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SUR LES TRACES DE.... Dimitri Payet, l'homme de Rio
Sur la longue avenue Roberto Dinamite, épicerie à ciel ouvert noircie par des grappes de vendeurs de boissons fraîches, friandises, cigarettes, maillots contrefaits et d'à-peu-près tout ce qui s'achète, les odeurs de viande (grillée) se mêlent à celles des chevaux (bien vivants) de la police montée carioca, qui veille à ce que l'ambiance, bon enfant, le reste. Les rues de stade dans le monde entier les jours de match sont comme des flocons de neige : elles se ressemblent toutes mais sont fondamentalement différentes. Chaque minute, chronomètre en main, un nouveau vendeur à la sauvette vêtu de noir ou de blanc accoste le badaud pour lui faire une proposition indécente : "Tu cherches pas une place ?", ou plutôt son équivalent en portugais.
Les supporters boivent des bières en chantant ou flânent dans la boutique du CR Vasco da Gama, nombre d'entre eux exhibent fièrement une tunique floquée du numéro 10 de Payet ou sont torse nu pour les garçons, en haut de maillot de bain pour les filles, malgré une pluie qui ne semble concerner que les vendeurs d'imperméables jetables à 1 euro. La tension et l'affluence montent doucement au fil des minutes, jusqu'à la cohue l'heure précédant le coup d'envoi.
Tout ceci, vous l'avez compris, rappelle le stade Vélodrome (à l'exception des filles en maillot peut-être). Mais l'avenue fermée à la circulation, l'absence de bruit (et d'odeur) de pétards, le petit stade tout en longueur entouré au loin par des favelas et non par les cossus immeubles du boulevard Michelet donnent au São Januário toute sa singularité, et son entrée ressemble plus à celle d'un théâtre sud-américain qu'à une enceinte sportive. À l'intérieur, une piscine, des courts de tennis, une chapelle, et, évidemment, un terrain de foot : voici la nouvelle scène de Dimitri Payet, artiste qui a dû bien malgré lui délocaliser son spectacle à 9 000 km de Marseille. Son arène, désormais, a perdu le tiers de sa capacité et donc de ses spectateurs, mais le Réunionnais fait toujours salle comble. En ce 29 novembre, son équipe accueille les Corinthians de São Paulo pour un match qui s'annonce décisif en vue du maintien.
"Il nous apporte beaucoup de bonheur quand il joue"
La cote de l'ancien Olympien est alors au plus haut : lors de la rencontre précédente à domicile, il avait donné la victoire aux siens sur un sublime coup franc dans les arrêts de jeu, copie conforme d'un des buts de Roberto Dinamite, mythe absolu de Vasco décédé début 2023. Une action qui a contribué à renforcer sa légende naissante auprès de supporters extrêmement croyants. "Depuis qu'il est arrivé en août, c'est sur son nom que l'on vend le plus. De très loin", glisse un vendeur de la boutique du club. À 75€ le maillot floqué, c'est un budget dans un pays où le salaire moyen est loin des standards européens et où la pauvreté transpire à chaque coin de rue. Une donnée économique révélatrice de l'euphorie qui a gagné les fans à peine le premier orteil de "Payé" posé sur le sol brésilien, quand il avait été cueilli à la sortie de l'avion par plus de 5 000 âmes en folie alors que le soleil n'était pas encore levé dans l'hémisphère sud.
"Mon arrivée à l'aéroport m'a marqué, c'était la première fois qu'on me donnait autant d'amour sans avoir fait quoi que ce soit pour le club, nous confiait-il fin novembre. Ça m'a mis dans le bain tout de suite, j'ai vite vu que l'on m'attendait. Il fallait vite se mettre au travail et leur rendre la pareille. L'accueil du Brésilien est extraordinaire et je me sens redevable." Le vice-champion d'Europe 2016, en plein décalage horaire après un long vol, avait ce matin-là enfilé un bob et une tunique frappés de la croix du Christ, le symbole des navires portugais inspirés du célèbre navigateur lusitanien de la Renaissance.
De renaissance il est aussi question pour Dimitri Payet après une dernière saison marseillaise sur le banc et un été 2023 où il fut poussé vers la sortie par les dirigeants de l'OM. Faisant fi du déclin du footballeur de 36 ans, les internautes du site O Globo l'avaient placé au deuxième rang des recrues du siècle de Vasco, derrière l'ex-Lyonnais Juninho, devant Edmundo et Romario. Deux joueurs qui ont marqué l'histoire sportive du Brésil que l'ex de West Ham avait, symboliquement, déjà touché du doigt en 2013 lors d'une tournée de l'équipe de France en Amérique du Sud, avec une défaite 3-0 contre la Seleção de Neymar, Luiz Gustavo, Hulk et Luiz Felipe Scolari, à Porto Alegre. Mais peut-on se vanter d'avoir vraiment joué dans le pays du football sans avoir foulé le gazon de son stade le plus iconique ?Si Payet a un jour l'envie de fanfaronner, il pourra toujours servir à un interlocuteur sceptique : "Moi, j'ai eu la chance d'être présenté au Maracanã."
"Si le stade faisait 100 000 places,
il serait rempli à chaque match"
Le 20 août dernier, Vasco de Gama y délocalisait sa rencontre face à l'Atlético Mineiro de... Hulk et Luiz Felipe Scolari. Au passage, le club en profitait pour exhiber sa nouvelle star fraîchement débarquée au Brésil. "C'est un souvenir qui restera gravé ! C'est une grande fierté, ce n'est pas donné à tout le monde d'être présenté dans ce stade mythique. Les images demeureront dans ma tête longtemps", s'émeut "Dim".
Trois mois de compétition, deux buts importantissimes mais aussi pas mal de matches commencés avec une chasuble de remplaçant plus tard, l'enthousiasme n'est pas retombé. Les torcedores croisés ce 29 novembre autour du São Januário sont même unanimes, ils adorent leur Francês. Carlos Diego, 34 ans, fait partie de ceux qui avaient mis le réveil très tôt pour l'accueillir à l'aéroport Galeão : "C'est une référence mondiale qui a montré sa classe à l'Olympique et en Angleterre, je jouais avec lui sur les jeux vidéo. C'est un immense honneur de le voir ici, c'est un joueur mythique de la dernière décennie ! Avec lui on a beaucoup plus de chances de se maintenir, et ensuite, on ira à la conquête de trophées. Ce n'est pas que moi qui l'aime, il y a une idolâtrie autour de lui et énormément d'attente."
Fernanda, 21 ans, poursuit : "Ç'a été une énorme surprise quand on a entendu qu'il allait signer ici, mais une excellente surprise ! On espère qu'il restera longtemps, tant qu'il pourra jouer. Je l'imagine facilement continuer deux ans. C'est la meilleure recrue de Vasco." Leonardo, 27 ans, est encore étonné que Payet évolue dans son club : "Quand j'ai vu qu'on était sur le point de le recruter, j'attendais que ce soit officiel pour y croire ! J'avais beaucoup apprécié son Euro-2016, je me souviens de sa finale contre le Portugal de Ronaldo. On a une équipe limitée et ce qu'il fait n'est pas naturel, ses partenaires ne peuvent pas l'imiter." José, 21 ans, résume le sentiment général : "C'est un crack, on est très heureux d'accueillir cette légende du football. Il nous apporte beaucoup de bonheur quand il joue." Contre Corinthians, Dimitri Payet commencera la partie, une première depuis plus d'un mois, une période durant laquelle il était utilisé comme joker. Il jouera même l'intégralité du match, ce qui ne lui était arrivé qu'une fois entre le 1er mai 2022 et ce 29 novembre 2023, un soir de sinistre mémoire à Strasbourg (2-2 sous les ordres d'Igor Tudor), le 29 octobre 2022. À son entrée sur la pelouse, le milieu formé à Nantes et ses équipiers sont acclamés au son des percussions et des chants, une mascotte pirate chauffe la foule. Tout le São Januário s'y met, et ce n'est pas la pluie désormais battante qui empêche l'électricité de se propager. Des "Payé Payé" résonnent. Le stade rugit sur sa première touche de balle et les suivantes, un cran plus fort que quand un autre joueur a le ballon. Un peu parce qu'il est le plus populaire, plus sûrement parce qu'il est très au-dessus du lot techniquement. "Je suis passé de 65 000 spectateurs à Marseille à un São Januário qui fait 22 000 places, mais j'ai l'impression qu'ils font autant de bruit qu'au Vélodrome, rit-il. Si le stade contenait 100 000 places il serait rempli à chaque match. On a des fans exceptionnels."
La Provence