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ABOU DIABY, L’IMPATIENT DE L’OM
Il est resté dix-huit mois sans jouer une seule minute. Aujourd’hui, l’ancien Gunner, réparé, se dit prêt. BAPTISTE CHAUMIER ET MATHIEU GRÉGOIRE
« Tous les voyants sont au vert ! » Avec une grande douceur, Abou Diaby a annoncé, hier, dans l’amphithéâtre de la Commanderie qu’il était « prêt à jouer ». Trois mots qui valent tous les Ballons d’Or du monde pour un garçon martyrisé par les blessures : près de quarante-deux en moins d’une décennie. Retour sur huit mois de reconstruction.
Le challenge « humain » de l’OM
En fin de contrat à Arsenal en juin dernier, Abou Diaby, vingt-neuf ans, n’est pas prolongé. Un crève-cœur pour Arsène Wenger, admiratif de ses qualités de footballeur et qui compatit à tous les soucis dont il a été victime. Le milieu relayeur reçoit des propositions de plusieurs clubs anglais et de l’OM. West Bromwich Albion pense même, un temps, emporter la mise : le joueur est venu visiter les installations et rencontrer Tony Pulis, le manager. Fin juillet, Diaby a rendez-vous dans un palace parisien avec Richard Garlick, le responsable du recrutement de WBA, pour signer son contrat. Vincent Labrune, le boss de l’OM, lui demande de décaler de 24 heures et l’invite à découvrir la Commanderie. Accompagné de son agent, Diaby visite les installations marseillaises – d’un autre niveau que celle du club de la périphérie de Birmingham – et se pose à la cafétéria. C’est alors qu’arrive Marcelo Bielsa, qui vient se faire un café et zappe le joueur. Franck Passi rattrape le coup, prévient l’entraîneur argentin qui, plus formellement, saluera Diaby, avant que l’adjoint joue ensuite le guide.
Autre atout dans le jeu de l’OM, la qualité de son staff médical. Diaby s’entretient longuement avec le Dr Christophe Baudot avant de se décider. La réputation du médecin est un argument supplémentaire : il dirige une clinique du sport à Bordeaux, où de nombreux sportifs (joueurs de Premier League compris) viennent consulter. La proposition financière marseillaise n’est pas du niveau de celle de West Brom’, même si elle a une structure identique : une partie fixe avec des primes au match joué. À Marseille, il toucherait un salaire minimal, inférieur même à la médiane en Ligue 1 (environ 40 000 euros brut) alors qu’il percevait 3,5 M€ net annuels, hors primes, en Angleterre, avec des primes selon le nombre de matches disputés (à environ 30 000 € la rencontre, selon des sources internes au club). « Financièrement, West Brom’ proposait plus, explique le président Labrune. Mais nous avons martelé notre message : ‘‘Abou, nous voulons te remettre sur pied en tant que joueur, et en tant qu’homme. Avec zéro pression pour toi, juste de l’affect. Si tu as joué zéro match en fin de saison, ce n’est pas grave.’’ La satisfaction de le remettre sur le terrain sera cent fois supérieure à l’éventuelle déception qu’on éprouvera s’il ne rejoue pas. On lui a offert un challenge humain, Abou a pris les risques financiers. »
Le soutien pudique de Diarra
La signature de son ami Lassana Diarra est un autre élément important dans sa décision. « C’est un honneur pour moi de jouer avec lui », dit Diaby avec tendresse. « Les deux projets ont été portés de façon indépendante, même s’ils ont fini par coïncider, précise Labrune. Pendant le ramadan, je discutais en pleine nuit avec “Lass”, puis avec Abou, ou l’inverse. Un jour, Abou a plaisanté : “Avoir l’idée de nous réunir… Je ne te connais pas, mais tu es un grand illuminé !” À la fin, il fallait jouer la transparence. » Au crépuscule des négociations, Diarra a eu quelques mots pour finir de convaincre Diaby. Ils ont ensuite partagé le même hôtel à leur arrivée à Marseille, le Novotel avenue de Saint-Menet, tout près de la Commanderie. L’ancien du Real Madrid est un soutien permanent, mais il ne mélange pas l’intime et le professionnel. « Ils ont une bienveillance naturelle l’un envers l’autre, comme deux frères, confie un membre du staff. C’est une relation rare, surtout pour deux joueurs qui pourraient être concurrents au même poste. Diarra est très pudique sur Abou, il vient faire de la récupération à ses côtés, dans l’ombre, avec un respect infini. Lui aussi était en haut de la falaise, en début de saison, et il a sauté. Il ne va surtout pas presser Abou avec des propos déplacés, mal interprétés. » Diarra, lui, s’est épanché début février, en douceur : « On va le laisser revenir. C’est la chose la plus importante. Retrouver ses sensations, le plaisir de pouvoir jouer parce que je suis passé par là aussi. Quand il aura retrouvé tout ça, ça va faire mal. Le terrain va parler pour lui. »
Une réparation totale
À son arrivée dans le groupe, fin juillet, Diaby sait déjà qu’il ne reprendra pas la compétition avant plusieurs semaines. Il revient d’un séjour au Zénith Saint-Pétersbourg, où il s’est entraîné avec Eduardo Santos, le physiothérapeute du club russe qui a retapé David Luiz (Paris-SG) en quelques jours au printemps 2015. Diaby n’a pas sa chance, il est victime, là-bas, d’une nouvelle blessure musculaire, à un mollet. Il est irrité de la publicité que s’offre le médecin brésilien sur son dos mais, trop poli pour le dire, laisse l’OM et le Dr Baudot réagir par un communiqué acéré. Le médecin est inquiet : en assurant que Diaby est prêt à tout casser en L 1, Santos met une pression d’enfer au joueur et au staff, qui table plutôt sur une grosse douzaine de matches pour cette première saison olympienne. Après des examens poussés, la cellule médicale échafaude un planning de reprise progressif, avec des séances de travail en salle et des sorties sur le terrain. Seul, puis avec le groupe. Michel, entraîneur souple, valide ce programme, qui comprend de nombreux allers-retours entre séances avec le groupe pro et infirmerie. Il faut reconstruire le corps de Diaby, victime de multiples lésions musculaires au fil des années en Angleterre, expliquer chaque blessure, faire le deuil de chaque cicatrice. La coopération du staff médical d’Arsenal, qui a envoyé son dossier dans son intégralité, est décisive. Diaby revoit de nombreuses personnes qui ont collaboré avec lui, comme l’entraîneur Renaud Longuèvre, entraîneur national d’athlé à l’INSEP, qui vient à la Commanderie pour plancher sur l’amplitude de sa foulée. Le joueur s’envole pour l’Allemagne, à la rencontre de l’ancien médecin du Bayern Munich, Hans Wilhelm Müller-Wohlfahrt. Baudot, le kiné Jérôme Palestri, les ostéopathes Gilles Davin de Marseille et Thierry Cambon de Montpellier sont aux petits soins. Un dentiste lui est même attitré. Pour consolider ses muscles, il s’éreinte sur les machines spécialisées dont s’est doté le club à coups de dizaines de milliers d’euros ces dernières années, passe de la piscine et du vélo aux exercices isocinétiques (efforts à vitesse constante). Des tests sanguins, salivaires et de force, permettent d’avoir des marqueurs précis sur son état de forme et de guetter les rechutes. Pour affiner le diagnostic et déceler les failles restantes, dans ses mollets notamment, il s’est aussi rendu à plusieurs reprises dans la clinique de Baudot à Bordeaux. Le médecin est un soutien moral pour l’international, les deux hommes grimpent des cols, vont se baigner ensemble dans un océan glacé, s’envoient des SMS dès 6 heures du matin.
Un calendrier affiné
Diaby a participé à son premier entraînement collectif, le 10 septembre dernier, mais son retour à la compétition a été repoussé au moins à quatre reprises. Dans ses plans les plus optimistes, le staff technique s’était fixé le Classique face au PSG (1-2, le 4 octobre) comme objectif. De manière plus raisonnable, il avait ensuite été envisagé de lancer Diaby pour un match moins exposé médiatiquement, face à Nîmes, en amical à la Commanderie, le 9 octobre. En raison de petites complications, le décollage de la fusée Diaby est différé. Il continue ses consultations, se dote de crampons sur mesure, intègre davantage de séances, il dispute même sa première opposition fin décembre. Le trente-deuxième de finale de Coupe de France face à Caen (0-0, 3-1 aux t.a.b.) est coché dans l’agenda. Diaby revient de vacances deux jours avant ses coéquipiers mais une grippe a, une nouvelle fois, raison de ses plans. Entre-temps, son nom n’a pas été inscrit par Michel sur la liste envoyée à l’UEFA pour la Ligue Europa, le coach lui-même le regrettant ensuite, compte tenu de ce qu’il peut désormais observer à l’entraînement. Et si Diaby a pu être déçu de cette décision, il est maintenant prêt à débuter, il l’a affirmé au staff dès la fin janvier. « À Arsenal, il rejouait avec l’angoisse de se re-péter, cette appréhension a disparu », confie un proche. Le staff de l’OM est plus prudent, il lui a rabâché une chose : il est désormais un joueur lambda qui peut se blesser aux ischio-jambiers comme les autres, pour quelques jours, mais il n’est plus un patient hors normes aux pépins graves. Convoqué pour la première fois dans le groupe face à Trélissac (2-0, le 11 février), en Coupe de France, il aurait dû entrer en jeu contre Saint-Étienne (1-1), dix jours plus tard, mais les circonstances du match ne l’ont pas permis. Programmé pour Granville (1-0), le 3 mars, il fait une petite rechute quelques jours avant et Michel s’agace de l’avoir déclaré prêt. Pour éviter une crise de nerfs, le staff médical et Franck Passi décident d’une reprise progressive, via la CFA de l’OM.
Le respect du vestiaire
Batshuayi ou Nkoudou le répètent à l’envi : adolescents, ils prenaient Abou Diaby dans leur équipe à la PlayStation. Son niveau à l’entraînement, dans la vraie vie, a souvent épaté les jeunots du groupe, tout comme sa modestie et sa patience. Aussi réfléchi que Diaby, Mandanda s’est rapproché de lui depuis plusieurs mois. Le plus beau témoignage vient d’un jeune défenseur camerounais de vingt ans, Brice Nlate. En décembre 2014, cet espoir de l’OM, qui venait d’intégrer les séances de Bielsa, s’est fracassé les genoux sur le tableau de bord d’une voiture lors d’un accident de la route à Yaoundé. Les médecins l’ont dit perdu pour le foot. Après plusieurs opérations à la Timone et des mois de rééducation, il a commencé à côtoyer Abou Diaby l’été dernier. Balnéo, vélo, exercice à base de plots, machines attendrissant le quadriceps… ils ont tout fait ensemble. « Abou est une source d’inspiration, confie Nlate. Pendant des mois, il m’a dit : “Tu es encore jeune, il ne faut jamais baisser la tête. Moi, j’ai confiance en toi, alors tu dois croire en toi.” Il y avait des semaines où les douleurs étaient sévères, le moral en baisse, et je voyais toujours Abou avec son petit sourire. Lui aussi, il avait mal, mais tu ne pouvais pas savoir quand. Il le cachait, vannait. C’est un mec formidable. » Souvent, après les séances, Abou a déposé Brice chez lui, car ce dernier n’avait pas le permis. Le soir, les deux hommes, très pieux – le premier musulman, le second catholique – ont prié l’un pour l’autre. Brice, qui a retrouvé le chemin de l’équipe réserve, espérait qu’Abou viendrait le voir. Il ne se doutait pas que la CFA marquerait la fin du calvaire pour Diaby et le début d’une parenthèse enchantée que tous espèrent la plus longue possible.