De sa première conférence de presse donnée les yeux baissés à son départ au soir de la première journée, Marcelo Bielsa a accumulé les détracteurs lors de son court mais riche passage par la Ligue 1. Avant de tourner la page d'une année dont El Loco a été un personnage clivant, voici sept raisons qui lui ont valu l'inimitié d'une certaine France.
1. Partir après la première journée
« Je viens de démissionner de mon poste d'entraîneur de l'Olympique de Marseille » . L'annonce, tombée dans la foulée du premier match et de la première défaite de l'OM de la saison, a assommé le Vieux Port, et révolté le gros du milieu de la L1 et des faiseurs d'opinions. Ceux qui se retenaient s'en sont donnés à cœur joie, tandis que les critiques de toujours savouraient leur triomphe, celui d'une supposée raison sur les idées folles de l'hermétique Argentin. Celui d'un certain conformisme surtout, qui veut qu'un entraîneur ait le droit de s'entêter jusqu'à mettre en péril l'équipe dont il a la charge -schéma classique- mais qui ne peut supporter que Bielsa s'en aille en avançant une question de principe, celui de la parole donnée. « Bielsa a manipulé tout Marseille, s'était alors emporté Louis Nicollin dans les colonnes du Parisien. C'est un bon comédien. Il doit déjà être entraîneur du Mexique, non ? » Bah non, en fait ...
2. Ne pas avoir accroché la Ligue des champions
Champion d'automne, en proposant un jeu résolument tourné vers l'avant, l'OM est la bonne surprise de la première moitié de saison. A défaut de titre, la Ligue des champions lui semble promise. Mais les Phocéens vont pourtant tout perdre, ou presque. L'OM termine la saison en quatrième position à quatorze points du PSG. Un résultat à mettre évidemment entièrement sur le dos de l'Argentin. Peu importe la CAN, les blessures de certains de ses pions essentiels, des décisions arbitrales contestables (cf OM-OL), les raisons de l'échec sont simples et univoques : Bielsa a rincé ses joueurs par son exigence démesurée et par son entêtement tactique. Ce qui n'est peut-être pas totalement faux. Mais ce sont aussi ces ingrédients qui avaient fait de l'OM un champion d'automne admiré. Ceux qui raillent chaque fin de semaine l'ennui des matches de L1 ont pourtant préféré ne retenir que le résultat final du Marseille d'El Loco.
3. Ses tactiques venues d'ailleurs
Marquage individuel, 3-3-1-3, style vertigineux : un triptyque conçu par le cerveau d'un véritable dément, assurément. Peu importe que Pep Guardiola l'admire, que Jorge Sampaoli lui voue un culte et ait profité du travail de fond d'El Loco pour faire du Chili une des meilleures sélections de la planète, ou que le Celta Vigo, entraîné par Eduardo Berizzo, autre disciple et ex-adjoint d'El Loco, pointe à la quatrième place de la Liga. Peu importe aussi que les joueurs qu'il a entraînés lui vouent une éternelle reconnaissance pour avoir étoffé considérablement leur boîte à outils de footballeur professionnel. Des Javier Zanetti, Alexis Sanchez, Javier Mascherano, Diego Simeone, Mauricio Pochettino, Javi Martinez, Gabriel Batistuta… En résumé, une belle brochette de truffes. Pour jauger ce que vaut El Loco, mieux vaut évidemment se référer au résultat d'OM-Lorient (3-5) et à l'avis tranché de l'alpiniste, Pascal Dupraz, pour qui « Bielsa se moque du football » .
4. Il ne regarde pas en face
Son attitude prostrée en conférence de presse a surpris et choqué. Lui l'a expliqué par son manque de maîtrise du français. Cela fait peut-être sens pour lui, même si cela est difficile à comprendre et va à l'encontre d'une convenance sociale basique, que l'on soit en France ou en Argentine. Cela ne devrait toutefois pas constituer un pêché capital, puisque les conférences de presse de Bielsa étaient sans doute les plus riches données depuis longtemps par un entraîneur de L1 : du jeu, du jeu, et encore du jeu, mais peu de petites phrases pour faire les grands titres. Ses conférences étaient les plus longues aussi. Mais au-delà de son attitude, Bielsa s'est aussi mis une partie de la presse à dos pour ne pas accorder d'entretiens individuels. Cela n'avait pourtant rien de nouveau, puisqu'il s'agit de sa politique depuis 1998, adoptée par souci d'équité envers les divers médias et aussi pour être lassé de voir certains de ses propos déformés. Inspiré par Bielsa, Pep Guardiola a d'ailleurs adopté le même mode de relation envers la presse. Mais, lui, lève la tête...
5. Ne pas faire jouer Doria
Ce n'était pas son choix. Il ne s'est pas privé de le dire et peut-être de le faire payer au jeune Brésilien. Bielsa était alors accusé de faire passer son orgueil au-dessus des intérêts du club. Quoi qu'il en soit, et même s'il faut se garder de tirer des conclusions définitives sur les premiers pas d'un joueur sud-américain en Europe, ce que réalise Doria depuis son départ pour Grenade tendrait plutôt à donner raison à l'homme de Rosario. Mais l'essentiel est ailleurs. Car si Bielsa a snobé l'espoir du Sao Paulo FC et engagé un Lucas Ocampos qui peine encore à s'imposer, il a surtout notablement valorisé son effectif. Car, comment penser que les Payet, Thauvin, ou Imbula auraient renfloué à ce point les caisses de l'OM, sans le travail de fond d'El Loco ? Et pour combien Gignac aurait-il été transféré si l'OM n'avait pas échoué à le faire prolonger ?
6. Il n'a rien gagné
Amnésie ou eurocentrisme exacerbé, il était courant d'entendre sur les antennes que Marcelo Bielsa n'avait « rien gagné » . Bielsa a pourtant remporté trois championnats d'Argentine (avec Newell's Old Boys et Vélez Sarsfield), dont deux avant l'arrêt Bosman, autrement dit lorsque cette compétition était encore peuplée par une bonne partie des talents exceptionnels que met au monde cette nation essentielle à l'histoire du football. El Loco a aussi glané une médaille d'or olympique, un tournoi à l'importance marginale, mais que l'Argentine n'avait jamais remporté avant 2004. Il y eut aussi des échecs cinglants dans la carrière de Bielsa, notamment avec l'Albiceleste, mais en général, il a su maximiser le potentiel des équipes dont il a eu la charge et son retour est désiré par les supporters : au Chili, au pays basque, ou au Mexique. Ce formateur dans l'âme a aussi refusé des offres de l'Inter Milan ou du Real Madrid, des clubs où les trophées sont d'un accès plus aisé. Mais il n'a clairement pas gagné trois Ligue 1 comme Paul le Guen ou une Ligue des champions comme Roberto Di Matteo ...
7. Etre adoré des supporters
Et si cela était le pire de ses crimes ? Malgré les critiques des Courbis, Dugarry, et autres… Moscato, le peuple marseillais, dans sa grande majorité, n'en a pas démordu. Il aimait El Loco et il l'aimera. Car Bielsa est l'homme qui avait redonné sa fierté au club, en ramenant l'OM vers les sommets, au moins temporairement, tout en proposant un jeu ambitieux. Le Vélodrome vibrait à nouveau, rassasié par l'orgie de jeu proposé, et ce, malgré les résultats en déclin du second semestre. Au-delà de l'entraîneur, Marseille aimait aussi cet homme qui osait s'opposer publiquement à ses dirigeants, et qui communiquait directement avec les supporters. Un homme rigide à l'extrême mais surtout intègre, et qui, malgré son hermétisme de façade a toujours donné des signes sur l'importance qu'il accordait à la ferveur populaire qui escorte l'OM. Bielsa ne venait pas faire le job, il venait tout donner pour l'OM. Mais le gros du microcosme des consultants-débatteurs a fini par dépeindre El Loco comme un leader populiste qui bernerait un troupeau trop naïf. En somme, comme une imposture…
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