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THAUVIN, COTE EN STOCK
Les offres des cadors européens pour s'attacher les services du champion du monde, auteur d'une excellente saison 2017-2018, ne sont pas venues. Son aura peine à dépasser Marseille. De notre envoyé spécial permanent
Mathieu Grégoire (avec Ba. C., V. G. et M. Go.) Un paradoxe. Pourquoi les autres et pas Florian Thauvin ? Lors des derniers mercatos, des grands talents évoluant à un poste similaire ont quitté la Ligue 1 : les Monégasques Bernardo Silva (24 ans, à Manchester City, 50 millions d’euros hors bonus) et Thomas Lemar (22 ans, à l’Atlético de Madrid, 72 M€), le Bordelais Malcom (21 ans, au FC Barcelone, 41 M€). Pour le Marseillais, ce fut le calme plat.
Après l’échec de la piste Malcom à l’AS Rome, Cyril Rool, qui gère les intérêts du Marseillais avec Jean-Pierre Bernès, a sondé le directeur sportif du club italien, Monchi. Le projet est resté au stade de l’ébauche. Auteur d’une dernière saison tonitruante, avec 22 buts et 11 passes décisives en Ligue 1, champion du monde le 15 juillet, Thauvin se révèle toujours d’une redoutable efficacité, avec 6 buts en 7 journées. Peut-il renverser la tendance et séduire à l’étranger ?
Le raté de Newcastle
Six mois dans la grisaille ou, plutôt, le noir complet. Le passage raté de Thauvin à Newcastle United (2015 - janvier 2016) a marqué les mémoires dans les clubs européens. « Il a été titulaire au départ et l’équipe tournait vraiment mal, il a ensuite perdu sa place sans rien apporter quand il entrait en jeu et, même s’il est parti au mercato d’hiver, il fait partie de l’équipe qui a fait descendre Newcastle. Du coup, les doutes restent », confie un directeur sportif européen passé par la Premier League. « De Bruyne et Salah n’ont pas réussi à percer dans un premier temps en Angleterre, mais c’était à Chelsea et non à Newcastle », ajoute le directeur sportif d’un bon club espagnol. Michel Rablat, recruteur pour Everton, est plus dur : « I l ne fait pas l’unanimité du tout en Angleterre. Il n’a pas bonne presse. Je peux vous confirmer qu’il n’a eu aucune offre cet été en Premier League. Cela ne me surprend pas. Les recruteurs anglais trouvent qu’il n’est pas décisif dans les gros matches. »
La réputation figée
Les fameux chocs. Une des étiquettes qui collent à la peau de Thauvin et qu’il gratte, petit à petit, malgré une finale de Ligue Europa ratée le 16 mai devant tous les recruteurs du continent (0-3, contre l’Atlético). « Il commence à marquer dans les grands matches, dit Gilles Grimandi, recruteur pour Arsenal. Il n’est pas souvent blessé. Et autant je trouvais son jeu trop brouillon il y a deux ans, autant je le trouve aujourd’hui dans l’efficacité maximale. Je ne le voyais pas atteindre ce niveau-là. Il a un parcours tortueux. Au pôle Espoirs de Châteauroux, déjà, personne ne le voulait, aucun grand centre de formation. Mentalement, c’est un vrai champion. Moi, si j’ai un doute, c’est sur son physique. Il a du volume mais manque un peu de puissance. » Le directeur sportif passé par l'Angleterre avertit : « A ttention aux statistiques sans le ballon, que les plus grands clubs regardent beaucoup : un joueur qui ne court pas assez sans le ballon, donc qui ne défend pas assez pour son équipe, c’est un problème. »
Pour le directeur sportif d’un club italien, « i l est techniquement au-dessus du lot. Il a une très bonne première touche, il a un pied faible, le droit, qui est plutôt fin, et un pied gauche excellent. Peut-être lui manque-t-il un peu de vitesse pour tenter le pari. Un jeune joueur qui va très vite, comme Coman, par exemple, plaira davantage. Thauvin est plus dribbleur, il a longtemps eu un côté trop individualiste, mais cela a changé avec les années. Après, on peut discuter des heures des qualités et des défauts mais, avec les statistiques qu’il affiche, il n’y aura bientôt plus trop de débats. »
Le confort marseillais
Pépite chipée à Lille par Vincent Labrune en 2013 puis exfiltrée de l’OM, Thauvin est revenu par la fenêtre en 2016, alors que les portes étaient fermées. L’ex-paria est devenu un chouchou du public, le Robben local, les cheveux en plus. « Thauvin évolue dans un registre très particulier, confie le scout d’un grand club anglais. On connaît sa spéciale : il rentre intérieur, il enroule pied gauche. Il est très différent d’un Ousmane Dembélé, dont l’imprévisibilité est une force. Reste une question : Thauvin sera-t-il capable de reproduire ce qu’il fait à Marseille dans de très grands clubs ? Il est dans une situation de confort absolu à Marseille, il y a trouvé son cadre. Si on le sort de là-bas, il y a un vrai risque. » Le recruteur d’un club allemand est rude avec la Ligue 1 : « N’oubliez pas que Lacazette venait de boucler une saison de folie à Lyon avant de partir à Arsenal. Ce n’est plus le même Arsenal et il est loin de tout casser là-bas. En France, on a tendance à surestimer le niveau de la L 1. »
Le sachant prophète dans son pays provençal, Grimandi note le besoin urgent pour Thauvin de franchir un palier international : « À bientôt vingt-six ans, c’est très limite, maintenant, pour espérer un “top club”. Le fait qu’il ne joue pas en équipe de France (il compte tout de même 5 sélections), même s’il est appelé, est un problème. Ça conforte les doutes de certains. Payet, qui a été titulaire avec les Bleus, a une cote plus forte que lui. »
Le salaire pesant
Bravache, Jacques-Henri Eyraud déclarait en mai : « 8 0 M€ pour Thauvin ? Je ne regarde même pas. » Les états-majors ne raisonnent pas ainsi, ils prennent en compte l’âge, le potentiel à exploiter, le marketing, l’image à développer et les rémunérations actuelles. Avec le quatrième salaire de l’OM (près de 450 000 € mensuels brut, primes incluses), Thauvin a des revenus coquets. Dans son ascension sportive et financière, il a atteint un plafond de verre. Moins d’une douzaine de clubs peuvent l’acquérir désormais. « Moi, j’aimerais bien l’avoir, mais je ne peux pas, en Liga, seuls les trois gros (Real Madrid, Barça, Atlético) peuvent se l’offrir », confie un directeur sportif en Espagne.
« Comme en sélection, il arrive toujours en troisième ou quatrième position dans les clubs du gotha. C’est un remplaçant de luxe parce qu’à son poste, il y a des joueurs bien plus forts que lui. Il est pour l’instant un deuxième choix international dans les grands clubs, qui ne sont pas prêts à investir 50 à 60 M€ », explique un scout anglais. « J e ne vois pas le “top 6” anglais bouger et ça n’a aucun intérêt pour lui d’aller à West Ham ou Everton », confie un ancien scout de City et Liverpool. Grimandi soupire : « Arsenal était “dessus” lorsqu’il jouait à Bastia et on a traîné, à l’époque. Après, ce n’était plus les mêmes tarifs. Aujourd’hui, à Arsenal, il jouerait. »
Il faut aussi savoir vendre le joueur et, connaissant le peu de réseau international des représentants actuels de Thauvin, des agents renommés ont commencé à s’intéresser au dossier.
L'Equipe