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Bruno et Valère Germain « C’est incroyable
ce quʼil nous arrive »
Vingt-sept ans après son père Bruno, Valère Germain s’apprête à disputer lui aussi une finale de Coupe d’Europe avec l’OM, en Ligue Europa. L’occasion pour les deux hommes de se livrer sur leur incroyable destinée olympienne. DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
BAPTISTE CHAUMIER MARSEILLE – Au lendemain d’une journée agitée ouverte aux médias, comme le prévoient les règlements UEFA, la Commanderie a retrouvé, mercredi, un peu de calme, malgré la dizaine de supporters qui patientent aux grilles en quête d’un autographe ou d’un selfie. À l’intérieur du centre d’entraînement de l’OM, Bruno Germain (58 ans) a pu déjeuner à la cantine du club en attendant son fils, Valère (28 ans), retenu par un entraînement sous un soleil de plomb. Depuis quelques jours, le paternel est descendu dans le Sud, une visite prévue de longue date mais qui réveille les souvenirs et assure une sorte de trait d’union entre les époques. Il y a vingt-sept ans, Bruno a disputé une finale de Coupe d'Europe des clubs champions face à l’Étoile Rouge Belgrade (0-0, 3-5 aux t.a.b.). Cette fois, c’est au tour de son fils d’y goûter, sous le même maillot en Ligue Europa, face à l’Atlético de Madrid. L’occasion de parler de ces moments passés et à venir et d’évoquer cette filiation.
« La famille Germain semble née sous une bonne étoile. Bruno : On s’en rend compte tous les jours, effectivement. Au départ, on a eu cette passion pour le foot et pour l’OM, tous les deux, et on a eu la chance d’en faire notre métier.
Valère : C’est rare, je pense. Les frères Ayew ont joué à l’OM, comme leur père (Abedi Pelé a évolué à Marseille entre 1988 et 1993, ses fils André et Jordan Ayew dans les années 2010) mais ils n’ont pas disputé de finale de Coupe d’Europe, même s’ils ont gagné des titres. Je ne sais pas si c’est déjà arrivé à l’OM qu’un père et son fils arrivent à ce stade d’une compétition.
Bruno : Apparemment, “Moustique” (Thierry Agnello, le rédacteur en chef d’OM Média et mémoire du club) me disait qu’il y avait les Maldini (Cesare et Paolo) à l'AC Milan qui l’avaient déjà fait, mais il n’a pas trouvé d’autres exemples. C’est incroyable ce qu'il nous arrive.
Vous mesurez justement la difficulté de se hisser en finale d’une telle compétition ? Valère : J’espère qu’à partir de maintenant ce sera plus souvent (sourires). Mais c’est rare. La dernière fois, c’était il y a quatorze ans (finale de la C3 perdue contre Valence, 0-2).
Bruno : Dans une carrière, ça arrive une ou deux fois seulement.
Valère : C’est vrai, sauf pour les très grands joueurs.
Bruno : Je suis hyper heureux et fier de voir Valère jouer au foot au très haut niveau. Maintenant, en plus, il est à l’OM et, moi, je suis supporter de l’OM, c’est mon club. Ce n’est que du bonheur. Je n’espère même qu’une chose, c’est qu’il en fasse encore plus que moi, qu’il ait un meilleur palmarès que le mien (trois Championnats et une Coupe de France avec Marseille entre 1988 et 1991, puis un Championnat de D 2 en 1995).
“On avait une grosse équipe, mais aussi une équipe de copains. On déconnait bien ensemble
Bruno germain
Est-ce que le père ancien footballeur donne des conseils à son fils pour mieux appréhender cet événement ? Bruno : Je vais lui dire quelques phrases, comme ça, mais il n’a plus dix-huit ans. Il est dans un bon groupe avec un coach, Rudi (Garcia), qui connaît le métier. Je sais qu’il est entre de bonnes mains.
Valère : Il n’y a pas de pression particulière. Il faut juste profiter de tous ces moments-là. En finale, on sera certainement outsiders, mais on va jouer à fond.
Bruno : Et en même temps, les mecs, il faut qu’ils se mettent dans la tête qu’ils ont leur chance.
Valère : Bien sûr mais il ne faudra pas déjouer et être submergé par la pression.
Bruno : Sur un match, Valère, c’est jouable ! Dans le tunnel, ils seront onze, comme vous. Ils sont faits comme vous, ils ne font pas trois mètres. Il faudra leur marcher dessus pour espérer ramener quelque chose.
Les souvenirs de la finale de 1991 sont-ils encore vivaces ? Bruno : C’était la folie partout, dans Marseille mais aussi en France. Je me souviens des avions spéciaux qui allaient jusqu’à Bari (en Italie,lieu de la finale), des bus plein de supporters. Il y avait des milliers de personnes qui cherchaient à venir nous soutenir jusqu’en Italie.
Valère : Moi, je n’en ai aucun souvenir (sourires). J’avais un an et quelques mois.
Bruno : Tu étais resté à la maison avec la nounou.
L’atmosphère actuelle est-elle similaire à celle de 1991 ? Valère : On sait que Marseille est le club le plus suivi en France, même si on ne ressent pas de folie particulière parce qu’on ne va pas sur le Vieux-Port tous les jours.
Bruno : Moi, je le ressens, oui. Bon, nous, on avait la grosse équipe, mais quand on jouait à l’extérieur, on n’était pas sifflés. Les gens aimaient cette équipe. Aujourd’hui, je remarque un peu la même chose. Quand l’OM joue à l’extérieur, pas trop loin d’Orléans (où il vit), je vais voir le match. J’étais à Troyes, à Angers, et on était chez nous.
Valère : À Troyes, c’était impressionnant ! La moitié du stade était marseillaise. Quand on est entrés sur le terrain, le public nous a applaudis. Les Troyens, eux, se sont presque fait siffler.
Bruno : L’OM reste le club préféré des Français.
Valère : J’ai vu une vidéo sur les réseaux sociaux après le match de Salzbourg, c’était fou ! On y voit des scènes de joie partout dans le monde : en Thaïlande, au Sénégal, à New York, en Martinique…
Existe-t-il des similitudes entre l’équipe actuelle et celle de 1991 ? Bruno : On avait une grosse équipe, mais aussi une équipe de copains. On déconnait bien ensemble. J’ai l’impression de retrouver cela, hein, Valère ?
Valère : Oui, c’est vrai. On a réussi à créer des liens entre nous et cela n’arrive pas tout le temps dans le foot.
Jouer une finale avec l’OM, cela représente quoi exactement ? Valère : C’est mon club d’enfance alors, jouer à l’OM, c’était déjà magnifique, mais, jouer une finale, c’est encore plus beau. Maintenant, il faudrait la gagner pour rentrer un peu plus dans l’histoire et rejoindre l’équipe de 1993 (victorieuse en finale de C 1 contre l'AC Milan, 1-0).
Bruno : Nous, on était préparés pour ça, pour gagner la Ligue des champions. Tapie nous avait formatés pour aller au bout. L’année d’avant, on avait été éliminés injustement en demi-finales (contre le Benfica Lisbonne, sur un but de la main de Vata, 0-1, le 18 avril 1990). En début de saison, les ambitions étaient claires. On ne vivait que pour ça. Sur le terrain, on était des tueurs. C’est pour ça que je dis : l’Atlético de Madrid a une belle équipe mais, avec la gnaque et le public derrière nous, tout est possible.
“Il y a quelque chose de spécial ici : on se sent français, bien sûr, mais avant tout marseillais
vaLÈre Germain
Vu le CV de Bruno, n’est-ce pas difficile d’être le fils de ? Valère : Pas du tout. Si la saison avait été difficile, peut-être, mais là, qu’est-ce qui peut se passer ? On me parle régulièrement de lui. Certains supporters m’ont même dit qu’ils avaient pris des photos avec lui il y a vingt-cinq ans et, maintenant, c’est avec moi.
Bruno : Je n’ai eu que des succès ici, en toute humilité. Ici, les gens n’oublient pas. Quand on se balade tous les deux, les gens n’ont que des mots sympas pour nous.
Gamin, vous étiez souvent collé aux crampons de votre père ? Valère : J’avais quatre ou cinq ans quand il a arrêté mais, oui, j’ai des souvenirs ici lors des décrassages, notamment (après avoir quitté l'OM en1991, Bruno y a rejoué en 1994-1995).
Bruno : Tu jouais souvent sur le terrain à côté avec les fils d’Abedi et même parfois avec Fabien (Barthez).
Valère : J’ai davantage de souvenirs plus tard, quand on venait ensemble au Vélodrome pour voir des matches. Je me souviens même qu’on était allé voir la demi-finale à Newcastle (en Coupe de l’UEFA, en 2004, 2-0 au retour) et qu’on était partis avec les anciens de l’OM pour assister à la finale à Göteborg.
Comment avez-vous attrapé le virus de l’OM ? Valère : Il y a quelque chose de spécial ici : on se sent français, bien sûr, mais avant tout marseillais.
Bruno : En même temps, Valère, tu es né avec un ballon dans les pieds. Tu jouais tout le temps dans le jardin. L’été, je me souviens de parties de tennis-ballon chez Michel (Platini). Valère venait jouer avec nous. À quatre ans et demi, il a signé sa première licence à Cassis. Il a fallu signer une décharge médicale parce que, théoriquement, les gamins ne peuvent pas commencer avant six ans.
Valère : Même quand on est retourné vivre à Orléans, ma chambre était blanche et bleue. J’avais des maillots de l’OM au mur, des posters des joueurs de l’OM. Il n’y avait pas de Real Madrid ou d'AC Milan chez moi !
Discutez-vous encore de ballon quand vous vous retrouvez ? Valère : On y revient, forcément, mais on profite aussi tout simplement de ces moments ensemble.
Bruno : Même si je ne suis plus joueur et que je n’ai aucune activité dans le foot, je ne pense qu’à ça. C’est une passion dévorante. Parfois, c’est même embêtant pour nos épouses.
Valère : (Sourires.) Moi, à la limite, ça va, mais toi… Il est toujours sur les chaînes de sport !
Bruno : (Sourires.) Les ex-footeux, on vit comme ça.
“Quand il est allé à 900 bornes de chez moi (à Monaco), ça a été très dur. À vrai dire, j’aurais même été heureux qu’il me dise : “Papa, j’arrête tout ”
Bruno Germain
L’ancien pro que vous êtes s’intéresse-t-il de plus près encore à la carrière de son fils ? Bruno : Je mets toujours un frein parce que je ne veux pas mettre Valère en porte-à-faux vis-à-vis de ses partenaires, du coach. Je ne veux pas m’immiscer dans quoi que ce soit. Il y a tellement de parents qui se mêlent de tout.
Valère : On se parle généralement avant et après tous les matches. On se dit deux ou trois choses.
Bruno : Mais je n’interfère pas avec les consignes de ses coaches ! Valère a toujours eu la chance d’avoir des entraîneurs très bien comme Claude (Puel) à Nice ou Rudi (Garcia) aujourd’hui. Ils ont un côté paternel.
Malgré le foot et ses contraintes, parvenez-vous à profiter de moments ensemble ? Valère : Oui, oui. Il vient à la maison tous les mois et demi à peu près.
Bruno : Même tous les mois ! Et on se retrouve pour les vacances aussi.
Valère : Jeune, le foot nous a éloignés parce qu’on part tôt de la maison
Bruno : Pour moi, ça a été dur au départ, quand Valère est parti à quinze ans.
Valère : Pourtant, je n’étais pas loin (au centre de préformation de Châteauroux).
Bruno : Mais quand il est allé à 900 bornes de chez moi (à Monaco), ça a été très dur. À vrai dire, j’aurais même été heureux qu’il me dise : “Papa, j’arrête tout, je reste à la maison. ” À cet âge-là, entre un père et son fils, c’est génial. Mais c’était son choix, sa passion. Je ne pouvais pas l’en empêcher.
Bruno, serez-vous à Lyon ? Bruno : Bien sûr !
Valère : J’ai donné mes places à mes parents et à ma femme. Ils ne pouvaient pas rater ça. »