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Thauvin
DE L’AUTRE CÔTÉ DU MÛR
THOMAS SIMON
ÉPANOUISSEMENT. ET SI, À VINGT-QUATRE ANS, LE NATIF D’ORLÉANS AVAIT ENFIN ATTEINT L’ÂGE DE RAISON?
LONGTEMPS PRÉCÉDÉ D’UNE RÉPUTATION DE TÊTE À CLAQUES, L’INTERNATIONAL OLYMPIEN, ÂGÉ DÉSORMAIS DE VINGT-QUATRE ANS, N’EST PAS TOUT À FAIT CELUI QUE L’ON CROIT.
Il y a ce que les apparences disent et laissent penser, sans constamment mentir ni tromper.
Et puis il y a aussi ce qu’elles taisent et laissent caché, pour ne jamais tout dévoiler. Florian Thauvin n’est pas tout à fait celui que l’on croit, ni tout à fait celui que l’on voit mais il est sans doute un peu de tout cela réuni, aussi. Son image et ce qu’il dégage ont longtemps (sup)porté le poids de ses choix, celui d’avoir signé à Lille puis d’avoir refusé d’y jouer pour forcer l’affrontement et rejoindre l’OM. C’est la fin de l’été 2013 et ce gamin d’à peine vingt balais passe alors pour un sale gosse capricieux et prétentieux. Le bruit de son silence se charge d’en amplifier l’écho. Les étiquettes sont vite appliquées et c’est lui qui fournit la colle. « Il en a pris plein la gueule, rappelle José Anigo, directeur sportif du club phocéen à cette époque. Qui ne fait pas de mauvais choix? Qui n’a jamais fait de conneries en étant jeune?» Thauvin est touché mais ne montre rien. Il sait encaisser. Son statut de petit protégé de Vincent Labrune irrite et l’isole. «C’était plus que le chouchou du président, ajoute Anigo, c’était son enfant. Dans le vestiaire, c’était compliqué pour lui. Beaucoup parlaient... Certains ne supportaient pas trop Flo.» Pourtant, tous ceux qui ont accepté de s’exprimer ici à son sujet évoquent «un super mec». Mais une fierté mal placée et une gestion pas toujours évidente de ses émotions l’ont dirigé à plusieurs reprises dans la difficulté. Il la connaît, elle ne l’effraie pas. « Il a un caractère affirmé, poursuit l’ancien dirigeant marseillais. C’est un vrai bon garçon et un vrai bonhomme. Il est surtout opiniâtre. Il ne lâche pas, il a une vraie force, il ne se laisse pas impressionner, prend ses responsabilités et ne fuit jamais, même dans la difficulté.»
POSTER DE NANTES, PLAY-BOY ET KÉKÉ
Le divorce de ses parents lorsqu’il a dix ans puis une fracture de fatigue au dos, appelée lyse isthmique, décelée à l’adolescence et qui aurait dû – selon un médecin consulté à l’époque – le contraindre à faire une croix sur son rêve de passer pro, étaient déjà venus se heurter à sa forte tête. Plus tard, la séparation d’avec son conseiller Adil Amazzough, qu’il a appelé «Tonton» durant les huit années où il l’a accompagné, et la phase de déprime qu’il a traversée à Newcastle, l’ont marqué et encore renforcé. De ces doutes et ces douleurs-là, même en privé, il parle peu. La peur ne se dit pas et les pleurs ne se montrent pas. Il prie parfois, apprend à accepter ses fêlures, à les regarder rester en place tout en parvenant à les détruire en surface. Pour offrir une face plus facétieuse de sa personnalité. « Il aime bien s’amuser, faire des blagues, assure Adrien Ribac, qui l’a connu en benjamins au FCO Saint-Jean-de-la-Ruelle avant de partager son quotidien et sa chambre au pôle Espoirs de Châteauroux, où le joueur de l’OM affichait un poster de Nantes au-dessus de son lit. Il était sérieux mais il aimait bien tailler. On rigolait beaucoup, mais il n’est pas spécial, c’est quelqu’un de normal. Il avait la tchatche, il savait parler aux filles. Au collège, il en avait géré beaucoup, il avait du succès.» Et s’était même permis de «piquer la copine d’un mec de la promo», se souvient Ferris N’Goma, présent lui aussi dans le Berry. «On était allés dans une sorte de camp de vacances à Montpellier et on avait quitté notre chambre après le couvre-feu pour traîner, raconte l’actuel joueur d’Orléans. Puis c’était parti un peu en couilles et on s’était fait courser par des mecs plus âgés. Il y avait un but en face mais on ne le voyait pas et “Flotov” avait couru à fond, droit dans les filets et s’était retrouvé bloqué. Le lendemain, il avait les traces sur le visage. Un des surveillants l’a vu et on s’est fait cramer comme ça. Comme nous, il faisait un peu le dur, le kéké.» Mais, sur le terrain comme en cours, il ne déconne pas. « Il était persévérant et exigeant envers lui-même.
Dès qu’il ratait un truc, il avait hâte de se rattraper. Et à l’école, il se débrouillait bien, il ne voulait pas être ridicule. Et quand ça ne se passait pas comme il voulait, il était têtu et pouvait se mettre à faire la gueule, à bouder. Il n’aimait pas être en retrait des autres.»
206, «TONTON» ET M’AS-TU-VU
De Grenoble à Marseille en passant par Bastia, cette volonté affichée de se montrer a pu le faire passer pour quelqu’un de méprisant et d’arrogant. «Ce n’est pas du tout ce qu’il est, conteste Yvon Pouliquen, qui l’a lancé en L2. Il n’est pas non plus enclin à foutre la merde, ce n’est pas un tordu. Il avait juste tendance à aller vers ceux qui étaient plus exubérants. Par besoin de s’encanailler, d’exister tout simplement, ou de se faire voir.» Comme lorsqu’il se pointe à l’entraînement du GF38 avec le Porsche Cayenne blanc du «Tonton». Son coach en Isère, qui le prend alors entre quatre yeux, rejoue la scène. «Non mais attends, tu viens juste de démarrer en pro, d’avoir le permis, et tu débarques avec ça. Tu ne peux pas, c’est à éviter, ça peut te porter préjudice.» Sur l’île de Beauté, c’est avec une 206 presque épave qui peut caler à tout moment et mettre un certain temps à redémarrer qu’il se fait « remarquer». « Il n’est pas dans le m’as-tu-vu, mais après tout est relatif, il est footballeur professionnel, réplique François Marque, qui a partagé beaucoup avec Thauvin dans la capitale des Alpes puis en Corse et qui le considère comme son “petit frère”. Lorsqu’il a été bon rapidement avec l’OM, c’est peut-être “monté” un peu. Mais c’est vite redescendu. Il n’a jamais pété les plombs, il a la tête sur les épaules. Avant, il aimait profiter et sortir en boîte comme les autres jeunes. Il buvait un peu mais je ne l’ai jamais vu démonté, il profitait mais de façon raisonnable. Il a aussi trouvé un équilibre sur le plan privé, ça lui a fait du bien. Et puis passer par où il est passé, à son âge et à sa place, beaucoup d’autres ne seraient plus là aujourd’hui.» La sentence détient sa part certaine de vérité. Qui peut étonner pour une personne souvent décrite comme facile à influencer. «Je ne sais pas, il a été parfois dans l’euphorie, parfois un peu perdu et il demande beaucoup d’avis, reconnaît N’Goma. Mais ce n’est pas un suiveur! » Juste un jeune homme qui a encore besoin d’être guidé et de se sentir aimé.
«FLORIAN EST UN AFFECTIF, IL ESTTOUCHANT. JE L’AI ADORÉ. NOUS AVIONSUNE RELATION DE PÈRE ET FILS.» FRANCK PASSI, SON ANCIEN COACH À L’OM «IL A BESOIN DE S’ATTACHER»
«Les gens pensent qu’il a la grosse tête, qu’il est imbu de lui-même, c’est faux, assène Franck Passi, qui l’a lui aussi pris sous son aile à Marseille. Florian est un affectif, il est touchant. Je l’ai adoré. Il a besoin de s’attacher.
Nous avions une relation de père et fils. C’est sûrement sa fibre familiale forte qui le pousse à chercher de l’affectivité.» Là-dessus, l’Orléanais reste pudique. « Plus jeune, son grand frère a connu quelques problèmes à cause de son caractère, admet seulement Marque. Du coup, Flo a pris ce rôle d’aîné.»
Tout en cherchant des appuis autour de lui. « Il a besoin d’être rassuré, entouré, de sentir de la confiance, croit savoir Hervé Quentin, son premier entraîneur à Ingré et toujours intime de la famille. Et puis il est fidèle.» Sa trajectoire ne s’est pas écartée de l’ombre des siens mais les fissures et les plaies qui l’ont fragilisé ne semblent pas si éloignées. Elles ont brouillé ce qu’il est. S’il les maîtrise enfin, elles feront celui qu’il sera véritablement demain..