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Comment Pablo Longoria a déboulonné la statue Dimitri Payet
En pleurs vendredi après-midi au Vélodrome, Dimitri Payet, 36 ans, a annoncé la fin de sa carrière de joueur à l'OM. Il a fini par accepter la résiliation à l'amiable souhaitée depuis de longs mois par Pablo Longoria.
Au bout d'une douzaine de secondes, la voix se brise, les yeux deviennent humides. Devant la presse convoquée à la hâte au Vélodrome, vendredi, au moment de faire des adieux qu'il n'a pas préparés, Dimitri Payet n'arrive pas à lutter contre ses émotions : « Déjà, j'aimerais continuer à jouer, à jouer au foot, je sors d'une saison très difficile, avec peu de temps de jeu, donc... » Il bredouille, les larmes coulent, il les éponge avec une petite serviette en papier noire et soupire longuement. Il fait 35 degrés à l'ombre à Marseille, mais il pleut dans le grand auditorium du stade. Assis non loin de Payet, Pablo Longoria observe la scène en silence.
Quelques minutes plus tôt, sur les coups de 14 heures, le président de l'OM a livré un long hommage au meneur de jeu : « Si je dois te définir en deux mots, je dirais génie et talent. Quand je suis arrivé, j'ai vu beaucoup de joueurs, mais trouver un numéro 10 comme Dimitri Payet, aussi inspirant... Tu as donné beaucoup de plaisir aux supporters et au monde du foot. Tu es respecté. On a décidé de ne pas continuer l'aventure avec notre capitaine. C'est une décision difficile à prendre en tant que club. Mais on la prend en pensant que c'est le mieux pour le projet, pour l'institution et pour la suite. Ce n'est pas facile parce que depuis que je suis là, tu m'as aidé. La relation capitaine-président était honnête, transparente, avec des bons moments. On a toujours été très clairs, je tiens à le dire. C'est ça que j'apprécie. »
Après avoir repris un peu de tonus, Payet explique : « Comme l'a dit le président, on a toujours eu une relation franche et sincère. À la reprise de l'entraînement (début juillet), on a parlé, en toute honnêteté. Ce n'est pas simple à digérer, ce n'est pas ce qui était prévu de mon côté. J'ai mis un peu de temps à réfléchir, à essayer de trouver la meilleure solution. Le mieux est d'accepter, même si c'est dur. On s'est posés autour d'une table. On a avancé sur beaucoup de points. Le club m'a demandé si je voulais intégrer l'organigramme aujourd'hui, mais j'ai encore du plaisir à donner à certaines personnes. »
Payet l'artiste indocile, qui a tenu tête à Marcelo Bielsa, Rudi Garcia ou André Villas-Boas, qui a regardé dans les yeux Vincent Labrune ou Jacques-Henri Eyraud, a finalement cédé, après tant de rounds disputés. La saison dernière, il a résisté à un ultime diktat, celui d'Igor Tudor, qui ne le jugeait pas adapté à son jeu, et au football moderne, fallait-il lire entre les lignes. Le corps a vieilli, le mental a vacillé et le boxeur de 36 ans a renoncé après un ultime rapport de force, certes courtois, avec son patron et adversaire Longoria.
Le 6 mars 2021, dans L'Équipe, un papier intitulé « Mandanda et Payet : deux monuments marseillais en péril » interrogeait : « Ils ont prolongé l'été dernier jusqu'en 2024, sous le slogan marqueté de "Marseillais à vie". À vie, vraiment ? Pablo Longoria, le nouveau président, n'a aucun tabou sur un éventuel départ bien avant. Personne n'est intouchable aux yeux de l'Espagnol. » Aucune prophétie dans cet article. Juste un constat simple, rappelé à chaque mercato et refonte de l'effectif. Pour Longoria et sa bande, seul compte le présent, la stratégie est ancrée dans l'instant et la saison à venir. La vénération du passé appartient aux supporters et le président a peu goûté, personnellement, aux célébrations des 30 ans du sacre de Munich, en Ligue des champions, estimant que le club vivait trop dans le souvenir des temps anciens. En privé, il cite souvent la Juventus, capable de dire stop à ses idoles (Alessandro Del Piero, Andrea Pirlo).
La jurisprudence Mandanda
Au printemps 2021, tout récent boss de l'OM après sept mois à la direction sportive, il a noté la baisse de régime de Mandanda sur l'exercice et l'irrégularité des performances d'un Payet parfois retors avec son entraîneur (« AVB » cette saison-là) et ses coéquipiers. Si le gardien a connu une mise en concurrence rapide et vexatoire, Payet est sauvé par la passion folle de Jorge Sampaoli. L'entraîneur argentin n'a d'yeux que pour le créateur à la technique soyeuse, il en fait un homme de base de son système.
La donne change avec Tudor et le capitaine vit un été 2022 délicat, alors que Mandanda a fui pour une contrée moins hostile, Rennes. Le coach croate s'embrouille avec la moitié du groupe pendant la préparation d'avant saison, mais Payet est vite perçu (et déclaré) par la direction comme le leader de la fronde. Une réalité à nuancer, Payet étant plutôt inquiet sur sa situation présente (ses primes de la saison 2021-2022) et future (sa reconversion à l'OM) que par l'idée de monter une rébellion au sein du club. Il est impliqué dans le vestiaire, affable avec ses coéquipiers comme avec l'état-major, faisant par exemple un petit plaisir au directeur sportif David Friio en lui offrant une paire de sneakers rarissime.
Au printemps 2023, Tudor loue son comportement, mais n'hésite pas à le sacrifier le 20 mai, jour du match Lille-OM. Pourtant buteur lors de la journée de L1 précédente, Payet est privé de déplacement parce qu'il a marché à l'entraînement de la veille. « Un comportement jamais vu », peste alors la direction. Et qu'importe si Nuno Tavares, lui aussi sanctionné, insulte régulièrement Tudor lors des séances. Avec Payet, la dent est toujours plus dure. Déjà, à l'été 2022, quand Sead Kolasinac reprend avec 6 kg de trop, ce sont les bourrelets du Réunionnais qui sont scrutés à la loupe.
Le 2 juin, au lendemain de la démission de Tudor, Payet a rendez-vous avec Longoria, un hasard du calendrier. Il est déterminé à poursuivre l'aventure marseillaise, à honorer sa dernière année de contrat, il espère avoir sa chance avec le nouvel entraîneur. La veille, il disait à France Football : « Je veux partir par la grande porte et, même à 36 ans, j'ai encore des objectifs qui me tiennent en éveil. Je me dis que je ne peux pas m'arrêter tant que je n'ai pas gagné quelque chose avec ce club. »
Agacé à la lecture de ces propos, publiés le 10 juin, Longoria ne l'entend pas de la même oreille. Il essaye de trouver une porte de sortie pour le joueur, lui suggère même d'arrêter sa carrière et d'entamer sa nouvelle vie. Si Marcelino n'a pas de problème à intégrer le vétéran dans ses plans, le président ne souhaite pas une seconde saison de suite avec l'omniprésence du sujet « Payet devait-il débuter ? » dans les gazettes et les conversations des supporters. Son cas ne doit pas polluer le quotidien du coach, ses fulgurances éclipser le reste de l'actualité olympienne.
Pas en Allemagne sur décision de Longoria
Le président prend la décision de ne pas l'inviter pour le stage en Allemagne, commencé lundi. Le club crée un écran de fumée. « Pour des raisons personnelles, Payet n'a pas pu partir en même temps que le reste du groupe, est-il détaillé dans un communiqué. Le joueur restera à Marseille ces prochains jours avec les siens. » Coupé du monde extérieur et de ses coéquipiers, l'ancien Lillois réfléchit à la suite, s'entraîne seul jeudi après-midi, puis avec le loft vendredi matin, histoire de ne pas se mettre à la faute. Il finit par valider un protocole d'accord pour une résiliation de son contrat de joueur, une rupture à l'amiable, moyennant le versement d'indemnités. Comme Mandanda ou Alvaro Gonzalez l'été dernier. Il conserve un poste à l'OM après sa carrière et obtient la promesse d'un jubilé au Vélodrome une fois les crampons remisés.
Vendredi matin, Longoria peut quitter le lieu de stage de l'OM, à Marienfeld (Allemagne), pour organiser une conférence de presse surprise. Elle se terminera par les larmes de Payet et les applaudissements des suiveurs. Le monument est tombé, la statue déboulonnée.