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Bafétimbi Gomis a quitté la Ligue 1 il y a dix ans. À 38 ans, l'ancien attaquant termine son périple à travers l'Asie, après avoir été adulé à Istanbul (Turquie) et Riyad (Arabie saoudite). « France Football » l'a retrouvé dans sa nouvelle vie au Japon, à Tokyo, où il s'apprête à tourner la page d'une carrière intense.
Tokyo, à la sortie de la gare de Shibuya, le quartier le plus animé de la ville. Le feu piéton est rouge et des milliers de passants s'amassent au bord du trottoir. Parmi eux, Bafétimbi Gomis. Au vert, la foule s'engage d'un pas décidé, l'international français avec. Mais au milieu du carrefour emblématique de la ville, où se croisent plus de deux millions de piétons chaque jour, un supporter du Kawasaki Frontale le repère et lui demande un selfie.
Bafé s'y plie avec plaisir et admet : « En Turquie, c'était impossible à faire, mais ici, je suis encore peu connu, j'en profite pour me promener comme n'importe qui. » À voir. Car le quasi-anonymat du joueur de 38 ans est rapidement pris en défaut. À Takeshita dori, la rue la plus fluo de Tokyo, où l'on croise des looks très colorés, des chaussettes aux perruques, le mètre 86 de l'attaquant dépasse d'une tête tous les passants.
Le Japon, un choix familial et réfléchi
Rapidement repéré, il est interpellé de façon tonitruante par le vendeur du seul restaurant de kebabs des alentours. Sans hésiter, le goleador aux 51 buts pour Galatasaray embraye en turc. Le résumé d'une carrière de globe-trotter où il aura laissé des bons souvenirs partout où il est passé.
D'ailleurs, on avait un salut chaleureux à lui transmettre de la part d'Éric Di Meco, encore charmé par son passage à l'Olympique de Marseille. C'était il y a huit ans et à 10 000 km. Pour Bafétimbi Gomis, ce projet japonais a peut-être germé en 2019, lors la finale de la Ligue de champions asiatique entre Al-Hilal et les Urawa Red Diamonds, le club de la ville de Saitama.
Lors du match retour, l'avant-centre plante le dernier but du club saoudien dans le temps additionnel, pensant glacer les 58 000 spectateurs. « Mais l'ambiance était extraordinaire et je me suis dit : "C'est un pays de football." Ça concrétisait aussi l'impression que j'avais eue lors de la semaine de préparation où j'avais un peu découvert la culture. Un pays aussi riche, je voulais le faire vivre à ma famille. »
Conseillé par Wenger, Antonetti et Sakai
MVP de la compétition et meilleur buteur (11 réalisations en tout), Gomis s'inscrit dans la mémoire des clubs locaux. Jusqu'à ce que le Kawasaki Frontale, le club de la banlieue sud-ouest de Tokyo, fasse part de son intérêt à l'été 2023.
« Bafé » discute avec ses représentants de l'agence Wasserman, et prend également des renseignements auprès de ceux qui l'ont précédé dans l'archipel nippon. D'Arsène Wenger (Nagoya Grampus Eight de 1995 à 1996) à Frédéric Antonetti (Gamba Osaka, saison 1998-1999), en passant par Damien Comolli (qui avait suivi Wenger à Nagoya pour entraîner les U18) et son ex-coéquipier marseillais, le latéral Hiroki Sakai, tous le confortent dans cette idée.
Malgré d'autres propositions venues du continent asiatique et du Moyen-Orient, va pour le Japon. « J'ai choisi cette destination car mes enfants allaient beaucoup apprendre. Et moi avec eux. C'est un choix moins égoïste, un peu comme ce qu'a fait Hugo Lloris en partant à Los Angeles (LAFC). » Ainsi, pour passer plus de temps avec les siens, Bafétimbi a délaissé coach personnel, kiné et diététicien.
Arrivé en août dernier, Gomis a déjà pris quelques habitudes. Il nous attend au 48e étage de l'hôtel Park Hyatt, son lieu fétiche pour ses rendez-vous. À 200 mètres de hauteur, le restaurant offre une vue dégagée sur Shinjuku, un autre quartier central, et sur le gratte-ciel en verre où s'est établie la famille Gomis.
Alors qu'il nous cueille après douze heures de vol et huit heures de décalage horaire, « Bafé » commande un thé au gingembre avec du miel. Le soin idéal pour la gorge. Prévenant et loquace, le joueur se prête avec gourmandise à la narration de ses aventures nippones. « Déjà, Tokyo est une ville magnifique. Quand je peux, je prends la voiture pour me balader et je découvre toujours des coins inattendus. »
Fan d'« Olive et Tom »
Même si le joueur a déjà conduit à gauche lors de son aventure au pays de Galles, à Swansea, le maillage d'autoroutes urbaines et de rues sans nom au Japon ne se laisse pas dompter si facilement. Mais tout lui semble être un immense terrain de jeu.
Au même moment, sa femme l'appelle avec les enfants, joyeusement perdus dans une immense librairie manga. Bien décidé à en profiter à fond, « Bafé » nous demande toutes nos bonnes adresses et nos contacts, notamment celui de Yoichi Takahashi, le créateur de Captain Tsubasa (Olive et Tom), dont il est fan.
Côté pré, les débuts ont été plus compliqués. Le joueur n'esquive pas et avance une raison : le calendrier de la J-League, le Championnat japonais, est décalé par rapport aux autres compétitions qu'il a fréquentées. En plein été, alors qu'il venait de terminer sa saison avec Galatasaray, il a débarqué dans une Ligue qui battait son plein.
Pas dans le rythme, il n'a pas marqué et est sorti du onze. Pis, le Kawasaki Frontale, club phare de la J-League avec ses quatre titres, tous glanés depuis 2017, était englué dans un ventre mou absolument pas en phase avec ses standards.
La saison s'est mieux finie avec un trophée remporté : une Coupe du Japon. À l'heure du premier bilan, l'attaquant combine sagesse et humilité : « Je suis venu pour apprendre de cette Ligue. Ils ont un autre football. On me demande de presser d'une façon totalement différente, de jouer dans d'autres espaces... »
Et le Français de poursuivre dans un sourire : « Je dois m'adapter. J'ai toujours eu du temps de jeu et un statut. Là, je n'ai pas encore apporté ce que je peux apporter. Je voulais sortir de ma zone de confort, j'ai été servi. » Chez les Dauphins (le surnom des joueurs de Kawasaki), « Bafé » n'a pas encore pu sortir sa célébration de panthère et joue très peu depuis fin février.
Pas de quoi remettre en cause ce nouveau départ. « Je ne marque pas comme avant, mais je sais que je sortirai grandi de cette expérience. Ça va m'aider pour ma vie d'après. » Et Gomis y met du sien. S'il bénéficie d'un interprète, il apprend le japonais pour communiquer avec ses coéquipiers. « Les cultures que j'ai croisées avant étaient plus proches de mon origine sénégalaise. Là, il faut être patient. On se trouvera mieux sur le terrain si on se comprend. »
Pour rester motivé, il se souvient d'avoir déjà partagé le vestiaire avec Yuto Nagatomo à Istanbul ou Hiroki Sakai à Marseille, notamment quand il était capitaine. « Quand tu dois assumer un rôle de leader, tu te rends compte que les joueurs japonais ne posent aucun problème. Tu peux partir à la guerre avec eux. Et puis, ils sont ponctuels et respectueux. Dans un groupe, c'est génial. »
Une J-League intense mais invisible
Dans son contrat, entre les lignes, « Bafé » doit marquer, bien sûr, mais aussi transmettre son savoir-faire aux autres attaquants : « Ce nouveau rôle me permet de tuer cet ego qui grossit à mesure que tu marques et qu'on te met sur un piédestal. Au Japon, tout le monde est sur un pied d'égalité. »
Dans le vestiaire, le numéro 18 distille ainsi ses conseils à de jeunes joueurs dont beaucoup rêvent d'épouser une carrière en Europe. Une fonction qui lui rappelle de bons souvenirs : « À Sainté, au début de ma carrière, j'ai eu Hérita Ilunga, Jérémie Janot, Papus Camara, Vincent Hognon... qui m'ont beaucoup aidé. Maintenant, c'est mon tour. »
Carré de chlorophylle, le sanctuaire Meiji-jingu permet de s'aérer au centre de la capitale. On l'arpente avec « Bafé » et la marche lui fait analyser les particularités du jeu domestique et les qualités des joueurs japonais : « Ils ont une bonne technique, sont très vifs, avec un centre de gravité très bas. Et ça va à deux mille à l'heure. Ils progressent et l'équipe nationale est déjà d'un très bon niveau. »
Observateur attentif, il pointe aussi certaines limites : « La J-League manque de visibilité et peut-être qu'il lui faudrait davantage de joueurs et de coaches étrangers pour proposer différents registres et pas que de l'intensité. Dans les Championnats européens, il y a une gestion des temps forts et des temps faibles. Ici, c'est toujours à fond, même quand tu mènes 1-0. »
Avant de se reprendre : « Notre entraîneur, M. Toru Oniki, je le mets à part. Il connaît cette Ligue et il sait la gagner. » Effectivement, Oniki détient le record de titres, les quatre Championnats dont peut s'enorgueillir le club de Kawasaki, c'est à lui qu'il le doit (2017, 2018, 2020 et 2021).
Autre spécificité liée à la culture nipponne, le joueur apprécie une relation saine avec les supporters qui donnent sans épargner leurs cordes vocales et reçoivent beaucoup de respect en retour de la part des joueurs, notamment au stade Todoroki de Kawasaki, dont les 27 000 fans sont connus pour leur ferveur.
« À la fin des rencontres, tu vas saluer tout le monde, même les supporters et l'équipe adverses, pour les remercier du match. C'est très enrichissant. En Europe, tout est basé sur la compétition, il faut tuer celui d'en face et les noms d'oiseaux volent. Ici, non. Et ça n'empêche en rien les duels et la combativité. »
Une future carrière de dirigeant ?
Retour à Shibuya où on l'accompagne pour une petite séance de shopping durant laquelle il se réapprovisionne en t-shirts. Un goût de la sape qu'il partage notamment avec David Bellion, l'ancien attaquant de Manchester United et des Girondins de Bordeaux, qui a investi dans le business de la mode et se rend souvent à Tokyo. Alors que Kawasaki sera son dernier contrat (celui-ci s'arrête fin 2024), on sonde « Bafé » sur la suite.
Le joueur a commencé à prendre des cours de management en suivant un programme de l'UEFA. N'excluant rien, il se voit dans l'organigramme ou la direction sportive d'un club. Toujours passionné, il passe aussi du temps à regarder les entraînements des équipes des catégories de jeunes de Kawasaki.
Viendra alors le moment du retour. « J'ai quitté ma famille à l'âge de 13 ans et je ne suis jamais rentré. Je veux aussi passer du temps avec mes parents, qui vieillissent, pour qu'ils profitent de mes enfants. »
Se retournant sur sa carrière, il scanne : « En tant que footballeur, quand arrive la fin, il faut plutôt voir la bouteille à moitié pleine qu'à moitié vide. Au-delà de la passion du football, les voyages, c'est très important. Avec notre métier, on a de la chance de pouvoir explorer d'autres pays et cultures. Il ne faut pas se priver. »
Même si les joueurs d'un seul club sont beaucoup moins fréquents, Gomis soutient : « Je tire mon chapeau à ces joueurs fidèles, mais je pense qu'ils ratent quelque chose en ne tentant pas une expérience à l'étranger. Il y a tellement de choses à découvrir en dehors du terrain. On a pleuré à chaque fois qu'on changeait de destination et à chaque fois qu'on en partait. » Nouvelles larmes prévues en décembre prochain, après la dernière journée de J-League.