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Anguissa, l’histoire d’un transfert
Arrivé gratuit à l’été 2015, le milieu marseillais a été recruté hier pour 30 millions d'euros par Fulham. Retour sur un deal sinueux. Anguissa, l’histoire d’un transfert
Arrivé gratuit à l’été 2015, le milieu marseillais a été recruté hier pour 30 millions d'euros par Fulham. Retour sur un deal sinueux. HUGO DELOM, MATHIEU GRÉGOIRE ET BILEL GHAZI
Il est un peu plus de 13 heures, hier. Le directeur sportif, Andoni Zubizarreta, converse longuement avec son adjoint, Albert Valentin, sur le parvis de la Commanderie. Malgré l’orage matinal, les bureaux de l’Olympique de Marseille restent soufflés par une actualité torride. Une offre conséquente de Fulham, reçue la veille, pour le milieu Frank Anguissa (22 ans). Jacques-Henri Eyraud, visage fermé, n’est pas loin, il ne cesse de scruter son smartphone. L'OM traverse des heures incertaines qui seront conclues par l’officialisation de la plus grosse vente de la jeune ère McCourt, pour quelque 30 millions d’euros. Pour un joueur récupéré à l’été 2015 à Valenciennes, après un passage à Reims, par l’ancien président Vincent Labrune, alors qu’il n’était qu’un anonyme, payé 2 700 € mensuels. Un soldat vaillant, fiable, gentil, parfois moqué pour son indiscipline tactique, ses maladresses, comme lors de la finale de Ligue Europa, le 16 mai, contre l’Atlético de Madrid (0-3), ses déclarations avant l’Olympico du 18 mars au Vélodrome (2-3). « Lyon ? On veut les exploser », glisse-t-il à la Provence, avec candeur. Les critiques acerbes ont laissé des traces mais n’ont jamais freiné une progression indéniable depuis l’arrivée au club de Rudi Garcia, en octobre 2016.
Fulham abat sa carte habituelle : l'agent McKay
Et suffisante pour justifier une telle indemnité ? Pour la comprendre, il faut se plonger dans le Landerneau de Fulham, dont on connaissait l’appétit pour les profils de l’Hexagone – les anciens Niçois Seri, Le Marchand – et devenu en quelques heures, sous l’effet notamment des arrivées de Rico (Séville FC), Fosu-Mensah (Manchester United) ou Vietto (Atlético), le premier club promu de l’histoire de la Premier League à dépenser 100 millions de livres en un été.
Ces derniers jours, l’achat d’un milieu de terrain n’est pourtant pas perçu comme prioritaire en interne. Les dirigeants londoniens ont bien proposé un prêt ou un échange à leurs homologues stéphanois pour le Norvégien Ole Kristian Selnaes (24 ans). Sans conviction. La tendance s’inverse soudainement. Et, depuis mercredi, le recrutement d’un milieu musculeux est érigé en priorité par Alistair Mackintosh, le chief officer du club. Les critères fixés : moins de vingt-quatre ans, répondant aux normes physiques très précises répertoriées en interne et consignées dans un logiciel auquel l’équipe de Brian Talbot, le chief scout, ne déroge jamais. Dans l'élite anglaise, le profil d'Anguissa est apprécié. Cette saison, Chelsea n’a pas hésité à envoyer ses émissaires français multiplier les rapports sur le Camerounais. Puissance, volume, potentiel de revente : il n’en faut pas beaucoup plus pour en faire un prospect apprécié outre-Manche.
Alors, mercredi, à moins de vingt-quatre heures du gong, Fulham abat sa carte habituelle. Elle porte un nom : William « Willie » McKay. Un Écossais connu dans l’Hexagone, sésame indispensable quand il s’agit de s’ouvrir les portes de certains clubs anglais, comme West Ham, par exemple. Un tunnel vers l’Angleterre utilisé par son ami Pape Diouf du temps de sa carrière d’agent, au début des années 2000, un deal maker bien connu à Marseille. Le visage est rond, la réputation baroque. Pour dégraisser l’OM, McKay a notamment transféré Alou Diarra à West Ham et Mbia aux Queens Park Rangers à l’été 2012, en compagnie de deux agents français qui ont été placés en garde à vue en novembre 2014 dans l’affaire des transferts suspects de l’OM. Il a aussi été entendu par la brigade financière en 2005, puis placé sous le statut de témoin assisté par le juge Renaud Van Ruymbeke dans l’affaire des comptes du Paris-SG. Pas rancunier, ce fada des hippodromes donnera le nom du magistrat à l’un de ses meilleurs chevaux de course.
Zahavi aussi de la partie
McKay porte l’offre XXL pour Anguissa, officiellement caché derrière d’autres intermédiaires, dont son fils Mark : il a déclaré sa société en cessation de paiement en avril 2015 et n’a plus de certification. Eyraud, qui a déjà traité avec WMK dans l’opération Payet, ne bronche pas. La liste noire des agents sulfureux, brandie en principe à son arrivée, est sans doute loin à cet instant. Interrogé en février 2017 sur McKay, JHE le considérait comme un type « sympa » – ce qu’il est, au demeurant. Alors que la valeur réelle d’un Anguissa sur le marché peut atteindre 20 M€, McKay et ses équipes ont cette capacité à faire monter les offres. Pour satisfaire tout le monde. Vendeurs comme intermédiaires. On retrouve d’autres représentants dans ce transfert aux facettes multiples. L’agent officiel d’Anguissa, Maxime Nana, l’homme qui l’a découvert, qui est à l’origine de sa progression. Mais aussi Pini Zahavi. L’agent à l’origine de la venue de Neymar au PSG avait été mandaté par Nana pour trouver un club en Premier League. Hier midi, alors que Nana est en Italie, les négociations s’étirent. Le montant de l’opération n’est pas au cœur des discussions : il a atteint son niveau final très rapidement.
Les échanges portent sur le reste, la répartition des commissions et de la taxe de solidarité (5 % du montant du transfert). Le Camerounais, qui a participé à l’entraînement hier matin, rejoint son domicile à midi, comme si de rien n’était. À cette heure, McKay multiplie les offensives en France. Il tente de convaincre le Monégasque Almamy Touré de rejoindre Fulham. Refus. Anguissa envoie, lui, quelques petits messages à ses coéquipiers pour confirmer son départ. Les contours du contrat sont trouvés – cinq ans, 300 000 euros par mois. Fulham envoie des représentants à Marseille pour faire passer une brève visite médicale. Les derniers e-mails entre le juriste Darren Preston et son homologue Alexandre Mialhe sont échangés.
Dans le bureau, Nana et Zubizarreta chassent le stress, alors que la deadline de 20 heures (*) approche. Le passage d’Anguissa à l’OM s’arrête là. « Labrune devrait m’ériger une statue devant la Commanderie », nous confiait McKay après avoir organisé le transfert de Loïc Rémy aux QPR en janvier 2013 et rempli les caisses de l’OM. Le facétieux Écossais pourra toujours soumettre l’idée à son successeur JHE et à Zubizarreta.
(*) En cas d'accord tripartite, les clubs anglais disposaient de deux heures dérogatoires au-delà de la clôture du mercato, fixée à 18 heures françaises, pour finaliser leurs transactions.
L'Equipe