Information
Bielsa, les dessous d'un départ
Samedi soir, l'Argentin a démissionné de son poste d'entraîneur de Marseille au bout d'une seule journée de Championnat. Retour en questions sur l'un des plus puissants séismes de l'histoire du club.
POURQUOI BIELSA A-T-IL CLAQUÉ LA PORTE ?
Très précis lors de sa fameuse conférence de presse du 4 septembre 2014, où il avait descendu le mercato estival de ses dirigeants, l'entraîneur argentin a été beaucoup plus énigmatique, samedi soir, au moment d'expliquer les raisons de sa démission. Bielsa date la rupture à mercredi soir, après une réunion entre lui, Philippe Pérez, le directeur général du club qui a géré toutes les questions financières sur le mercato cet été, et Igor Levin, l'avocat new-yorkais de l'actionnaire Margarita Louis-Dreyfus. Que s'est-il passé lors de cette réunion, qui devait sceller sa prolongation de contrat jusqu'en 2017 ? « Nous avions un accord sans fissure, a indiqué le technicien argentin sans entrer dans les détails. Il n'y avait rien d'autre à revoir. Mais lorsqu'il y a des changements après un accord, on ne peut plus avoir la même confiance. »
Lors des négociations, débutées en mai, Bielsa, qui sait aussi parler d'argent quand il le faut, avait obtenu tout ce qu'il désirait sur le plan financier, même si l'objectif sportif, le podium, n'avait pas été atteint. Concrètement, son nouveau contrat prévoyait une augmentation de salaire de 25 % pour lui (il touchait environ 300 000 euros brut mensuels la saison dernière) mais aussi sur l'enveloppe consacrée à son staff. Sur le plan sportif, ses dirigeants, soucieux de ne pas commettre les mêmes erreurs que l'an passé, avaient pris bien soin de valider avec lui toutes les arrivées et tous les départs.
Bielsa a reconnu lui-même que le désaccord n'était pas d'ordre financier ou sportif. Il est donc lié à quelques détails à la marge. « Dans son contrat, Marcelo avait une liste de desiderata un peu baroques pour un avocat qui vient de New York, indique-t-on dans l'entourage du club. Il y avait certaines questions que se posait Margarita et qui demandaient des éclaircissements. » Durant l'entretien, Igor Levin a donc abordé plusieurs sujets très précis comme celui, par exemple, des salaires ou des avantages en nature des frères Diego et Javier Torrente. Les deux Argentins ont quitté le staff de l'OM cet été. Bielsa demandait pourtant que leurs émoluments, plus les 25 % d'augmentation, soient reversés sur son salaire. Il exigeait aussi de récupérer leurs deux voitures de fonction, leurs indemnités de loyer, leurs billets d'avion et même leurs téléphones. « Les avantages personnels de chaque salarié doivent être justifiés, indique-t-on au club. Ces questions n'étaient pas posées pour revenir sur ce qui avait été négocié mais pour mettre un cadre légal à tout ça. »
L'avocat de MLD a aussi insisté sur la reconduction automatique de son contrat à l'issue de la saison. À la base, les dirigeants marseillais voulaient qu'elle soit soumise à un impératif de résultat (la quatrième place). Mais ils avaient fini par céder à Bielsa, qui ne voulait pas d'une telle clause et qui l'avait fait enlever il y a deux semaines. Le fait d'aborder ces sujets a-t-il été une maladresse ? Il semble en tous cas qu'el Loco se soit braqué. « Je n'ai pas de justifications à donner », a-t-il souvent répondu quand il n'écoutait pas sans rien dire.
SA DÉMISSION éTAIT-ELLE PRÉMÉDITÉE ?
Le soir même de cette réunion, le technicien sud-américain a écrit sa lettre de démission, qu'il n'a donnée que samedi à ses dirigeants. Le courrier n'a pas été remis en main propre. C'est l'un de ses adjoints, Diego Reyes, sur le départ lui aussi, comme tous les Sud-Américains, qui l'a apporté à Luc Laboz. Le directeur général adjoint, qui maîtrise l'espagnol, s'est chargé de la traduction auprès de Labrune au moment même où Bielsa était en train d'annoncer sa démission. El Loco cherchait-il un prétexte pour quitter l'OM ? Sans être totalement affirmatif, on peut simplement se poser la question, en repensant rétrospectivement à quelques détails troublants.
En fin de saison dernière, le technicien sud-américain avait parfois évoqué auprès de ses plus proches adjoints son intention de quitter Marseille. Ces dernières semaines, cette hypothèse était revenue aux oreilles de certains dirigeants de clubs européens comme ceux de Leicester, qui avaient tenté d'attirer l'entraîneur argentin avant de faire signer Claudio Ranieri. Ils avaient même utilisé cet argument auprès du milieu défensif Ngolo Kanté pour le convaincre de signer en Angleterre et pas à l'OM. Mais Bielsa, malgré ses vacances décalées, était revenu à Marseille le 6 juillet et semblait plus motivé que jamais. Depuis sa conférence de presse de jeudi, où il n'a rien laissé transparaître de ses intentions, on sait que l'Argentin peut être un bon comédien.
OÙ VA-T-IL REBONDIR ?
Le sentiment de trahison est fort chez les dirigeants marseillais, même si le travail accompli par Bielsa depuis un an pour structurer le club est reconnu. S'ils ne s'opposeront évidemment pas à la démission de l'entraîneur argentin, ils ne lui feront pas de cadeau non plus. « Avant les règlements de compte, l'urgence est de trouver un entraîneur, confie-t-on au club. Mais nous avons des avocats qui se feront un plaisir d'étudier la situation contractuelle. » Car el Loco est toujours lié à l'OM pour un an, avec un salaire au minimum de la charte (environ 19 000 euros). Cela ne représente pas une somme folle à payer si jamais Marseille lui réclame des indemnités. Mais, pour le principe, le club ne devrait pas lâcher. Après le séisme, l'ex-entraîneur olympien est revenu à la Commanderie hier matin vers 9 heures, pour dire un dernier mot à ses joueurs (voir page 4). Arrivé après eux, il s'est adressé à son effectif pendant quelques minutes avant de quitter le centre d'entraînement un peu après 9 h 30. À leur sortie, après le décrassage dirigé par le préparateur physique Pieter Jacobs, les Marseillais qui se sont arrêtés (Lemina, Rekik, Romao) pour faire des photos avec la quinzaine de supporters présents n'ont souhaité faire aucun commentaire sur le départ de leur entraîneur, ni sur le contenu de cette dernière entrevue. Ils sont au repos aujourd'hui et reprendront l'entraînement demain avec Franck Passi, pour préparer le déplacement à Reims, dimanche. Bielsa, lui, a déjà repris l'avion, probablement pour l'Amérique du Sud. Avant de signer au Mexique, où le poste de sélectionneur l'attend ? « Je ne pars pas d'ici pour aller ailleurs, a assuré samedi el Loco, que l'Arabie saoudite voulait aussi enrôler au printemps. Je n'ai parlé à personne de la Fédération mexicaine. » Son ancien préparateur physique, Jan Van Winckel, qui a quitté l'OM deux jours avant lui, était pourtant inquiet depuis quelque temps devant le nombre de coups de téléphone reçus par Bielsa en provenance du Mexique. Sur ce sujet-là également, l'avenir proche nous dira si el Loco a été un formidable illusionniste.