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Championship : Marcelo Bielsa, le «crazy one» de Leeds United
Après son échec lillois, l'entraîneur argentin a atterri à Leeds United, le mois dernier. Marqué par une instabilité chronique, le club du Yorkshire, qui évolue en D2, compte sur «el Loco» pour retrouver du lustre.
Des autographes, quelques sourires, les selfies d'usage et même une petite blague, lorsqu'il fait croire à une fillette qu'il va lui écrire sur le front avec son stylo. C'était dimanche, en début de soirée, sur le parking du vieux stade Elland Road. Marcelo Bielsa, entraîneur de Leeds United depuis six semaines, venait de boucler, par une courte et difficile victoire (1-0) à domicile face à Las Palmas (D 2 espagnole), une série de six matches de préparation en treize jours, où il multiplié les essais et les systèmes de jeu.
Quelques minutes de partage convivial avec les supporters des Whites, avant le saut imminent dans un nouveau monde, pour le célèbre coach argentin. Plus tôt, on l'on avait observé assez calme sur son banc, n'en sortant que pour les dix dernières minutes de la rencontre. Pas pour s'asseoir sur une glacière, mais pour s'accroupir dans le coin gauche de sa zone technique, dans une de ses positions favorites.
Avec ses joueurs, Bielsa s'exprime parfois en anglais (comme la semaine dernière, lors d'une causerie), une langue qu'il a apprise dans sa jeunesse à Rosario. Mais il passe la plupart de ses instructions en espagnol via son interprète, Salim Lamrani (déjà présent à ses côtés au LOSC), et son staff, à tonalité latine. Dimanche, au bord du terrain, il était entouré de ses deux fidèles adjoints, l'Argentin Pablo Quiroga et le Mexicain Diego Reyes, des Espagnols Carlos Corbeiran, coach des moins de 23 ans, et Marcos Abad, responsable des gardiens, mais aussi de l'ex-préparateur physique lillois Benoît Delaval. En bas de survêtement et T-shirt, Bielsa portait... deux montres. L'une était réglée à l'heure argentine, à son poignet droit. Et l'autre à l'anglaise, évidemment.
Dix-sept entraîneurs en quatorze ans
Car pour la première fois de sa carrière, Marcelo Bielsa (63 ans) découvre le métier en Grande-Bretagne, mais pas par la grande porte. Après son éviction du LOSC après seulement 13 matches, l'an passé, le voici encore plus au nord de l'Europe, dans le West Yorkshire, à Leeds (à 70 km de Manchester), où il va s'immerger dans l'univers impitoyable du Championship, le deuxième niveau anglais. Ça commence dimanche, avec la réception de Stoke City (17 h 30, beIN Sports 2), qui évoluait en Premier League la saison dernière.
« El Loco » à Leeds ? Un mariage arrangé grâce à l'Espagnol Victor Orta, le directeur sportif du club (depuis quatorze mois), où il a la responsabilité du recrutement et du scouting, après un passage controversé à Middlesbrough. Localement, aucun accès de fièvre populaire ou marketing n'accompagne encore le personnage, même s'il apparaît sur une affiche de la campagne d'abonnement aux abords du stade. En revanche, son nom et son visage sont encore invisibles dans la boutique officielle du club. La question qui tourne concerne d'abord la longévité à prévoir de cette union incongrue.
Car le LUFC - dont le dernier titre de champion d'Angleterre remonte à 1992 (après ceux de 1969 et 1974), avec Éric Cantona - se distingue par une forte instabilité depuis de nombreuses années. Le tempétueux Bielsa, qui a signé le 15 juin un contrat de deux ans (plus une année en option), a pris les rênes techniques d'un club qui a consommé dix-sept entraîneurs depuis 2004, date de sa dernière apparition en Premier League. Les dix derniers n'ont jamais pu accomplir deux saisons consécutives à leur poste. Et Bielsa est devenu le troisième coach de Leeds en un an, après les courtes expériences de Thomas Christiansen (35 matches), nommé en juin 2017 et débarqué début février, puis Paul Heckingbottom (16 matches), qui a ensuite dirigé l'équipe moins de quatre mois.
À Leeds, d'autres règnes furtifs sont même passés à la postérité, comme celui du mythique et bouillant Brian Clough, à l'été 1974, qui n'était resté en poste que quarante-quatre jours ; un éclair conté par David Peace dans son livre The Damned Utd, paru en 2006, puis adapté au grand écran trois ans plus tard. Ou celui de l'Écossais Jock Stein (vainqueur de la C 1 avec le Celtic Glasgow en 1967), il y a quarante ans, qui lui aussi, curieusement, n'avait tenu que quarante-quatre jours. Quant au symbole absolu de la réussite dans la continuité, il a sa statue (comme l'ex-milieu Billy Bremner) en face d'Elland Road : Don Revie a entraîné Leeds de 1961 à 1974, en donnant ses deux premiers titres de champion au club.
Revie est parti un an avant un événement tragique, qui a durablement sali la réputation de Leeds, seul club professionnel de la ville, et de ses supporters : les scènes de hooliganisme ayant accompagné sa finale de C 1 perdue (0-2) face au Bayern Munich, le 28 mai 1975, au Parc des Princes. « Dirty Leeds », comme le raillent les autres fans, continue de traîner ce boulet, plus de quarante ans après les faits. Et d'alimenter une parano persistante en interne. « On est le club le plus détesté d'Angleterre, note un membre de la sécurité du club. Ici, on a une mentalité d'assiégés car personne ne nous aime. » Un des chants de supporters le proclame même avec une autodérision acide : « We are the Leeds scum and we don't care » (« On est la racaille de Leeds et on s'en tape »).
Lors de son unique conférence de presse (qui a duré plus d'une heure), le 25 juin, Bielsa s'est tenu à l'écart de ces antiennes. Tout en réaffirmant ses principes (« Je préfère le beau football à celui qui est pragmatique, et en jouant bien vous avez plus de chances de gagner »), il a également calmé les ardeurs des moins patients concernant les objectifs du club, qui a terminé 13e de Championship la saison dernière. « Ce n'est pas une bonne idée de faire de grandes déclarations d'intention », a expliqué l'ex-coach de l'OM.
Sage avertissement. Car concernant l'effectif, Leeds a d'abord dégraissé, en enregistrant une quinzaine de départs, la majorité en prêt. Du côté des recrues, l'activité est plutôt discrète, malgré l'arrivée d'actionnaires minoritaires américains (propriétaires de la franchise NFL des San Francisco 49ers), en mai. Le plus « gros » coup a eu lieu avant-hier, avec le transfert de l'attaquant Patrick Bamford (24 ans, ex-international Espoirs anglais), arrivé de Middlesbrough pour 11,20 M€. Et sur les six joueurs déjà arrivés, trois sont prêtés. Dont l'attaquant Jack Harrison (21 ans), « confié » à Bielsa par le Manchester City de Pep Guardiola, un de ses grands admirateurs. Car sa mission est aussi de promouvoir et faire progresser des jeunes, en lien avec le centre de formation.
Depuis un mois, les joueurs de Leeds apprivoisent les méthodes et habitudes d'El Loco, pardon, du « Crazy One », qui s'est infusé l'intégralité des 51 matches disputés par sa nouvelle équipe la saison dernière. « Ça a dû être le pire paquet-cadeau de sa vie, il a dû tomber en dépression ! » plaisante Chris South, un retraité supporter d'United. Le milieu Kalvin Phillips a testé l'appétence de l'entraîneur argentin pour les changements de poste : il s'est retrouvé dans une défense centrale à trois contre Las Palmas. « J'étais surpris qu'on me le demande mais ça n'a ne m'a pas dérangé », explique-t-il.
Le style de jeu exigé ? Pas de surprise : « La meilleure façon de jouer, c'est au sol, à un rythme élevé, en passes courtes, poursuit Phillips. Bielsa souhaite que tout soit fait à la perfection. Si c'est le cas, impeccable ; si ça ne l'est pas, il te le fait remarquer. On doit être à 100 % tout le temps et dès qu'on lâche l'accélérateur, il s'en aperçoit. À domicile, il ne veut pas que nous laissions la balle une seconde à l'adversaire. Je ne pense pas que beaucoup d'équipes seront à notre hauteur au niveau de la forme physique cette saison. » Mais attention : celle-ci est redoutable par sa longueur, avec ses 24 équipes et ses 46 journées (hors play-offs)...
À son arrivée, Bielsa a rapidement instauré des doubles sessions d'entraînement, toujours précédées d'une présentation vidéo détaillée du travail à accomplir. Et on sait que sa vision de l'apprentissage dépasse le strict cadre du terrain. Mais rayon nutrition, il donne parfois le mauvais exemple. Après le match amical à York (1-1), le 19 juillet, des supporters ont eu la surprise de le voir débarquer sur une aire d'autoroute, à Poppleton. Il se rendait au McDonald's.