Patrice Evra : "Je suis attendu au tournant, j’aime ça"
L’expérimenté latéral de l’OM ne digère pas la gifle reçue à Monaco. Ambitieux, débordant d’envie, il promet une réaction contre Rennes, dimanche
OM - Patrice Evra : Je suis attendu au tournant, j’aime ça
Toujours positif, Patrice Evra veut effacer les doutes le plus rapidement possible. En bon leader, de vestiaire, il ne compte pas son temps auprès de ses partenaires. Ce rôle lui tient à coeur, tout comme il rêve de gagner un trophée avec l'OM.
Lorsqu’il reçoit, Patrice Evra le fait en grande pompe. Il donne rendez-vous à l’hôtel marseillais où il a élu domicile depuis son arrivée à l’OM en janvier, faute d’avoir trouvé un logement dans la région. Et quand il accepte de se confier, il ne compte pas son temps. Hier après-midi, "Tonton Pat" nous a accordé un long entretien exclusif "avec plaisir", même si certains lui avaient déconseillé de le faire. Voilà donc un moment rare à un moment où le club traverse une période difficile, dix jours après l’humiliation subie à Monaco (1-6). À l’image de ses partenaires, le latéral gauche international a été affecté par cette déroute. Mais c’est dans ces cas-là que son rôle prend toute son importance, que son expérience a encore plus de sens. Avec le franc-parler qui le caractérise depuis le début de sa riche carrière, Evra ne s’est pas défilé. "Pas besoin de me poser de questions, je parle de tout", a-t-il plaisanté. Entretien sans faux-semblant ni langue de bois sur toute l’actualité olympienne et sur la sienne.
Vos interventions sont rares et surviennent souvent dans les moments chauds. Pourquoi ?
Patrice Evra : J’évite de faire beaucoup d’interviews car mes punchlines font les gros titres. J’accepte la critique, elle fait avancer. Lorsqu’elle va au-delà, je ne suis pas en mode I love this game. Tu m’attaques, je t’attaque. Je ne baisse jamais mon froc. Je n’ai jamais parlé à des journalistes pour être bien vu, mon agent n’en a jamais appelé pour donner des infos et avoir des bonnes notes. Les notes, c’est un truc de merde. Je le disais aux joueurs de l’équipe de France, à la nouvelle génération. Ça en a soulagé beaucoup. Avant même de jouer, certains se demandent quelle note ils vont avoir. Depuis que je suis revenu en France, si je fais un super match, pour certains journalistes, ce sera un bon match ; si je fais un bon match, pour certains, il sera mauvais. Regardez tous mes matches à l’OM, je n’en ai perdu que deux en étant sur le terrain : contre Nantes (2-3) et contre Paris (1-5). Mon gros regret, et je m’en suis excusé, c’est d’avoir joué ce match blessé.
Vous y teniez vraiment, pourtant…
Patrice Evra : J’avais deux centimètres de déchirure, j’avais joué sous infiltration. Je voulais être généreux, que mes partenaires soient rassurés par ma présence. Je ne le ferai plus, je n’ai plus le même âge. Mon calcul, ce n’est plus de faire une bonne prestation. Si l’équipe perd, c’est de ma faute. Lors de ma première année à la Juve, je n’ai pas perdu une seule fois. Je me mets des trucs comme ça dans la tête. C’est une pression. Je suis très dur avec moi-même. Je peux faire beaucoup mieux, mais je suis content de mon travail. Au Vélodrome, je sens les gens derrière moi, pas contre moi. Les gens me remercient dans la rue. Mon objectif, c’est qu’ils me disent merci d’être venu quand je partirai. Le Evra qui a tout gagné, c’est fini ; maintenant, c’est un Evra qui est attendu au tournant. J’aime ça, ça m’excite.
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Ça vous booste ?
Patrice Evra : J’ai choisi l’OM car beaucoup de personnes m’ont dit de ne pas venir, à cause de l’ambiance chaude, des gens qui oublient vite… Moi, j’aime où il y a la merde. Je suis comme ça, on ne me changera pas, j’ai besoin de ça. Ce match contre Monaco fait mal. Six buts, ça fait beaucoup, c’est difficile à digérer. Maintenant, ce n’est que trois points de perdus. Contre Rennes, on n’a plus le choix, il faut effacer les doutes le plus rapidement possible. Il ne faut pas se foutre de la gueule des supporters. Je ne sais pas qui a dit que le projet de l’OM, c’était pour tout de suite, qu’on allait gagner tout de suite, qu’on allait faire venir Messi…
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Patrice Evra : L’année dernière, on a rempli l’objectif (5e). Je vous raconte ce que Zubizarreta m’a dit lorsqu’il est venu à Turin : l’objectif, c’est d’être dans les cinq premiers. Il m’a dit aussi que le club allait acheter un arrière gauche et c’était déjà Jordan Amavi.
Tout ça, je le sais depuis le début. Tout ce que l’OM m’a dit se passe en ce moment. Le jour où ils ne tiendront plus parole, je leur serre la main et je prends mes valises. Je suis plus une solution qu’un problème. Je ne vous cache pas que ce 6-1 me casse les burnes (sic). J’ai hâte de jouer contre Rennes, qu’on reprenne trois points et qu’on enchaîne.
Le groupe a-t-il été meurtri par cette gifle ?
Patrice Evra : Pendant deux jours, ça a été compliqué. Ce n’était pas mon vestiaire, celui que je connais depuis mon arrivée. Il y avait beaucoup de gens énervés ; entre nous, on s’est un peu secoués. Cette défaite fait plus mal que celle contre Paris parce qu’il manquait beaucoup de joueurs. 6-1, ça fait beaucoup, surtout vu les ambitions qu’on a cette année, c’est-à-dire faire mieux que l’année passée. Ici, il faut faire attention à ce que tu dis (sourire). À nous de réagir, de gommer cette gifle et tous les doutes. On se remet dedans, on va de l’avant. Peut-être ne travaille-t-on pas assez, peut-être croyait-on que ce serait plus facile. Je ne sais pas, je n’ai pas la clé de tous problèmes. On a commencé à se mettre dedans depuis le début de la semaine. On travaille pour que ce genre de chose ne se reproduise plus.
Cette défaite ne montre-t-elle pas tout le chemin qui reste à accomplir ?
Patrice Evra : Je ne suis pas d’accord. Il manquait beaucoup de joueurs et de personnalité. Le coach n’avait pas vraiment le choix, ce n’est pas l’équipe qu’il voulait aligner.
Dans ces moments-là, votre expérience prend toute sa signification…
Patrice Evra : Certains m’appellent le pompier. J’aime bien faire des interviews quand ça va mal. Je ne sais pas si mes coéquipiers les lisent, ils n’en ont pas besoin pour savoir ce que je pense, ils sont avec moi au quotidien. Quand je commencerai à fauter dans ces moments-là, je me poserai des questions. Que les gens soient derrière nous ou pas, moi, je suis derrière mes coéquipiers. Jusqu’au bout.
Que faites-vous en ce moment ?
Patrice Evra : Je me rapproche de mes partenaires, leur dis où on doit mieux faire, qu’il nous reste beaucoup de chemin. Ce qui me faisait peur en arrivant ici, c’est qu’on soit considéré comme les meilleurs après une victoire et comme les plus nuls après une défaite. Ce club, c’est la passion, c’est l’impatience. C’est le seul club français à avoir gagné la Ligue des champions. Pour moi, les vrais supporters, ce n’est pas la nouvelle génération. Je suis d’accord avec les jeunes qui sont fiers, passent des heures à mettre leurs banderoles. Mais il faut aussi être derrière ton club quand ça ne va pas. Le vrai supporter marseillais connaît le football, tu ne peux pas le tromper. Si certaines personnes leur ont promis du caviar et que tu leur sers du thon à la catalane, c’est sûr qu’ils vont gueuler. Il faut être conscient de cela quand tu portes ce maillot.
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Comprenez-vous leur colère ?
Patrice Evra : Bien sûr, faut pas déconner. Chaque club a des supporters différents. Avec Manchester United, on perd 4-1 à Old Trafford contre Liverpool. On sort du terrain, les supporters chantaient avec le cœur, la rage et la colère : "United ! United !" Ils étaient derrière nous. Ferguson entre dans le vestiaire : "Les gars, vous n’avez pas honte ? On vient de se faire taper par l’ennemi et les supporters chantent. Vous avez intérêt à gagner ce championnat". On avait sept points de retard sur Liverpool. On a été champion. Si un supporter te crie dessus, certains vont peut-être être affectés mais pas boostés. Je ne dis pas qu’il faut chanter "Allez l’OM" à 6-1, mais avec un comportement différent, les joueurs vont plus donner. Je ne veux pas passer de la pommade, chacun est libre de crier ou insulter. On continue à bosser, à être humble et à mouiller le maillot jusqu’au bout.
Avez-vous un message pour les supporters pour dimanche ?
Patrice Evra : Non, c’est trop tôt. Cette équipe devra être jugée au bout de dix ou quinze journées. Quant aux supporters, qu’ils restent eux-mêmes, qu’ils continuent d’aimer l’OM. Le seul message que j’ai à faire passer, c’est pour mes coéquipiers, qu’on montre qu’on respecte ce maillot, qu’on se donne à fond. Et vous verrez que les supporters seront derrière nous. Quand ils nous applaudiront après une défaite où on aura tout donné, on aura fait un grand pas. Les supporters ont plus besoin de toi que l’inverse. S’ils voient que tu te défonces, ils vont être derrière toi ; s’ils voient que tu n’en glandes pas une, ils ne seront pas derrière nous. J’ai aucun message pour eux ; c’est à nous de leur montrer sur le terrain dès dimanche.
Chacun doit-il se responsabiliser ?
Patrice Evra : Il faut être responsable dans les défaites. Le coach l’a été devant nous. Il ne faut pas commencer à montrer untel du doigt. Dans ma carrière, j’ai toujours été responsable lors des moments les plus difficiles. Cette pression n’est pas nouvelle, elle ne va pas m’empêcher de dormir, ni m’enlever mon sourire. Après une défaite, pour certains, il faudrait rester enfermés chez soi, pleurer ; ça, ça n’existe pas. On doit montrer sur le terrain qu’on est énervés. Il faut passer aux actes.
Pouvez-vous faire mieux que l’année dernière ?
Patrice Evra : On avait fait une bonne préparation même si certains n’étaient pas contents du jeu. Mais on gagnait et c’est ce qui m’importe. Le football champagne, ça viendra plus tard. Gagner contre Nantes (0-1), c’est trois points. L’année dernière, on aurait peut-être fait match nul.
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Les attentes sont-elles trop élevées, trop tôt ?
Patrice Evra : Il y en a beaucoup car on est à l’OM. Mon objectif, c’est d’accueillir les recrues le mieux possible. Personne ne peut dire ce qu’elles vont apporter. J’ai confiance en mes coéquipiers. Je ne dis qu’on va gagner le championnat ; l’objectif, c’est de gagner le plus de matches possible. Il y aura un moment où on ne pourra plus se cacher sur nos ambitions.
Vous n’êtes pas venu pour viser le ventre mou…
Patrice Evra : Non. Chaque jour, à l’entraînement, je veux prouver que je suis là. Partout où je suis passé, les gens ont eu une très bonne image de moi en tant qu’homme et en tant que joueur. J’ai bien rempli mon salon de trophées. J’aimerais gagner quelque chose à Marseille. C’est important pour moi. Je n’ai pas le choix, il faut faire quelque chose avec cette équipe.
Le mercato réalisé vous plaît-il ?
Patrice Evra : Je ne juge pas trop, je laisse les dirigeants et le coach répondre. Je ne suis pas directeur sportif, je fais avec ce que j’ai. J’arrive à tirer le meilleur de certains par ma façon d’être, de me comporter, de montrer l’exemple.
Après la venue de Payet ou la vôtre en janvier, beaucoup croyaient que d’autres internationaux français allaient suivre. Pourquoi un Giroud n’a-t-il pas été séduit par exemple ?
Patrice Evra : "Olive" a été contacté, ça a été son choix. Tu ne peux pas forcer les gens à venir à l’OM. Je ne peux pas être déçu, je fais le plus beau métier du monde. Un joueur ne doit pas se préoccuper du mercato, il doit être irréprochable sur le terrain. Le reste appartient à la direction. Quand je vois un joueur dire "on va prendre untel", je lui dis d’arrêter. Moi-même, je fais partie du mercato, chaque saison, je me remets en question, je suis un nouveau joueur. Je ne sais pas ce qu’on a promis aux gens. Quand le président Eyraud est venu avec la Ligue des champions, ça a peut-être donné de l’espoir. Mais il y croit vraiment. Ce ne sont peut-être pas les gens qui sont là actuellement qui réussiront. Les choses se font par étapes. Chacun pense ce qu’il veut. Moi, je bosse comme un fou et je mouille ce maillot. On ne me l’enlèvera pas.
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Bafétimbi Gomis n’est pas resté et est un peu amer. Manque-t-il à l’équipe, au groupe ?
Patrice Evra : Rester lui tenait beaucoup à cœur. Je n’ai pas participé aux négociations, je ne sais pas qui a raison et qui a tort. C’est le football, dès que les choses vont mal, on dit qu’on aurait dû garder untel ou untel. Bafé connaît la Ligue 1 comme sa poche. Avant les matches, il me disait qu’il allait marquer car il connaissait les mouvements des défenseurs centraux, etc. C’est un ami.
Comment vous trouvez-vous cette saison ?
Patrice Evra : Bien. Je peux être plus décisif. J’ai faim, encore plus que la saison dernière. À chaque fois, j’essaie de donner le meilleur de moi-même. Pour l’instant, ça suffit car l’équipe a gagné.
Comment vivez-vous de ne pas jouer tout le temps ?
Patrice Evra : Je n’aime pas ça. Pour ça, je suis encore trop jeune, je dois travailler là-dessus. Parfois, je ne l’accepte pas. Je ne changerai pas, je serai toujours droit avec le coach. Je ne suis pas venu pour jouer un match sur deux. Je n’ai pas atteint l’âge pour faire ça. Après chacun sa vérité, le coach a sa vision. Sinon, j’aurais choisi un autre challenge, ailleurs.
Où puisez-vous cette envie ?
Patrice Evra : On ne m’a jamais rien donné. Le jour où je n’aurai plus faim, que j’arrêterai de travailler en vacances, j’arrêterai. Je ne triche pas, je ne suis pas un voleur. Je n’ai pas fait de centre de formation. Mon histoire part du quartier jusqu’à l’équipe de France, Manchester, la Juve, l’OM. On ne m’a jamais aidé. Jeune, en Italie, j’ai mangé mon pain noir. J’avais 17 ans, je gagnais 100 euros par moi, je ne me plaignais pas, j’étais en mode I love this game. Je l’étais aussi quand je taxais devant les boulangeries. J’ai toujours été positif, c’est en moi. Je me suis construit tout seul, j’ai eu la chance que mes parents n’interviennent pas dans mes choix. Quand je décide quelque chose, c’est ma décision, pas celle d’un autre. Par exemple, mon agent savait depuis le début du mercato que l’OM était sur moi. Il ne me l’avait pas dit.
Pourquoi ?
Patrice Evra : Il pensait que je ne voudrais pas revenir en France. Quand il m’en a parlé, je lui ai dit : "T’es con ou quoi ? Pourquoi tu ne me l’as pas dit plus tôt ?" Puis j’ai vu "Zubi" et pris ma décision en une nuit. Je suis instinctif. Peut-être me suis-je trompé. Ça ne m’est pas beaucoup arrivé dans ma carrière.
Êtes-vous déçu de ne pas avoir été choisi comme capitaine ?
Patrice Evra : Je n’ai pas besoin du brassard pour être capitaine. Ça ne m’intéresse pas, le coach et les joueurs le savent. Ça ne va pas changer ma vie.
Quand Ferguson m’a donné le brassard, je lui ai dit que je devais réfléchir. Capitaine, c’est 80 % de problèmes et 20 % de bonheur si tu gagnes le titre à la fin. Pour moi, être un leader de vestiaire est plus important.
En fin de saison passée, vous disiez commencer à aimer ce club. Pourquoi ?
Patrice Evra : Pour cette pression, cette passion, cette folie. Certains embrassent l’écusson au bout d’un match. C’est du bluff. Moi, je commence par respecter l’histoire du club. Puis l’amour vient naturellement. Quand tu fais les choses avec amour, tu as envie de tout donner et de tout casser. J’adore être au Vélodrome. J’ai kiffé l’ambiance contre Nice. Ça ne se rapproche pas de ce qu’on a vécu avec l’équipe de France contre l’Allemagne. Quand il est rempli et que les supporters font du bruit, le Vélodrome fait mal, joue en ta faveur. On m’a dit que lors des saisons précédentes il jouait en défaveur de l’équipe. Les couilles, faut les avoir. Les sifflets après un mauvais match doivent te donner la rage. Certains se mettent dedans, c’est une question de personnalité. Si j’ai un conseil à donner à la direction, ici, c’est compliqué si on n’a pas de personnalité. À l’OM, comme à la Juve ou Manchester, le talent ne suffit pas. Il faut gagner tout de suite. Faire de la formation en devient presque compliqué, l’entraîneur doit mettre des joueurs prêts tout de suite. J’aime avoir des soldats dans mon équipe, plutôt qu’un joueur bourré de talent.
OM : dirigeants et supporters se sont expliqués
Vous voyez-vous rester à l’issue de votre contrat qui expire en juin ?
Patrice Evra : Je vis dans le présent. Beaucoup s’interrogent sur la saison prochaine. Pour moi, cela revient à se distraire du présent. Je ne pense pas à une prolongation mais à me bouger sur le terrain.
L’équipe de France est-elle toujours dans un coin de votre tête ?
Patrice Evra : Bien sûr. Tout le monde sait mon amour pour cette équipe. Avec Didier (Deschamps), on a parlé plusieurs fois, même récemment. Pour l’instant, on parle la même langue (rire).