Il aurait dû signer son nouveau contrat lundi ou mardi derniers. Au lieu de ça, Marcelo Bielsa est rentré chez lui, à Rosario, après avoir vidé son bureau et sa chambre du centre d’entraînement, dimanche matin. La veille, après le couac face à Caen (0-1), il avait pourtant commencé sa conférence de presse comme si de rien n’était. Explication tactique, programme de la semaine à venir… Soudain, le ton a changé. Son interprète a commencé à lire une lettre tapée à l’ordinateur, au moment précis où Diego Reyes, son homme à tout faire, en portait une copie au président Vincent Labrune. Une lettre de démission. Le début d’un incroyable séisme, pourtant pas totalement imprévisible.
La terre avait commencé à trembler trois jours plus tôt. Mercredi en fin d’après-midi à la Commanderie, le directeur général Philippe Perez, Igor Levin, l’avocat russe de Margarita Louis-Dreyfus, et Marcelo Bielsa se retrouvent pour mettre la dernière main au nouveau contrat de l’Argentin. MLD venait d’accéder à la dernière demande de l’entraîneur qui a ramené le spectacle et la paix au Vélodrome : lever la condition suspensive (au moins la 4e place de L1) pour une saison supplémentaire en 2016-2017.
En préambule, Levin rappelle le gros effort que représente ce contrat estimé à 400.000 € par mois, le plus élevé jamais proposé à un joueur ou à un entraîneur par l’OM. Même si les trois parties tombent d’accord, Bielsa sort contrarié. Personne n’ose lui demander pourquoi, par habitude : « L’interroger, c’est l’incommoder », déplore l’un de ses interlocuteurs réguliers au club. Par précaution, Perez alerte toutefois Labrune. Mais le lendemain, jeudi 6, Bielsa donne sa première conférence de presse de la saison. Tout en rondeur, il loue même le travail de son président pendant le mercato. Mais, derrière les apparences, le psychodrame couve.
Bielsa a pris la décision de partir. Il rédige sa fameuse lettre, informe son préparateur physique Jan Van Winckel, l’un de ses principaux relais, dont le départ pour le Golfe sera annoncé jeudi soir. Même à deux jours de l’ouverture de la saison, la direction ne veut pas s’inquiéter. Après tout, d’autres adjoints (Ever Demaldé et les frères Torrente) étaient déjà repartis en Amérique du Sud. Autour du coach, ils ne sont pourtant plus que trois. Au club, certains salariés n’ont jamais su le nom de l’analyste vidéo qui passait son temps enfermé dans un bureau sombre à ingurgiter des matches à la chaîne.
En quinze mois, Bielsa a reçu plusieurs visites discrètes de sa femme et de leurs deux filles. Mais, au club, il a refusé de créer des liens, sauf une fois : au printemps 2014, avant même de signer son premier contrat, il avait demandé qu’on lui trouve une invitation pour le Grand Prix de Monaco. Au salarié qui a déniché le précieux sésame, Bielsa a offert un joli porte-cartes en cuir. Mais il n’a pas souhaité partager avec lui sa passion pour la F1. « À ses yeux, regrette l’intéressé, une simple discussion aurait été perçue comme de la corruption. » « On dit qu’il est fou, je dirais plutôt qu’il est un pervers polymorphe, a analysé le pédopsychiatre Marcel Rufo cette semaine dans La Provence. Un grand manipulateur pervers ! »
La page s’est tournée pour de bon dimanche matin, après un adieu bref et froid au staff restant et aux joueurs, comme nous le raconte Romain Alessandrini (lire ci-contre). Bielsa a restitué la voiture et le téléphone prêtés par le club. Il avait déjà rendu les clés du meublé qu’il louait à la semaine les rares nuits où il ne dormait pas au centre d’entraînement. « Abasourdi » dans la nuit de samedi à dimanche, Labrune a vite repris ses esprits. D’abord en confiant naturellement l’intérim à Franck Passi, l’adjoint français de Bielsa, mieux que son traducteur. El Loco a laissé à « el local » un planning numérique de la saison, détaillée jour par jour jusqu’au soir du dernier match en mai !
Une décision approuvée par les cadres du vestiaire car « Passi a toujours été un recours psychologique pour ceux qui allaient mal, comme pour ceux qui allaient trop bien », note un habitué du club. Ensuite, Labrune a vite pris contact avec Jürgen Klopp, son premier choix. L’ancien entraîneur de Dortmund l’a lui-même rappelé mardi après-midi. Un coup de fil courtois mais court : l’Allemand ne souhaite pas sortir de son année sabbatique. Labrune a rencontré d’autres candidats. On lui a prêté aussi un échange avec le tout-puissant agent Jorge Mendes. Une certitude : en soixante-douze heures, il a reçu les offres, par e-mail ou de vive voix, d’une trentaine de mercenaires du banc (Antic, Leekens…) ou de techniciens inaccessibles (Capello). L’enveloppe consacrée à la rémunération du futur entraîneur et de ses adjoints, deux ou trois dans l’idéal, est pourtant confortable, de l’ordre de 10 millions d’euros !
En public, Labrune a fait de son mieux pour rassurer. En trente minutes de conférence de presse, jeudi, il ne s’est dit « ni en colère ni inquiet ». Sur le fond, pas grand-chose. Il a été davantage bousculé par les représentants des associations de supporters, convoqués à la cafétéria de la Commanderie pendant une heure et quart. « Il a continué à nous jouer du pipeau », persifle un participant.
On lui a reproché son absence lors de la réunion fatidique du mercredi précédent ? Labrune s’est défendu en expliquant qu’il négociait avec un joueur (Jonathan de Guzmán, milieu de Naples) et bossait dix-huit heures par jour. « Ce n’est pas assez ! Président de l’OM, c’est 24 heures sur 24, 365 jours par an », lui a renvoyé Christian Cataldo, président des Dodgers, sous les rires moqueurs de ses collègues. « Margarita ne sert à rien », s’est énervé un chef de groupe avant de s’interroger pour la énième fois sur la vente du club. « Mais on ne trouve personne pour l’acheter ! », s’est cabré Labrune.
Il a promis deux recrues et un coach, donc. Son cinquième entraîneur en quatre années de présidence. Va-t‑il privilégier l’expérience des Italiens Prandelli ou Mazzarri, voire de l’Espagnol Michel, qui ont tous dépassé la cinquantaine, ou les idées neuves d’un Montella (41 ans) ? Ses interlocuteurs sont persuadés qu’il finira par maintenir Franck Passi, nettement moins cher, lui qui parle avant tout « économies » et « autofinancement ».
Avant de tourner les talons dans les entrailles du Vélodrome, samedi soir, Bielsa l’a abandonné sur ces derniers mots énigmatiques, qui sonnent comme une mince consolation à la rupture : « Vous êtes le seul président avec qui je ne suis pas parti fâché ! » g