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Rudi Garcia
L’incroyable remontada
L’entraîneur de l’OL a surmonté la défiance dont il faisait l’objet à son arrivée pour faire de Lyon un véritable candidat au titre. Récit de ce renversement total de situation. Dès qu’il le peut, il invite les observateurs à aller questionner Christophe Galtier, son homologue de Lille, sur la course au titre, comme on refile un Mistigri à son voisin. Mais, en privé, Rudi Garcia savoure très probablement la situation dans laquelle il a positionné l’Olympique Lyonnais à quelques encablures de l’emballage final. Et comment ne pas être frappé par cet incroyable renversement de situation pour un entraîneur qui avait déclenché une véritable fronde contre lui avant même ses premiers pas dans le Rhône. À dire vrai, personne n’avait compris quand, le 14 octobre 2019, l’OL fait le choix du technicien de 57 ans en lieu et place de Sylvinho, soit un homme encore plus controversé que Bruno Genesio à Lyon. La Ville des lumières attendait davantage de raviver sa flamme avec Laurent Blanc. Mais l’ancien mentor du Paris-Saint-Germain a raté le coche pour deux raisons principales : sa volonté de se séparer de l’actuel staff des Gones alors que les finances du club étaient en souffrance, et son incapacité à séduire Juninho. Deux écueils parfaitement négociés par Rudi Garcia qui, lui, ne s’est pas privé pour dire au directeur sportif brésilien qu’il partage sa vision du football, tout en acceptant les conditions du club dont il connaît tout, comme il le démontre lors de son rendez-vous minutieusement préparé. Le premier coup de force de Garcia sur les bords du Rhône.
Un vestiaire lézardé de partout
Mais les supporters lyonnais l’avertissent : ils n’auront aucune patience avec lui. « J’ai douté qu’il puisse s’en sortir, nous confie l’ancien entraîneur de Lyon Alain Perrin (saison 2007-08). C’est vrai que Rudi a pu avoir des déclarations peut-être un peu bravaches quand il était à l’Olympique de Marseille, au plus fort de la rivalité face à Lyon. Les supporters ont de la mémoire. » D’autant que Garcia doit aussi composer avec un vestiaire lézardé de partout, où le gardien Anthony Lopes et le défenseur central Marcelo ne peuvent pas s’encadrer, et où un autre joueur majeur de l’équipe fiche parfois des entraînements en l’air en traînant des pieds, quand il n’envoie pas carrément balader son nouvel entraîneur avec des propos peu amènes. Ambiance...
Mais le natif de Nemours préfère ne pas aller frontalement au clash au sein d’un groupe qui ne lui est pas encore acquis. Sa méthode ? Instaurer un dialogue, en recevant les joueurs en entretiens individuels, et installer un cadre, avec un système d’amendes plus sévère en cas de retard (qui se multipliaient sous Sylvinho) et une utilisation des téléphones portables plus restreinte. À l’entraînement, Rudi Garcia s’attache à redonner de l’allant à ses joueurs un peu bridés par le système Sylvinho, qui exigeait que quatre joueurs restent en permanence derrière le ballon, et leur refaire un physique en faisant venir son préparateur italien Paolo Rongoni, qui travaille sur les grands espaces alors que Sylvinho avait effectué une préparation athlétique intégrée avec le ballon. Malgré un jeu poussif et des résultats inégaux en Championnat, la qualification pour les huitièmes de finale de la Ligue des champions (avec, cependant, un bilan peu flatteur sous Garcia de deux défaites, un nul et une seule victoire dans un groupe composé du RB Leipzig, de Benfica et du Zénith Saint-Pétersbourg) donne alors un peu d’oxygène au nouvel entraîneur.
Merci les huis clos ?
La victoire contre la Juventus Turin en huitièmes de finale aller (1-0) à peine savourée, l’interruption du Championnat en mars 2020 est un véritable coup de tonnerre, particulièrement à Lyon, laissé aux portes d’une qualification européenne avec une peu flatteuse septième place après 28 journées qui resteront sans suite. Un coup très dur, et pourtant... « Paradoxalement, elle a peut-être un peu rendu service à Rudi, reprend Alain Perrin. Car le groupe s’est retrouvé pour la préparation de la finale de Coupe de la Ligue et le Final 8 avant la reprise du Championnat à huis clos. Ç’a annihilé la fronde populaire, ou en tout cas son expression. Forcément, ç’a donné un peu d’oxygène à Rudi, car, sinon, cela aurait mis une pression sur lui, sur les joueurs et même sur la direction. J’ai vécu le fameux PPH (NDLR : Passera Pas l’Hiver), et je sais combien cela peut parasiter une relation avec un vestiaire. »
Lors des retrouvailles le 8 juin, c’est la paix des braves au sein d’un groupe qui a tout intérêt à tirer dans le même sens, au moins le temps d’un été, avec la réussite que l’on sait (demi-finales de C1 contre le Bayern en sortant la Juve lors du huitième de finale retour [1-2], puis Manchester City [3-1]). Mais la trêve ne dure pas bien longtemps. La reprise de la saison est pénible avec un seul succès lors des six premières journées de L1 où Lyon peine à faire le jeu (là où il devait « juste » contrer en C1), et surtout une ambiance délétère. Jeff Reine-Adélaïde demande publiquement à changer d’air avant d’être recadré sévèrement par Garcia, qui doit également composer avec les feuilletons Depay et Aouar, en instance de départ respectivement vers le Barça et la Juve, ainsi que les informations de L’Équipe qui annoncent que le technicien ne sera pas prolongé à l’issue de la saison.
Réunion musclée avec les joueurs
À partir de là, Garcia joue son va-tout. Fin septembre, il convoque une réunion pour le moins musclée avec ses joueurs alors que l’équipe est à la dérive, et annonce que, comme il ne sera pas conservé, il n’aura aucun problème pour faire des choix forts et partir à la guerre seulement avec ceux qui le méritent. Quitte à se passer d’Aouar et de Depay durant plusieurs matches, ce qui fait dire au Néerlandais à l’adresse de son coach juste avant la réception de Marseille (1-1, le 4 octobre 2020) : « Si tu veux gagner, tu me fais jouer. Si tu ne veux pas gagner, tu ne me fais pas jouer. » Comme annoncé par Garcia, la saison de Lyon débute bel et bien après la fin du mercato (10 victoires et 3 nuls lors des 13 journées suivantes). Mais la période a laissé des traces, notamment avec Juninho qui a moyennement apprécié l’insistance publique de l’entraîneur pour avoir un défenseur central supplémentaire alors que le club mise sur l’éclosion du jeune Diomandé. Une première fissure dans la relation entre les deux hommes qui va s’agrandir autour du cas Houssem Aouar. L’international français est sanctionné par le directeur sportif après son refus d’aller s’entraîner juste après le match à Angers (22 novembre 2020, 0-1). Rudi Garcia, lui, plaidait pour une clémence refusée par le Brésilien, qui estime que l’ex-entraîneur de Lille pense plus à avoir le prodige lyonnais avec lui là où l’ancienne idole de Gerland se soucie davantage de préserver le respect de l’institution.
Mais il apparaît clairement que, désormais, Garcia va à l’essentiel, à l’image de sa gestion des jeunes (Caqueret, Bard, Cherki, notamment) qui ont reculé dans la hiérarchie alors que, lors des premiers mois, il prenait soin de les mettre en valeur, comme demandé par la direction. N’empêche, les choix de Garcia sont payants et permettent à l’OL non seulement d’envisager une place sur le podium mais aussi de rêver au titre. À tel point que Jean-Michel Aulas lui-même évoque désormais une possible prolongation de son entraîneur qui, lui, s’ingénie à esquiver la question. Conscient qu’il s’agit peut-être juste d’un coup de bluff présidentiel pour maintenir la pression. Conscient aussi que s’il réussit son pari lyonnais, c’est lui qui aura alors toutes les cartes en main. D. A.
L'Equipe