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Foot : Rudi Garcia, fermé à trouble tour
14 janvier 2018 à 20:26
Champion avec Lille en 2011, Rudi Garcia est revenu à l’OM en 2016 après un intermède à l’AS Rome.
Champion avec Lille en 2011, Rudi Garcia est revenu à l’OM en 2016 après un intermède à l’AS Rome. Photo Philippe Perusseau. FEP. Panoramic
Reportage
Par Grégory Schneider, envoyé spécial à Rennes (Ille-et-Vilaine) —
Pragmatique, l’entraîneur d’un OM qui recolle au podium après sa victoire (3-0) à Rennes samedi souffle le chaud et le froid à ses joueurs. Mais les résultats ont toujours plaidé pour lui.
Une image et une seule : celle d’un homme sur un banc de touche qui griffonne quelque chose sur un bout de papier, sans un regard pour ce qui aimante à cet instant les yeux des 20 000 spectateurs retenant leur souffle. On joue la 27e minute sur la pelouse du Roazhon Park de Rennes, l’Olympique de Marseille est alors tenu en échec par les Bretons (ce qui ne durera pas, 3-0 au final pour les Phocéens) et vient de se voir accorder un penalty : l’attaquant international de l’OM Florian Thauvin a pris le ballon, il l’a posé à 11 mètres, prend son élan… mais son entraîneur, Rudi Garcia, note quelque chose sur son fichu bout de papier, comme s’il était hors du monde.
Sur l’instant, la scène est surréaliste : le fait que Marseille ouvre ou non le score à l’extérieur conditionne tout le match et, partant, la saison de l’OM, engagée dans une lutte au couteau avec ceux de son rang (on parle budget, l’AS Monaco et l’Olympique lyonnais) pour arracher le second ticket direct pour la prestigieuse Ligue des champions, le Paris-SG ayant bien entendu le premier en poche sauf en cas d’invasion de sauterelles biblique ou si la Seine s’ouvre en deux pour se refermer sur son Edinson Cavani.
Equidistant des dirigeants et des joueurs
Mais Garcia ne regarde pas. De deux choses l’une : ou bien l’indiscutable patron technique - et même au-delà - du club phocéen pense alors à autre chose ou il aimerait qu’on croie qu’il pense à autre chose ; l’humble artisan penché sur son ouvrage (il y a une faiblesse côté droit) loin des contingences de ce bas-monde (un péno de plus ou de moins…) et des passions des hommes. Dans le genre, Ivica Osim, le dernier sélectionneur à avoir cornaqué la Yougoslavie dans une phase finale avant qu’elle n’explose avec la guerre, avait quitté le terrain à 0-0 avant la séance de tirs au but d’un quart de finale du Mondial 1990 face à l’Argentine de Maradona : «Je n’avais pas perdu, je n’avais pas gagné non plus et les tirs au but n’ont plus rien à voir avec le match lui-même. Le reste n’était pas mon affaire.» Troisième possibilité, plus commune dans le foot : on ne regarde pas exprès, par superstition. Et on se fit à l’écho dans le public. Il a été festif parce que Thauvin a manqué son penalty, ce qui n’a eu aucune incidence sur le match. Et on a posé la question à l’intéressé après la victoire : «Non, rien à voir avec la superstition. Je ne suis pas là-dedans. Je voulais absolument noter quelque chose avant que cela m’échappe, quelque chose que je devais dire aux joueurs à la mi-temps. Quand le penalty a été sifflé, je me suis dit que j’avais le temps d’écrire. Quand j’ai levé les yeux, c’était trop tard.» Voire.
Garcia ne les a pas levés au moment où le portier rennais a sorti la frappe mais cinq bonnes secondes après, alors que le public hurlait partout. Peut-être qu’il était dans son propre espace-temps. Mais ce n’est pas dit. Sacré champion de France avec Lille en 2011 devant les mastodontes de la Ligue 1 et ayant poussé l’AS Roma à la 2e place du Calcio, Garcia est aujourd’hui le meilleur entraîneur français en poste dans un club à ne pas s’appeler Zinédine Zidane : Laurent Blanc attend les propositions et il est select, Didier Deschamps dirige la sélection et plus personne ne comprend pourquoi Arsène Wenger est à Arsenal depuis un quart de siècle.
C’est surtout un coach unique sur un point précis. On peut tous les classer en utilisant un critère élémentaire : il y a d’une part ceux qui sont plus proches des dirigeants qui les payent que des joueurs dont leurs résultats dépendent, et d’autre part ceux qui, à l’image de Marcelo Bielsa ou d’un Zidane par exemple, appartiennent viscéralement au terrain et au jeu, leurs rapports avec la superstructure relevant dès lors d’une sorte de mal nécessaire. Il semble que Garcia ait très tôt sorti un compas, calculé le point équidistant des joueurs et des dirigeants, et qu’il se soit assis dessus une bonne fois pour toutes. C’est abstrait, donc impressionniste : une somme de détails et de déclarations entassés au fil des saisons et souvent gouvernés par une froideur cynique et dissimulatrice, comme si ce fichu point équidistant nous était interdit.
«Si j’avais un fils, je l’appellerais Matheus Dória»
Jeudi, sur RMC, Rudi Garcia a ainsi parlé du défenseur brésilien Matheus Dória, soixante-seize minutes de jeu depuis août et dont il cherche à se débarrasser à toute force lors du marché des transferts courant jusqu’au 31 janvier : «Si j’avais un fils, je l’appellerais Matheus Doria.» La pilule - flatter le défenseur pour qu’il accepte de partir - est énorme, elle a fait rigoler le Landerneau. Mais qu’en pensent ses joueurs ?
Samedi, après Rennes, Thauvin louait sans réserve l’ambiance dans le vestiaire phocéen. Et il a fini là-dessus : «Voyez, Dória n’a pas joué et pourtant il est là, à s’investir dans le groupe et à s’entraîner juste après le match», le Brésilien faisant effectivement des largeurs de terrain au sprint à cet instant. Rudi Garcia sur Karim Rekik, dégagé en fin de saison dernière : «Il a été exceptionnel. J’ai une déception, c’est celle de ne pas avoir réussi à l’aider à trouver sa place.» Une semaine plus tard, il explique au défenseur Rod Fanni (36 ans) qu’il compte sur son expérience pour l’exercice 2017-2018 lors du fameux barbecue de fin de saison, Garcia passant d’un convive à l’autre avec le plat à saucisses pour le chapitrer : aujourd’hui, Fanni est tricard.
Et il y en a d’autres. On s’était longuement posé en 2013 avec un joueur que Garcia avait emmené au doublé coupe-championnat avec Lille deux ans plus tôt, et le type en avait gros sur le cœur : management au plus près des desiderata des stars de son vestiaire (et tant pis pour les autres), promesse non tenue, lâchage en sous-main devant la presse alors que le joueur en question affirmait qu’il avait pris sur lui de jouer blessé… On avait fini par s’étonner : au fond, qu’est-ce qu’un joueur est en droit d’attendre d’un entraîneur dans un contexte professionnel, où une trentaine de ses pairs se dévorent tous les jours à l’entraînement pour décrocher l’un des onze sésames dans l’équipe qui joue le week-end ? On le trouve où, le code de bonne conduite ? Rudi Garcia n’était pas là pour lui faire plaisir. Le joueur avait alors évoqué sa vie au centre de formation, la solidarité, les valeurs, les éducateurs qui vous serrent la main en vous regardant dans les yeux. On en a déduit que Rudi Garcia n’est pas précisément un éducateur : il est de plain-pied dans le monde d’après, celui des grands.
Quand le président de l’OM, Jacques-Henri Eyraud, lui a fait signer son contrat en octobre 2016, il a fait ajouter la clause suivante : Garcia s’engageait à ne pas faire venir un joueur partageant les mêmes agents que lui, les frères Boisseau, histoire de parer un conflit d’intérêts - on enrichit son propre agent en arguant d’une plus-value sportive- vieux comme l’apparition des agents dans le marché des coachs. Représenté par les Boisseau, le défenseur Grégory Sertic est néanmoins arrivé dans la foulée. Garcia fait comme il veut. Récemment, il s’est amusé devant la presse d’Andoni Zubizarreta, le directeur sportif marseillais après avoir été celui du prestigieux FC Barcelone au terme d’une immense carrière de joueur, 126 capes internationales et huit saisons au Barça : «Si vous voulez des infos sur les transferts, vous n’avez qu’à demander à Andon», comme si ce dernier décidait encore de quelque chose.
Image, bonne conscience et eau de vaisselle
Le fond de l’air est glacé. Devant les micros, le natif de Nemours (Seine-et-Marne) a le grain de voix de Daniel Guichard, mais la posture de Rachida Dati : sous les bons mots - «Quand on fait un compliment sur un joueur, il faut tout de suite lui en mettre une petite derrière, pour équilibrer» - destinés à se mettre l’auditoire dans la poche, on sent une dureté du fond des âges, celle du type d’extraction modeste, joueur sans éclat contraint de prendre sa retraite à 28 ans dans l’anonymat, qui n’a jamais eu le choix des moyens.
Ses conférences de presse durent une dizaine de minutes, elles sont d’une pauvreté insondable mais on aurait tort de le lui reprocher, d’une façon ou d’une autre : d’une part, Garcia a convenu avec son auditoire au printemps dernier qu’il était devant eux pour ne rien dire et, ensuite, le foot se joue avec un ballon, pas devant les micros, ce qui met sur le même pied d’égalité un type comme lui et un orateur aussi brillant que Bielsa, ce qui fait très précisément la grandeur du sport en général et du foot en particulier. Zubizarreta est là pour l’image et la bonne conscience.
Rudi Garcia, lui, met les mains dans l’eau de vaisselle. Samedi, par un effet expressionniste, son équipe lui ressemblait : agressive, installant immédiatement dans le match l’idée que cet OM-là est une montagne. Concrètement, Garcia a fait venir des joueurs au niveau éprouvé, affichant souvent la trentaine (30 pour Dimitri Payet, 30 pour Luiz Gustavo, 32 pour Adil Rami, 32 pour Steve Mandanda), ce qui rend les perspectives de plus-values futures sur le marché des transferts inexistantes. Il s’en fout, il est un entraîneur pour tout de suite, une mèche courte qui sera déjà partie quand la question de vendre ceux-là se posera. Sinon, on lui a demandé ce qu’il écrivait au moment du péno. Il a sorti la feuille de sa veste, avant de la regarder attentivement : «J’ai noté quelque chose sur les attaques rapides.» On se disait aussi.