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Steve Mandanda « J'AVAIS PEUT-ÊTRE OUBLIÉ LA NOTION DE PLAISIR »
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DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
BAPTISTE CHAUMIER
GRASSAU (ALL) - Au lendemain du premier match de préparation de la saison, victorieux, de Marseille, dimanche contre Pinzgau Saalfelden (D3 autrichienne, 5-1), Steve Mandanda se présente, dans un survêtement sombre du club, dans l'un des nombreux salons de l'hôtel cosy de Grassau où séjourne l'OM, réputé pour son parcours de golf, dont raffole Thomas Müller, l'attaquant du Bayern Munich. Le capitaine marseillais (35 ans) a été volontairement discret ces derniers mois, soucieux de retrouver son niveau et sa joie de jouer. Il a été justement question de ce plaisir, un temps perdu, de son retour au premier plan et de son entraîneur, André Villas-Boas, au cours des quarante minutes qu'il nous a accordées.
« Ê tes-vous subitement devenu négociateur en situation de crise pendant le confinement ?
(Il sourit.) Non, non. Il y a simplement eu un échange entre deux personnes qui s'apprécient et se respectent.
Comment avez-vous appris et appréhendé les doutes d'André Villas-Boas sur son avenir à Marseille, au printemps ?
Cette période n'était pas simple, on était tous éparpillés, enfermés chez nous, la vie s'est arrêtée. On a beaucoup échangé par téléphone, par message ou par vidéoconférence. On a eu une discussion entre nous, on avait tous la volonté de continuer à travailler avec lui. Et le coach a décidé de rester.
En tant que capitaine, avez-vous eu un rôle particulier dans cet épisode ?
Non, pas spécialement. Il y a une relation de joueur à entraîneur, et même d'homme à homme, qui s'est créée avec le coach au fil des mois. Si j'ai pu avoir une voix qui a permis de faire basculer les choses du bon côté, tant mieux, mais je pense sincèrement que c'est l'ensemble du groupe, l'ensemble de nos mots qui ont fait la différence. Ça montre d'ailleurs l'union de ce groupe. Notre volonté a compté, je pense, mais il y a eu aussi beaucoup d'autres paramètres dans sa réflexion.
Vos rapports avec lui semblent dépasser le cadre professionnel...
Il a su redonner confiance à la quasi-totalité du groupe et les résultats ont beaucoup aidé (l'OM a fini 2e de L1), aussi. Tout cela nous a amenés dans une dynamique positive. C'est quelqu'un d'extraordinaire, humainement. Il est juste, il sait dire les choses quand elles sont mauvaises mais aussi quand elles sont bonnes, et ce n'est pas si fréquent... Grâce à son management, tous les joueurs gardent un bon état d'esprit, qu'ils jouent toujours ou beaucoup moins. C'est un très bon meneur d'hommes .
Quel rôle a-t-il joué dans votre retour au premier plan ?
Il a su redonner de la confiance au groupe mais aussi à certains en particulier, comme moi. On a une relation franche. Il y a une proximité qui s'est créée entre nous. C'est un tout. Il y a eu les résultats, aussi, ma volonté de revenir à mon niveau. Tous ces éléments font que j'ai réussi à faire une saison correcte.
Correcte, seulement ?
(Il fait la moue.) C'est une bonne saison, oui.
"Si j'avais refait une saison comme la précédente, ç'aurait été certainement le moment d'arrêter. Je savais au fond de moi que j'allais faire en sorte que ça ne se reproduise pas
Avant même la reprise, l'été dernier, vous étiez parti en cure à Merano, vous aviez "séché", vous sembliez décidé à effacer cette saison 2018-2019. Quelle a été votre réflexion ?
Si j'avais refait une saison comme la précédente, ç'aurait été certainement le moment d'arrêter. Je savais au fond de moi que j'allais faire en sorte que ça ne se reproduise pas. On ne sait jamais si cela va fonctionner mais si on s'est donné les moyens de réussir, il n'y a aucun regret à avoir.
N'est-ce pas compliqué de se remettre en question à 34 ans ?
Quand on a envie, quand on est encore compétiteur, ça se fait naturellement. Je n'étais pas satisfait de moi-même avant même que la saison (2018-2019) se termine, je savais que j'allais tout mettre en oeuvre pour être de nouveau performant. Dès les premières séances, je me sentais bien, j'étais dans un bon mood ( « humeur, état d'esprit » ). Et il y a plein d'autres éléments plus personnels qui ont joué.
Le fait d'avoir récupéré le brassard, à l'été 2019, a-t-il compté dans votre retour en forme ?
C'est un ensemble de choses. Pour revenir à cette histoire de brassard, au fait que je ne l'avais plus à mon retour au club, en 2017 ( après un an à Crystal Palace), il y a eu beaucoup d'interprétations. Je crois que cela ne m'a pas empêché de terminer meilleur gardien du Championnat quelques mois plus tard, non ? Parfois, on cherche des explications simplistes là où il n'y en a pas une seule. Il y a beaucoup de choses qui comptent dans une carrière, dans la vie et qui peuvent expliquer qu'on rate une saison. J'en ai raté une, c'est vrai, il faut simplement en rater le moins possible.
Didier Deschamps ne vous avait pas convoqué pour le rassemblement de l'équipe de France de juin 2019 et vous avait appelé pour vous l'expliquer. Sa décision de se passer de vous a-t-elle été un déclic ?
Il a été franc et honnête avec moi. Avant même qu'il me passe ce coup de téléphone, je le savais. J'ai une certaine lucidité sur mes performances. On a de très bons rapports, une vraie relation de confiance. Quand il me dit des choses qui ne me plaisent pas, je sais qu'il le fait pour mon bien.
C'est aussi votre orgueil qui vous a réveillé ?
C'est évident, les sportifs de haut niveau, on fonctionne à ça. C'est une multitude d'éléments qui m'ont poussé à faire de cette saison un simple mauvais souvenir, et l'orgueil en fait partie.
Cela a été un des moteurs d'AVB aussi, à son arrivée, pour vous remobiliser, tous. Un an plus tard, l'OM est de retour en Ligue des champions, sept ans après sa dernière participation. Vous pensiez cette qualification possible ?
La place de l'OM est en Ligue des champions. Même si la saison a été interrompue, on a toujours été dans les deux premiers, je ne pense pas qu'on ait volé notre place. Pour le club, pour les supporters, pour nous, les joueurs, c'est quelque chose de grand, surtout quand on connaît l'histoire de l'OM. C'est beau, maintenant, il faudra essayer de bien figurer et surtout ne pas reproduire le même parcours que la dernière fois.
Justement, vous aviez terminé avec 0 point en phase de groupes, en 2013-2014. Êtes-vous armés, cette fois, pour disputer cette compétition ?
On a conservé l'ossature de notre équipe type et on a récupéré "Flo" (Thauvin) , qui est comme une recrue et une très, très bonne recrue. Malheureusement pour lui, il n'a quasiment pas pu jouer la saison dernière et il va énormément nous apporter. Il y a Pape (Gueye) aussi qui a intégré le groupe et qui montre de très belles choses. Il a des qualités, beaucoup de personnalité. C'est bien pour lui d'élever son niveau, et bien pour nous parce que ça va amener encore plus de concurrence. Lors de notre dernier passage en Ligue des champions, on était dans un groupe très relevé, avec Arsenal, Naples et Dortmund. Certains matches ne s'étaient pas joués à grand-chose. Le tirage va compter, notre dynamique va compter. Mais il ne faut pas s'arrêter à cela, j'ai aussi connu un quart de finale de Ligue des champions avec l'OM (en 2012, contre le Bayern Munich, 0-2, 0-2) et cela avait été formidable. Il faut se souvenir des bons moments.
Avec la participation à la C1, le coach est persuadé que la très grande majorité des joueurs va rester. Avez-vous eu une discussion entre vous dans ce sens ?
Non, il n'y en a pas eu mais quand on sait que tout le monde a demandé au coach de rester, cela prouve la volonté de chacun de vivre cette expérience de la Ligue des champions tous ensemble, même si les transferts de dernière minute peuvent arriver.
Vous avez tenu des négociations avec vos dirigeants pendant le confinement au sujet des baisses de salaire, que le club aurait aimé plus conséquentes. Comment se sont-elles déroulées ?
Il y a eu un accord trouvé avec l'UNFP (le syndicat des joueurs) sur une baisse de salaire ponctuelle, il n'y avait pas besoin d'aller plus loin. Nos discussions avec le président ou le coach resteront entre nous. On aime taper sur les joueurs de foot : on a la chance de faire un métier formidable, de gagner très généreusement notre vie, c'est vrai. Et dès qu'il s'agit d'argent, le sujet devient très souvent délicat, parce que la majorité des gens ne gagne pas ces sommes-là. On ne peut pas les empêcher d'avoir leur vision des choses, mais les joueurs ont fait un effort réel, je vous l'assure.
Il n'est plus question de consentir des baisses de salaire plus importantes encore ?
C'est réglé maintenant, le gros de la crise est passé, enfin on l'espère. Il y a eu pas mal d'aides de la part de l'État, de la LFP (Ligue de football professionnel) , les droits télé ont augmenté, aussi. Il n'y a pas d'autres discussions à l'heure actuelle. Si le Championnat ne reprend pas, il y aura d'autres échanges, certainement.
"Ma volonté, bien sûr, c'est de finir ici mais je ne suis pas le seul à décider
Souhaitez-vous terminer votre carrière à l'OM ?
Je suis très attaché au club. Je suis le joueur qui a disputé le plus de matches dans l'histoire de l'OM (549, toutes compétitions confondues) aujourd'hui, ce n'est pas rien, quand on sait la difficulté d'y durer. J'aime le club, j'aime la ville, j'aime tout ce qui se passe autour. Ma volonté, bien sûr, c'est de finir ici mais je ne suis pas le seul à décider.
Avez-vous entamé des discussions dans ce sens avec votre président, Jacques-Henri Eyraud ?
C'est entre nous. Mais je le répète, c'est ma volonté de rester encore longtemps ici.
À un an de la fin de votre contrat, n'avez-vous pas besoin de vous projeter ?
Pas encore. Je suis bien, je suis serein. On joue au foot et j'avais peut-être oublié cette notion de plaisir dans cette année difficile. Je suis totalement épanoui, aujourd'hui. Les aînés m'ont toujours dit : "Ça passe très vite, tant que tu peux jouer, joue !"
Pourriez-vous imiter Dimitri Payet, qui a choisi de prolonger son contrat en étalant ses revenus et en obtenant aussi une reconversion au club ?
C'est très personnel. J'ai du mal à me projeter sur la fin de ma carrière. Bien sûr, je suis plus proche de la fin que du début mais je ne me vois pas dans l'après-foot, je suis encore à fond sur les terrains. J'ai encore besoin de tout ça. Il me reste, pour l'instant, une saison pour prendre un maximum de plaisir.
Comment allez-vous aborder cette saison ? En vous disant que chaque match sera peut-être le dernier ?
Non, je vais prendre chaque match avec beaucoup de plaisir. Je pense à ce que me dit Will (Coort, l'entraîneur des gardiens de l'OM) à chaque fois que je rentre aux vestiaires après l'échauffement : "Enjoy" ("Savoure"). C'est ce que je veux faire et c'est ce que j'avais trop oublié. »