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Valère Germain, sur la pointe des pieds
Le discret attaquant marseillais, qui préfère faire marquer les autres, jette un regard modeste sur ses propres qualités.
Valère Germain s’excuse d’être arrivé en retard au centre d’entraînement où nous avions rencard. Dix minutes. Sur le chemin, il a eu un problème avec sa «voiture de fonction». C’est si sincèrement dit qu’on le croirait même s’il affirmait avoir croisé la dame blanche promenant deux pitbulls noirs. L’attaquant de l’Olympique de Marseille a plutôt bonne mine, et c’est raccord. Depuis février, il se remet à jouer et à marquer après une tripotée de week-ends à regarder ses collègues depuis le banc de touche et, peut-être, avoir entendu un youtubeur au million d’abonnés se payer sa pomme. Quand la confiance revient, il parle de ces matins qui ont l’air plus beaux. Et quand elle file, de ces occasions foirées que l’on ressasse. Cette année, l’OM passe au travers mais l’an dernier, son club avait atteint la finale de la League Europa, la Coupe d’Europe des précaires et repêchés, contre l’Atlético Madrid, un sacré client. Il rate une belle occasion à 0-0. L’OM prend deux buts ensuite. Les récits post-défaites, médiatiques ou confidentiels, se construisent alors ainsi : «Ah ! si seulement Marseille possédait un grand attaquant, peut-être que…»
Employé casse-cou
A Rennes, il y a deux mois, il plante le but de l’égalisation en se cognant la tête très fort contre un adversaire. Il ressort de là avec un œuf comme ça sur le front, un joli Kinder Surprise. Agé de 29 ans, il est arrivé dans la cité phocéenne à l’été 2017 en provenance de Monaco, pour environ 8 millions d’euros. Recrue idéale. Bon joueur de ballon, intelligent, capable d’en mettre une dizaine au fond par saison, de faire les efforts pour autrui sans rouspéter et de surcroît, fervent supporteur de Marseille. Il y est né alors que Bruno, son père, y évoluait lors des années Tapie (1988-1991). Pour son 1er match officiel, VG inscrit un triplé. Ovation folle du Stade-Vélodrome, qui ranimerait la libido d’un macchabée. A l’époque, les patrons font encore miroiter l’arrivée d’un gros calibre en attaque. Qui ne viendra pas. Et une toute petite musique journalistique commence à jouer l’air d’un refrain : «Et si, au fond, Valère suffisait ? Peut-être qu’on le sous-estime ? Et s’il avait été argentin tatoué, avec des cheveux de motard fugitif ou juste grande gueule, ne vaudrait-il pas le triple de son prix ?» Ça a duré quoi ? Un mois, le temps que Marseille prenne l’eau de tous les côtés. Puis, les Guignols de l’info se sont fendus d’un sketch sur Valère Germain, zozotant à mort et trébuchant sur le ballon. Tu parles d’une injustice : ce bonhomme-là ferait le bonheur de trois quarts des clubs de Ligue 1.
Employé chanceux
L’année du titre de Monaco en Ligue 2, il rencontre sa future femme. «J’avais vu des photos d’elle sur les réseaux sociaux.» Et ils se sont vus en vrai. Ça le fait sourire. Ses parents ont divorcé, et sa mère, qui suivait jusque-là son époux, est devenue cadre à la Banque postale. Sa sœur préfère le PSG, c’est écrit ici et là dans les interviews croisées avec son papa, ex-milieu de terrain. Ils se ressemblent un peu. En haut, il manque quelques cheveux. Bruno : «La plus grande fierté, c’est de savoir que tous les entraîneurs qu’il a connus sont heureux d’avoir eu Valère sous leurs ordres.» Et aussi : «Petit, il jouait tête levée. C’était déjà un vrai footballeur, même si on ne peut jamais prévoir la suite.» A 15 ans, Valère rejoint l’AS Monaco en provenance de Châteauroux, le domicile familial est alors à Orléans. L’un de ses premiers formateurs le décrit ainsi dans les colonnes de la Nouvelle République : «Valère, c’est le premier de la classe, il avait un an d’avance, et son bulletin scolaire au lycée était très bon.»
A 26 ans, il confessera avoir pleuré après avoir été écarté d’un match de Ligue des champions, la Coupe d’Europe des gros bras. Sa famille était dans les tribunes. «Je voulais les rendre fiers.» Est-ce qu’un footballeur pleure souvent ? «Quelques fois…» Drôle de job ! Il y aura toujours ou presque un fond de passion enfantine qui l’enrobera, avec les émotions pures qui vont avec. A 27 ans, il descend une ou deux marches dans la hiérarchie des attaquants de la Principauté, où il aura plus que résisté au recrutement cinq étoiles et où il fut un joker très respecté. Là-bas, un cyborg vient d’atterrir avec sa tétine sur le Rocher et s’est mis à balancer des boules de feu aux quatre coins de France et d’Europe : Kylian Mbappé. Germain, pas peu fier : «Avec le recul, je peux dire que ce n’est pas n’importe qui qui m’est passé devant…»
Employé privilégié
Il est conscient d’être riche, solidaire de ceux qui marchent le samedi tout de jaune vêtus pour engraisser le smic gringalet. Il ne voit qu’une seule manière d’aider les justes causes : «On a le pouvoir d’influer sur le moral des gens, de donner du bonheur. Alors, on fait le maximum.» Et : «Je ne sais pas si on mérite tout cet argent… Mais on nous le donne, donc on le prend. Simplement, il ne faut pas croire que lorsque l’on perd, notre vie est joyeuse à la maison.» Il en est à 7 buts cette saison, à juger à l’aune du parcours cabossé et laborieux de l’OM, qui joue, de temps à autre, un football à pisser sur la tombe de l’inventeur du football. L’OM Champions Project vendu au peuple par le proprio américain a lui aussi pris un œuf sur le coin de la gueule.
Employé altruiste
Germain s’est, soit dit en passant, récemment découvert une passion pour le vin. Pour le reste, il assure sans bouger un début de poil de sourcil qu’il n’a pas le niveau «pour le Real Madrid ou le Bayern Munich». Mais que l’OM est déjà un excellent morceau. Depuis le début de sa carrière, Germain se dépeint en shériff adjoint. Il est là pour aider la star et gratter, une fois le Maestro bronzé, ce qu’il reste d’ultraviolets, comme Ben Baker, dans le manga Olive et Tom. Le joueur, à propos des trois champions du monde français que compte l’effectif marseillais : «Ils le sont devenus aussi un peu grâce à nous… Alors, on l’est peut-être un tout petit peu.» Germain déroule ça comme le prêtre magnifie son sacerdoce. Tellement, qu’on lui a demandé, à brûle-pourpoint, s’il était croyant. «Non, athée…». Et : «Ma fierté, c’est que des attaquants de très haut niveau disent qu’ils ont été très contents de jouer avec moi.» A Monaco, c’était Falcao, gâchette colombienne. A Nice, Hatem Ben Arfa, gâchis français. A Marseille, c’est désormais Mario Balotelli, l’Italien doué, mais soupe au lait. Tout se passe comme prévu : Germain cavale ici et là, Balo cartonne. Douze matchs, huit buts. Un confrère se souvient de cette histoire-là. Lors d’une partie à Nice, Germain a réclamé plusieurs fois la balle à Ben Arfa le soliste. Qui n’a pas donné suite. Après coup, Germain plaidera presque coupable. Peut-être que c’est lui, à bien y regarder, qui n’était pas assez bien placé.