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Le fils tranquille
À dix-neuf ans, Boubacar Kamara s’est installé en charnière de l’OM. Avec une sérénité stupéfiante et sous la protection de sa mère. DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL PERMANENT
MATHIEU GRÉGOIRE MARSEILLE – « Un sourire. » Bernard Ambrosino, cinquante-sept ans, n’aime pas les qualificatifs sophistiqués et les descriptions ostentatoires. Tout ça ne correspondrait pas à son « Bouba » Kamara. « Ce qui le caractérise, c’est son sourire, confie l’entraîneur des U13 de l’OM. Un amour de petit. » La première fois qu’Ambrosino entend parler de Kamara, le « petit » a six ans. L’entraîneur de l’école de foot de l’OM, Michel Giacomoni, l’a récupéré quelques mois plus tôt. L’évidence saute aux yeux, à un âge où beaucoup peinent encore à réussir les deux boucles de leurs lacets. « Michel m’a dit d’y faire attention, de garder un œil sur sa progression, il dégageait déjà quelque chose », se souvient Ambrosino. « Il avait déjà une aptitude à gagner des duels, toujours, explique le formateur Thierry Rodriguez, bras droit de Giacomoni. Il avait déjà ce calme, étonnant : Bouba n’est jamais dans le rouge, même quand il prend la marée. »
Le gamin de la Soude, un quartier du IXe arrondissement de Marseille, arrive dans le giron d’Ambrosino à onze ans, en Excellence première année. Pendant trois saisons, le coach va côtoyer « la force tranquille » : « Il a un côté cool, no stress, mais cette nonchalance est un atout. Aujourd’hui, à dix-neuf ans, devant 60 000 spectateurs marseillais, il aborde les matches de la même façon qu’à l’adolescence. Alors qu’il était seulement en moins de 13 ans première année, je l’avais titularisé pour un choc entre l’OM et les Caillols, une vraie rivalité locale entre les deux équipes en tête du Championnat, un match très engagé sur un terrain stabilisé, dans un climat houleux. Il s’en était sorti, je l’avais laissé finir le match. Dans les contextes défavorables, il ne s’affole pas. » Les éducateurs de l’OM se souviennent des colères du fougueux Maxime Lopez et gare à l’adversaire, même trois fois plus épais, qui tentait de le chahuter. Kamara, lui, étale sa placidité, et le vice de l’opposant se fracasse sur lui comme la pluie sur un rocher.
“Il maîtrise ses nerfs, il est dans la gestion émotionnelle
Bernard Ambrosino,
un DE SES ANciens entraîneurs
« Bouba ne se laissera jamais marcher sur les pieds, mais il maîtrise ses nerfs, il est dans la gestion émotionnelle, dit Ambrosino. Il a toujours voulu être défenseur central, je l’ai essayé un peu au milieu, pour voir, il s’en sortait. Mais naturellement, il rayonnait derrière, il a toujours eu le bon placement, il était très dur à franchir en un contre un, ce n’est pas un monstre niveau taille, mais il a un bon timing et un jeu de tête intéressant. » Comme d’autres anciens de la Commanderie, tel Thomas Fernandez, ex-directeur du centre de formation, il a tiqué en voyant Rudi Garcia l’user à bien des postes (relayeur, latéral droit ou gauche), sans vraiment l’installer à sa place. Ou alors dans une défense centrale à trois éléments, le plus souvent.
Garcia élève à la dure le minot, évite de le prendre dans le groupe le week-end tant qu’il n’a pas signé son premier contrat pro, début 2017. À l’été 2018, il n’a d’yeux que pour une puissante association entre Adil Rami et Duje Caleta-Car, et Kamara sort régulièrement de l’équipe après une titularisation, qu’elle soit réussie ou ratée. Variable d’ajustement, comme l’aîné Luiz Gustavo, il est privé de déplacement à Angers (1-1), le 22 décembre 2018, pour une attitude laxiste lors des derniers entraînements. Jamais Kamara ne s’affole, pression et critiques lui glissent dessus, les interminables feuilletons sur la première signature de son contrat pro (novembre 2016-mai 2017), comme sur sa prolongation (automne 2018, toujours en cours) n’affectent guère son moral. Sa maman, Cathy, figure imposante et majeure, balaie les nuages gris, les obstacles ou les gens trop intéressés. « Tata » (surveillante de cantine) à l’école primaire de Mazargues-la Soude, où la petite sœur Djena et le frère cadet Djibril ont été des élèves adorables et sans histoires, elle a été longtemps abonnée chez les Yankee, virage nord. Les mercredis après-midi, elle fait l’aller-retour entre la Soude et le stade du Cesne pour accompagner Bouba, papote avec les entraîneurs, donne volontiers son avis. Récemment, elle a amené des maillots de Bouba à plusieurs formateurs, dont Ambrosino, avec la dédicace du petit : « Merci coach ! »
Une mère parfois comparée à celle d’Adrien Rabiot
Avec le statut de jeune prometteur et les beaux contrats à portée de crampons, viennent les premières décisions délicates. Au printemps 2017, Cathy doit ainsi trancher le conflit entre l’agent Housseini Niakhaté et le clan Ammari, une famille de la Soude qui compte un pro formé à l’OM dans ses rangs (Najib, aujourd’hui dans le Championnat roumain) et a toujours veillé sur le petit Kamara. « Bouba était notre voisin, le meilleur ami de mon petit frère, depuis qu’ils sont bébés ou presque, nous confiera après la rupture Nabil Ammari, un des frangins du clan. On l’a toujours aidé, il a dormi à la maison. On a présenté à sa mère l’agent qui s’est occupé de lui. Après… je n’ai même pas été mis au courant quand il est allé signer pro. Chacun fait sa vie, désormais. » Le chapitre ne serait toujours pas clos, mais Cathy a d’autres fers au feu. Pendant que Kamara, enfin associé à Caleta-Car depuis OM-Bordeaux (1-0), le 6 février, pour former une charnière aguichante, enchaîne les rencontres, elle supervise les négociations sur son futur au club. Après avoir finement temporisé en décembre, au moment où le joueur était au creux de la vague, le clan Kamara semble tout proche de trouver un accord salarial avec l’OM, fin mars. Seul point d’achoppement, la durée d’extension du bail : deux ans plus un en option pour le joueur, trois ans ferme pour l’OM. Rien d’insurmontable, mais la prolongation, imminente en avril, est sans cesse repoussée.
Face à une direction qui ne peut laisser échapper son joyau à la façon du Paris-SG avec Adrien Rabiot, le jeune homme est en position de force. « Bouba est en fin de contrat à l’été 2020, il est sans doute la plus belle valeur marchande de l’effectif aujourd’hui, et il a l’ambition de disputer l’Europe bientôt », détaille un proche. Aux curieux, Kamara se contente de dire qu’il aspire à poursuivre, ici, il a d’autres situations à analyser sur le terrain, d’autres « erreurs à commettre pour devenir un jour un immense défenseur central », le destin que lui prédit Pancho Abardonado, qui l’a coaché en réserve. Cathy est parfois comparée, dans les couloirs de la Commanderie, à Véronique Rabiot. Rançon de la gloire et d’une hyperactivité, qui la voit vérifier les questions, avant qu’elles ne soient posées, et les réponses, avant qu’elles ne soient publiées, de la première et seule interview de fond accordée à un média cette saison. La dernière fois qu’on a croisé Cathy au Vélodrome, elle avait les traits tirés de la matriarche affairée. Kamara, lui, a tendu sa main. En souriant.
L'Equipe