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LES MILLE ET UNE VIES DE THAUVIN
Auteur d'une première partie de saison tonitruante, l'attaquant marseillais est en passe de réaliser son fantasme de toujours : marquer le club marseillais de son empreinte.
Depuis sa chambre d'hôtel à Antalya (Turquie), William Vainqueur ne manque pas un match de l'OM et l'évidence lui saute aux yeux. « Quand il entre sur la pelouse du Vélodrome, c'est comme s'il voulait nous dire à tous : je m'appelle Florian Thauvin et c'est moi le boss de l'OM, sourit l'ex-milieu marseillais. Il confirme sa belle saison dernière, mais ce n'est plus le jeune premier. Il a ses habitudes. Il est chez lui. » Le dernier chapitre d'une carrière mouvementée, l'épilogue provisoire du récit d'un garçon qui fêtera en janvier ses vingt-cinq ans, après avoir été qualifié de pépite, de paria, de sale gosse ou d'idole.
Tout est question de perspective. Pour Bouna Sarr, qu'il surnomme « Bounboun » ou « Sarrinho », « "Flotov" est un exemple de combativité et de persévérance. Il n'était pas au mieux à son retour de Newcastle (sept. 2015 - janv. 2015), il a été pris en grippe par les supporters de l'OM, il s'est battu pour faire sa place. Il a du mérite et c'est pour ça que ses coéquipiers le respectent ». Pour Frank Anguissa, il s'agit d'un mec « incroyable ! On crie tout le temps ''incroyable, incroyable'' dans le vestiaire, on dit que tout est ''incroyable'' ». Pour RodFanni, « c'est le fiston ! Jeune, il voulait s'en sortir par lui-même, en forçant ses dribbles, en fonçant tête baissée, encore plus quand il était fatigué. Je lui disais : "Sers-toi des autres", il écoutait, disait oui, oui, mais s'entêtait. Il était comme un enfant, enfermé dans ses propres qualités, dans sa propre façon de faire. Il a pris une baffe en Angleterre, il se pensait supérieur, mais le talent, ça ne marche pas toujours. Il a simplifié son jeu, s'est appuyé sur l'équipe. Il a mûri, même s'il a failli retomber dans ses travers la saison dernière ».
Quelques mots crus à l'attention de Franck Passi quand ce dernier le reprend devant le groupe, en septembre 2016. Une opposition face au Cameroun à la Commanderie, qu'il observe à peine, le mois suivant ; juché sur un muret, il préfère pianoter sur son smartphone. Un coup de sang dans le vestiaire à Monaco, après un 4-0 cinglant, en novembre. «Bafé (Gomis),comme capitaine, lui a appris à se canaliser, il lui tirait les oreilles quand il le fallait », confie Vainqueur. Gomis est aussi le premier à avoir milité pour un baptême en sélection, ce même automne 2016, quand Thauvin frémit sur son côté droit. Les deux hommes partagent un goût prononcé pour une communication maîtrisée et le même appétit pour conseiller « les petits frères ». « Cela m'a frappé à son arrivée à l'OM : il allait tout le temps vers les plus jeunes, confie Baptiste Aloé, aujourd'hui défenseur de Valenciennes.J'étais introverti, il m'a mis à l'aise. Sous Bielsa, avant certains matches il me disait : "Si tu as réussi à le faire contre Bordeaux (Aloé avait été un titulaire surprise lors de cette victoire), tu peux le refaire."»
L'année Bielsa, la saison 2014-2015, parlons-en. Avant d'aller déprimer pendant six mois à Newcastle, où il se plaignait tous les jours au téléphone de la pluie battante et des schémas brumeux de Steve McClaren, Thauvin a fait l'essuie-glace sur son côté droit, giclant comme un damné derrière, étalant son inefficacité devant.« Bielsa lui avait prédit le destin d'Alexis Sanchez s'il s'accrochait, se souvient le traducteur Fabrice Olszewski. Il aimait Thauvin car il se tuait en défense. Mais il a été déçu car toutes ses louanges, au lieu de le pousser à travailler, ont eu l'effet contraire. » Agacé lors d'une séance, Thauvin insultera son mentor. Après trente et une titularisations en trente-quatre journées, l'Argentin l'oublie pour le déplacement à Metz. Le préparateur physique Jan Van Winckel s'en souvient bien : « Les médias et ses amis essayaient de convaincre Flo qu'il était un faux numéro 9, un second buteur dans l'axe. Il traînait un peu des pieds à l'entraînement, une attitude inacceptable pour le "Professeur". Moi, j'essayais de motiver Flo. Aux yeux du Professeur, j'aurais dû le renvoyer de l'entraînement. Il a décidé de ne pas le convoquer pour le match. Flo avait les larmes aux yeux. On est restés tous les deux à Marseille et il devait faire quatre séances durant le week-end. Je les avais organisées dans les Calanques. Au lieu de s'entraîner dur, on a marché longtemps, on a pris un café et on a parlé de la vie, de son futur, de ses attentes. Un des meilleurs moments de ma carrière. Comme il me faisait confiance, Marcelo ne m'a posé aucune question sur les séances à son retour ! »
Le Belge se souvient aussi «des amendes de la LFP à cause de Flo, parce qu'on revenait trop tard dans le vestiaire après l'échauffement. Il est si perfectionniste qu'il voulait toujours marquer le but ultime avant le match, il continuait à tirer, à tirer jusqu'à ce qu'il soit satisfait de sa frappe… ». Thauvin veut prouver, à tout prix ? L'OM va l'éprouver. « Derrière une apparence assez lisse, il y a de l'ambition et le sens des responsabilités, dit Élie Baup, son premier entraîneur en Provence. À son arrivée, il n'avait pas de préparation physique, il était sifflé dans les stades, mais il n'a jamais montré ses difficultés psychologiques.» Pour Vincent Labrune, «il a cru que ce serait lui le sauveur, et a surtout incarné l'échec sportif. Aujourd'hui, il a quatre ans de plus, l'habit lui convient mieux ». Labrune a l'habitude de croiser Thauvin à Orléans, pendant les fêtes, en compagnie de la mère du joueur. Leur relation est moins intense, mais l'ancien patron est fier «de ces six mois de combat en 2013 pour le ramener à l'OM. Flo a un plan de carrière, il trace sa route. C'est un malin, un opportuniste, mais ce n'est pas un gros mot dans l'univers du foot. Un solitaire aussi, depuis sa rupture avec "tonton Adil", là où la majorité des joueurs ont un entourage pléthorique ».
Tonton Adil, alias Adil Amazzough, boucher parisien de son état, qui l'a accompagné de quatorze à vingt et un ans. Les parents, Brigitte et Charles, sont divorcés et le cadet des deux frères entretient une relation très forte avec sa grand-mère côté maternel, d'origine espagnole.
Jean-Pierre Bernès l'appelle. Il répond : « Non, je ne vous connais pas, désolé ! »
À sa façon, tonton Adil remplit aussi le vide affectif. Ils passent Noël ensemble, à Paris, ils font les quatre cents coups comme deux ados, de Grenoble à Bastia. Un jour de l'été 2013, alors que tous les agents de France tentent de se greffer aux négociations entre le LOSC et l'OM, un certain Jean-Pierre Bernès appelle. « Mais qui êtes-vous ? Non, je ne vous connais pas, désolé ! », répond Thauvin en se gondolant devant Amazzough, puis en prenant l'accent prononcé d'un autre agent, le Belge Roger Henrotay. La Terre entière leur appartient, le meilleur espoir de L 1 de la saison 2012-2013 se proclame plus fort que Griezmann, alors à la Real Sociedad, et il n'a pas forcément tort. « Il répétait : ''Je veux rejoindre les Bleus, je serai à l'Euro 2016'' », se souvient Labrune.
Les enjeux financiers, en termes de droits d'image, deviennent trop importants début 2014 ; le couple Florian-Adil explose. Depuis, Thauvin enchaîne les collaborations plus ou moins folkloriques. Il y a d'abord ce journaliste télé, qui prend le pseudo d'un général romain (Marc-Antoine) pour gérer sa com' au téléphone. Puis un rapprochement, en 2015, via des oiseaux de nuit, avec l'agent Karim Aklil, qui montera son transfert à Newcastle grâce à l'intermédiaire anglais Simon Stainrod. Les deux hommes seront évincés au dernier moment, après l'intervention de Labrune et d'un autre journaliste télé, un intime celui-là, qui rédigera sa lettre d'adieux aux fans de l'OM en août 2015, après lui avoir déjà dégoté le numéro de sa future compagne, Charlotte Pirroni. Dans le même temps, il faut régler des litiges avec Christine, sa propriétaire à Cassis, et Raouf, jardinier qui ne saisit pas trop l'idée d'être rémunéré en crampons et en maillots.
À défaut de les avoir toutes soldées (voir par ailleurs), Thauvin traverse ces péripéties sans se retourner, entouré de Charlotte et de quelques proches, un juriste, un agent immobilier. « Il se sent plus intelligent que la moyenne, il sait être attachant quand il faut l'être, détestable quand il faut l'être », dit un ami. Comme son aîné Steve Mandanda, il reste dans sa bulle, s'inflige des séances supplémentaires avec un coach sportif, met toujours un texto quand il faut aux anciens coéquipiers ("il faut qu'on se voie !'') sans que cela n'engage à rien. Il est courtois, décidé, se séparera de son représentant Fabrizio Ferrari à l'issue de leur contrat, le 1er février 2018.
En juillet, ils ont obtenu une belle revalorisation (415 000 euros par mois jusqu'en 2021), mais Thauvin reste encore loin de l'objectif initial (les revenus de Payet) et se dit surtout déçu par les primes. Pour la suite, Bernès tient la corde et se présente avec le Bayern Munich dans la corbeille de mariage. L'Atlético de Madrid, qui prépare l'après-Griezmann, le suit aussi. Thauvin verra bien, pour l'instant il s'est mis au russe et il fuse côté droit. '