ai, je l'ai obtenu grâce à mon travail, et je remercie le football pour m'avoir donné autant. À certains moments, ç'aurait pu tourner autrement, je ne l'oublie pas.
Faites-vous allusion à votre enfance (voir page 8 ) ?
Ma mère est morte quand j'avais seize ans, mon grand-père est mort il y a trois semaines. Quand ma maman est partie, j'étais à un âge dangereux. À seize ans, il y a deux routes : soit on prend le bon chemin, soit on prend le mauvais. Grâce à Dieu, j'avais un père, une mère et un grand-père qui m'ont enseigné ce qui fait qu'on voit clair. Et je n'avais qu'une chose en tête : réaliser le rêve de ma maman, qui était que je sois un joueur de football. Alors quand j'ai eu l'opportunité de partir en Allemagne, dans ma tête c'était clair : je devais saisir cette chance. Et, aujourd'hui, je remercie tous les jours ceux qui m'ont poussé à la saisir. J'ai tout ce dont j'ai besoin, je suis en bonne santé, avec ma femme, une guerrière qui me soutient depuis plus de onze ans, mon fils, et je suis chanceux d'avoir ces personnes à mes côtés.
Avant l'épisode Évra, aviez-vous déjà vécu un tel incident ?
Non. C'est difficile de prendre position dans ce type de situation. Je crois que j'étais un des premiers à arriver pour tenter de calmer un peu les choses. Mais, d'un coup, plein de gens sont arrivés, ça a bougé dans tous les sens et je n'ai pas bien vu ce qui s'est passé. J'ai essayé de contenir les supporters, mais ça n'a pas suffi pour éviter ce qu'on sait. Et aujourd'hui, on ne peut pas en dire beaucoup plus.
On dit souvent qu'à l'OM, il se passe toujours quelque chose...
Avant de signer dans un club, j'essaie de comprendre où je vais arriver. Comment sont les supporters, avec qui je vais travailler, alors ici je savais que c'était passionné. Aussi bien dans le positif que dans le négatif. Nous, les joueurs, nous devons être intelligents, comprendre ça, nous préparer pour, quel que soit le contexte, être capables de donner le maximum. La seule chose qu'on nous demande, en fait, c'est de batailler. Quand un joueur parvient à intégrer cela, c'est plus facile. C'est la réflexion que j'ai eue avant d'arriver ici. Bien me préparer, à chaque match, pour dépasser tout ce qui se passe autour. Nous, les joueurs, sommes là pour donner le meilleur sur le terrain. » '
(1) En quarts de finale, lors de la saison 2011-2012 (2-0, 2-0).
(2) En dix ans (2007-2017), dont neuf en Bundesliga, il a connu huit expulsions.