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Payet-Tudor, le contrat de méfiance
Vincent Garcia et Mathieu Grégoire
Tout le monde a droit à son joker, ou plutôt sa « question joker », selon l’expression d’Igor Tudor, et, le concernant, elle porte inéluctablement sur l’utilisation de Dimitri Payet, « que l’on gagne ou que l’on perde ». Après la victoire face à Lille (2-1), le 10 septembre, le technicien a soupiré au moment de la traditionnelle interrogation sur le meneur de jeu, qui avait brillé par son absence, ce soir-là. Mais le succès le rend un soupçon plus rond, alors Tudor a répondu en forçant un sourire : « Dimitri, je le vois dans un bon moment, il se sent bien. Il y a beaucoup de matches, tout le monde est important. Avec Dimitri, nous avons parlé hier (vendredi), je lui ai expliqué mon plan, comme nous jouons tous les trois jours, il sera titulaire mardi, en Ligue des champions. C’est un joueur qui répond toujours présent quand on fait appel à lui, il est positif, et je connais ses qualités. » Intransigeant avec ses hommes en coulisse, le Croate a le mérite de les défendre en public, en surlignant parfois le trait. Il décrit Gerson comme « un bon garçon avec une âme pure », Balerdi est « sensible » et Bamba Dieng carrément « formidable, bon comme du bon pain ».
Auprès d’un joueur de 35 ans, qui vient d’entamer sa 9e saison avec l’OM en carrière, les flatteries pèseront sans doute moins que les actes. La saison dernière, cajolé par un Jorge Sampaoli amène et capitaine d’un groupe qui le suivait, Payet avait une place centrale dans le jeu de possession et le projet marseillais, il avait vécu un exercice épanouissant du début à la fin, le premier depuis un bail.
Le premier rôle à l’OM désormais propriété d’Alexis Sanchez
En ce crépuscule estival, le premier rôle offensif est désormais occupé par un autre, le Chilien Alexis Sanchez, qui accumule les titularisations après un long épisode comme remplaçant de luxe à l’Inter. Tonique dans le pressing, multipliant les courses à haute intensité, il incarne le style Tudor.
La gestion de Payet est à l’inverse, son coach a un large choix pour les deux postes de milieu offensif, et il s’agit plutôt pour Tudor de le caser quand il peut dans sa rotation, parce que « tout le monde est important », mais certains un peu plus que d’autres. Sous contrat jusqu’en 2024, jouissant toujours d’une belle cote de popularité auprès du public olympien, Payet ne peut être bazardé comme le bon pain, dans tel ou tel pétrin. Sportivement, aussi, il a besoin de continuité pour ne pas rouiller.
Il a enchaîné deux titularisations à Nice (3-0), le 28 août, puis contre Clermont (1-0), le 31, avant d’être embêté par une gêne à un mollet. Sur le banc face à Tottenham (0-2) et Lille, Payet avait échangé avec Tudor à la veille de la réception des Nordistes, et l’idée première était une double titularisation face à Francfort puis Rennes. La terne prestation face aux Allemands (0-1), mardi, semble avoir bouleversé cette donne et il ne débutera pas cet après-midi contre la troupe de Bruno Genesio. Une ligne de plus dans le contrat de méfiance entre Tudor et Payet, qui peinent à s’apprivoiser depuis le début de leur aventure commune, début juillet.
Les préjugés du début de l’été
Chacun est arrivé avec des préjugés sur l’autre, de l’autoritarisme d’un coach à la nonchalance d’une vedette. Il y avait du vrai, forcément. Tudor a défait à la hache les fondations de la saison précédente et Payet n’avait pas une allure svelte à la reprise. Après quelques semaines, et se sachant, comme d’autres, dans le viseur de la direction, le Réunionnais a décidé de faire profil bas et de s’acharner, même s’il ne sera jamais comme Sanchez. Le Chilien est le premier sur le terrain d’entraînement, Payet aime boucler les footings collectifs en queue de peloton. On ne se refait pas, ou à la marge.
Les différentes parties peuvent-elles au moins redresser quelque peu cette relation bancale ? En mars 2019, à l’aube d’un Classique au Parc des Princes, Rudi Garcia assurait à Payet qu’il débuterait, quelques semaines après son retour de blessure, et cela n’avait pas été le cas. La rupture entre les deux hommes était consommée. Avec André Villas-Boas, le lien s’est consumé pendant l’automne 2020, Payet reprochait aussi au Portugais son double discours. Prolongeant son rapport au coach Tudor, cet automne racontera surtout un divorce avant le terme prévu entre Payet et le club qu’il chérit, ou une énième réconciliation.
L'Equipe