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L’IDOLE DÉCHANTE
Mélisande Gomez et Mathieu Grégoire
D’habitude, quand un entraîneur débarque à l’OM, c’est une très bonne nouvelle pour Dimitri Payet. En général, il est fâché avec l’ancien et il lui suffit de quelques séances d’entraînement pour impressionner le nouveau.
Il y a d’abord eu André Villas-Boas – qui avait succédé à Rudi Garcia au printemps 2019 –, puis Jorge Sampaoli, venu prendre la suite du Portugais un peu moins de deux ans plus tard. L’un comme l’autre avaient loué les qualités rares de l’ancien Lillois (2011-2013), puis s’étaient appuyés sur lui pour éclairer le jeu de l’équipe.
Mais le scénario a changé, cette fois, et le rôle est moins simple pour Payet (35 ans). D’abord, parce qu’il avait un très bon rapport avec Sampaoli, et, surtout, parce qu’Igor Tudor semble moins facile à convaincre que ses prédécesseurs. Jusqu’ici, le charme du Réunionnais n’a aucun effet sur le grand Croate, et le milieu offensif n’a joué que 59 minutes en trois apparitions depuis le début de la saison.
Bougon mais pas démoralisé
Il est un peu tôt, encore, pour penser que la greffe ne prendra jamais, parce que Payet a plus d’un tour dans le pied droit et une carrière qui parle pour lui, souvent remis en cause mais jamais longtemps à terre, ou assis sur le banc.
La compatibilité n’apparaît pourtant pas évidente entre le football tel que le conçoit Tudor, énergique et intense, et le profil du joueur, qui a des pieds en soie mais pas le moteur d’un coureur de fond. La rencontre de préparation entre l’OM et l’AC Milan, le 31 juillet (0-2), a raconté une certaine incompréhension tactique entre les deux hommes, en fin de première période notamment.
En découvrant la philosophie de son nouveau coach, Payet n’est pas tombé de sa chaise : il connaît assez de joueurs pour avoir eu écho très vite des préceptes du Croate, qui considère le volume et la condition physique comme des vertus cardinales.
Au club, on laisse ainsi entendre que le choix de se passer de Payet dans le onze est une question purement physique, et l’histoire parfois tortueuse entre le Réunionnais et son poids de forme ne date pas de cet été. Mais, aujourd’hui, Payet ne pèse pas plus lourd que la saison dernière, quand il enchaînait les bons matches avec Sampaoli, beaucoup moins regardant sur les variations de la balance.
La suite du mercato, alors que l’OM espère un autre joueur offensif et piste notamment l’Ukrainien de l’Atalanta Ruslan Malinovski (29 ans), dira si le staff compte s’appuyer davantage sur lui. La concurrence est déjà rude dans le 3-4-2-1 de Tudor, où Gerson est le titulaire à gauche derrière l’attaquant, à un poste qui pourrait aussi revenir à Alexis Sanchez. Entre le Chilien et le Réunionnais, l’association pourrait faire des étincelles mais Tudor a fait entrer l’un quand l’autre est sorti, samedi soir face à Nantes (2-1). « Évidemment qu’un jour vous les verrez ensemble sur le terrain, a promis le Croate, après le match. Est-ce que ce sera dès le coup d’envoi, ou bien en cours de rencontre ? On verra. L’important est l’équilibre de l’équipe. »
En attendant, Payet observe avec circonspection cet étrange été, entre révolution de palais et équipe profondément remaniée. Pour l’instant, et contrairement à plusieurs de ses coéquipiers, le ton n’est pas monté entre son entraîneur et lui. Mais il a vu ses amis Jordan Amavi et Mattéo Guendouzi chahutés par le rugueux technicien, et il a constaté le déclassement express de Cengiz Ünder, autre artisan des succès passés. Il se montre parfois un peu bougon lors des séances, et le fait qu’il refuse le brassard offert par Valentin Rongier, à Brest, raconte un peu de sa frustration. Il n’est pas démoralisé, et garde ses pensées pour lui.
Depuis l’accession à la présidence de Pablo Longoria, fin février 2021, Payet sait que son statut de « Marseillais à vie » est en péril. Il a vu Steve Mandanda, un autre monument, progressivement poussé vers la sortie. Longoria est arrivé au club après la décision de Jacques-Henri Eyraud de prolonger Payet jusqu’en juin 2024, en lissant son salaire et en lui assurant une reconversion au club comme dirigeant.
L’Espagnol, qui s’est entouré de proches avec les arrivées successives de Pedro Iriondo (directeur de la stratégie), Javier Ribalta (directeur du football) et Marco Otero (directeur technique du centre de formation), n’aurait jamais offert un tel package au vétéran.
Déterminé à ne pas craquer
En mai dernier, après la victoire contre Strasbourg (4-0) validant le retour de l’OM en C1, l’entourage de Payet a fait remarquer au président que le capitaine était l’un des moins bien lotis en primes de qualification, alors qu’il avait joué un rôle clé dans la saison. L’une des conséquences de l’accord avec « JHE ».
Longoria a donné rendez-vous au Réunionnais à l’été, pour acter une revalorisation. Il a ensuite joué au chat et à la souris, charge au joueur de donner des gages de bonne foi sur son hygiène de vie, sur son accueil de Tudor… Puis le message suivant a été délivré, de manière indirecte : ok pour une revalorisation, mais la reconversion au club ?
À revoir, à rediscuter. Un crève-cœur pour Payet, qui a deux fils dans les catégories jeunes du club, et privilégie son avenir à l’OM à toute rémunération actuelle. Il a d’ailleurs noté que Mandanda avait gardé sa reconversion à l’OM, après sa fin de contrat à Rennes, en 2024.
Alors que la direction du club, au lendemain du match contre Milan, évoquait dans la presse la demande du joueur de rencontrer Longoria, le principal motif d’un éventuel rendez-vous était celui-là. À l’unisson des autres membres du vestiaire, et comme il l’a expliqué le 5 août en conférence d’avant match, Payet n’a jamais réclamé une réunion pour remettre en doute les choix de Tudor ou sa méthode. Mais son futur, alors qu’il semblait se diriger vers une fin de carrière sereine dans le club qui l’a adopté à l’été 2013, le préoccupe.
Le schéma est bel et bien différent. Avec Garcia comme avec Villas-Boas, l’histoire avait été forte avant de se déliter. Avec Tudor, elle n’a sans doute même pas commencé. Payet a prévenu les siens, il ne craquera pas. Reste à mesurer l’étendue de sa patience.
L'Equipe