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Marcelo Bielsa et l'Uruguay, un mariage d'amour et de raison
À la tête d'un effectif expérimental, avec sept joueurs tout juste sacrés champions du monde des moins de 20 ans, Marcelo Bielsa entame face au Nicaragua (dans la nuit de mercredi à jeudi) en amical son mandat très attendu de sélectionneur de l'Uruguay.
Il en a donné des tranchantes, des surréalistes, des soporifiques, mais le 17 mai, la conférence de presse de Marcelo Bielsa fut la master class radieuse d'un homme convaincu d'être à la bonne place. Par « radieuse », entendons-nous : devant 300 journalistes venus de quinze pays assister à Montevideo à la présentation du nouveau sélectionneur de l'Uruguay, l'Argentin de 67 ans a, comme d'habitude, passé plus d'une heure à disserter d'un ton monocorde, le regard baissé.
Mais il a souri, souvent, distillant des aphorismes sur le foot comme miroir de la vie : « Avec ses résumés de trois minutes, le traitement actuel du football permet de moins en moins de tomber amoureux du jeu ; c'est comme si vous ne viviez avec votre femme que le samedi soir »... Surtout, Bielsa a expliqué pourquoi il était heureux d'être là, contant un voyage en bus autour de Montevideo qui lui prouva la générosité et l'humilité du peuple uruguayen, évoquant son admiration pour Oscar Tabarez, ancien sélectionneur-bâtisseur (2006-2021) d'une nation de 3,5 millions d'habitants dont l'oxygène est teinté de football.
Grâce à Tabarez, la Celeste (16e au classement FIFA) a retrouvé son lustre d'antan et dispose d'un réservoir hors norme de joueurs de qualité vu sa démographie : le titre de champion du monde des moins de 20 ans remporté dimanche (1-0 contre l'Italie) en est une énième illustration. « Les dirigeants n'ont pas eu à me convaincre, ce fut presque le contraire, a dit Bielsa. J'aime les joueurs et les citoyens de ce pays, aucun club n'allait m'offrir un groupe de joueurs comme celui de l'Uruguay. » « Il s'est déjà mis le pays dans la poche, sourit Luis Inzaurralde, auteur en 2018 d'une biographie de Tabarez dont la préface fut signée... Bielsa. Avec Tabarez, ils ont tant de points communs : la philosophie, le fair-play, ne pas gagner à n'importe quel prix, la culture du travail... »
Après trois saisons et demie à Leeds qu'il fit passer du ventre mou de la D2 aux places d'honneur de Premier League (9e en 2021) avant de perdre le fil, et le club avec - seize mois après son licenciement en février 2022, Leeds vient d'être relégué -, Bielsa a de nouveau choisi, comme à Bilbao ou Marseille, un endroit de passion et d'intensité qui lui ressemble. Ravie, l'Uruguay, qui le savait courtisé par des offres plus lucratives (Everton, les sélections des États-Unis ou du Mexique), en oublierait presque qu'après l'échec de l'Argentin Daniel Passarella en 2001, Bielsa n'est que le deuxième sélectionneur étranger de l'histoire du pays.
« Certains pensent que son salaire, le double des précédents sélectionneurs, ferait mieux de servir au modeste Championnat local mais c'est une petite minorité, explique Juan Pablo Romero, journaliste pour El Pais. Dans le top 10 des meilleurs entraîneurs du monde, tous les footballeurs placeraient Bielsa, et souvent haut ! » D'Enzo Francescoli à Diego Lugano, dithyrambiques sur sa nomination, le pays juge que l'Argentin arrive au moment idéal pour apporter du jeu et des émotions à un football qui n'attend que ça et ajouter à la « garra charrua » un visage plus offensif.
Après le départ de Tabarez, le mandat de son successeur Diego Alonso fut marqué par l'élimination au premier tour du Mondial 2022 et deux petits buts inscrits en trois matches. « La génération très talentueuse née entre 1997 et 1999 - Federico Valverde (Real Madrid), Ronald Araujo (FC Barcelone), Rodrigo Bentancur (Tottenham), Darwin Nunez (Liverpool), Mathias Olivera (Naples) - peut faire de grandes choses avec Bielsa », dit Romero.
« Et la suivante aussi, celle des champions du monde U20, ajoute Inzaurralde. Le foot uruguayen va bien. Bielsa est là pour mettre la cerise sur le gâteau et faire une toile de maître de l'oeuvre bâtie par Tabarez, dont le jeu était conservateur. » L'Uruguay pense avoir de quoi satisfaire la rigide exigence de l'Argentin, qui l'a parfois poussé à couper court aux expériences qui lui déplaisent.
Bielsa va discuter avec Suarez et Cavani
Pour ses deux premiers matches amicaux au stade Centenario, face aux modestes Nicaragua (140e au classement FIFA) dans la nuit de mercredi à jeudi (1h30) et Cuba (165e) le 21 juin, l'anticonformiste Bielsa a choisi de laisser les cadres au repos pour constituer une sélection âgée de 23 ans en moyenne, avec sept champions du monde U20, et ainsi tester les joueurs qu'il connaît le moins. Les choses sérieuses débuteront en septembre avec les qualifications pour la Coupe du monde 2026 et une inconnue : appellera-t-il les Luis Suarez (36 ans, Grêmio Porto Alegre), Edinson Cavani (36 ans, Valence) et autres représentants de la glorieuse génération qui conquit la Copa America 2011 ? « Je vais en discuter avec eux, a dit l'ancien guide du Chili (2007-2011). Je ne ferai jamais rien qui puisse faire mal aux idoles, métal précieux pour le peuple. »
L'ère Bielsa, sous contrat jusqu'en 2026 et dont ce pourrait être la dernière danse, sera pavée d'objectifs ambitieux : la Copa America 2024, le Mondial 2026 et, avant cela, le tournoi qualificatif pour les JO de Paris, où le coach pourrait prendre place sur le banc. L'Uruguay y voit un signe céleste : le pays fêtera alors le centenaire de sa médaille d'or des JO 1924 tandis qu'en 2004, Bielsa remporta avec l'Argentine lors des Jeux d'Athènes le plus grand titre de sa carrière. Une preuve de plus que ce mariage a quelque chose de terriblement romantique.