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« Les gens me sous-estiment »
JOEY BARTON, le nouveau milieu de l’OM, explique son choix
de quitter l’Angleterre, où son image sulfureuse ne correspond
pas, selon lui, à ses qualités de joueur.
Le personnel de son hôtel à Marseille le trouve très abordable, et ça tombe bien. Hier soir, dans l’attente d’un coup de fil des dirigeants marseillais, Joey Barton (30 ans demain, prêté par QPR) n’avait pas le droit de quitter les lieux, pour arriver le plus vite possible au centre Robert-Louis-Dreyfus et signer son contrat. Il était en pleine interview quand José Anigo, le directeur sportif, est finalement venu le chercher, vers 20 h 30. « Vous voulez que je revienne après ? », a lancé l’Anglais, affable et drôle. Ça aurait fait tard. Dommage.
MARSEILLE –
de notre envoyée spéciale
« QUE CONNAISSEZ-VOUS du Championnat de France ?
– On n’en voit pas beaucoup en Angleterre. Maintenant, ESPN en passe un peu le dimanche, mais seulement les grandes équipes. Et on les voit aussi en Coupe d’Europe. J’ai vu un peu Marseille l’an dernier, parce qu’ils ont été en quarts de finale de la Ligue des champions, ils ont été éliminés par le Bayern (0-2, 0-2), je me souviens. Je regarde beaucoup le foot, donc j’ai vu un peu ça. Je regarde aussi l’Espagne, l’Italie, même si c’est moins bien qu’avant. Quand j’étais petit, l’Italie me faisait rêver, Gullit, Van Basten, Batistuta… Aujourd’hui, les stars vont en Premier League. Ou au PSG !
– Et vous, vous allez à Marseille…
– Depuis tout petit, je suis le foot. Mon premier souvenir, c’est la Coupe du monde 1990 avec Roger Milla. Je me souviens aussi très bien de Marseille qui gagne la C 1 en 1993 avec le but de Boli contre Milan. Völler, Boksic, Waddle… On a moins vu Marseille ensuite en Angleterre avec Tapie et le scandale des matches truqués. Ils ne passaient plus à la télé. Puis il y a eu Drogba, et ils ont encore fait une finale de Coupe de l’UEFA (en 2004, perdue 0-2 contre Valence CF). Ils avaient joué contre Newcastle en demi-finales.
– Newcastle, votre ancien club.
– Newcastle sera toujours dans mon cœur. City, pas autant. J’y ai joué neuf ans (jusqu’en 2007), j’avais de bons rapports avec les fans, mais le club a changé. Beaucoup de gens sont partis, d’autres sont arrivés. Quand l’argent arrive dans le foot, ce n’est plus l’équipe du peuple. C’est triste. Le club auquel je suis lié, c’est Newcastle (2007-2011). On est descendus, on est remontés. On est revenus de loin et les fans n’oublient pas. Quand les joueurs viennent pour l’argent, ce n’est pas la même chose. Là, on s’est battus pour le club. Moi, Andy Carroll, Gutierrez, on est tous restés et on a ramené l’équipe au sommet.
– Vous allez faire la même chose à Marseille ?
– Ce n’est pas la même chose. Marseille a fini 10e, Newcastle était en L 2 ! Mais oui, je viens ici pour gagner des titres, je ne viens pas en vacances, ni en touriste. C’est un défi pour moi, pas seulement professionnellement, mais aussi personnellement, de découvrir une autre culture. Pour moi, c’est important.
– Vraiment ?
– Si tu veux gagner, il faut sentir la ville. Si j’avais été un peu plus jeune, j’aurais vécu en centre-ville. J’aime voir les fans le matin, leur parler. Si tu as de la chance, tu joues au foot entre dix-sept et trente-cinq ans. Les joueurs s’achètent des grosses voitures et roulent à fond, ils ne profitent pas. Moi, je veux en profiter. Quand j’étais petit, j’allais à l’entraînement d’Everton et j’attendais les joueurs après. J’aimais ceux qui s’arrêtaient, pas ceux qui se prenaient pour des superstars et qui filaient en voiture.
– Vous connaissez un peu les supporters marseillais ?
– Je me souviens de ce match de Ligue des champions avec le but de Valbuena (à Liverpool, 1-0, 11 décembre 2007). Ils avaient mis une belle ambiance. J’étais en ville vers une heure de l’après-midi et ils chantaient déjà. Pourtant, le coup d’envoi était à 20 h 45 ! Je me disais qu’ils n’auraient plus de voix en arrivant au stade. Mais ils ont chanté toute la soirée. En Angleterre, pour l’atmosphère et les fans, Newcastle s’en approche.
– Vous étiez en contact avec d’autres clubs ?
– Oui, j’ai parlé à Fenerbahçe et avec le Valence CF. Mais je n’ai pas trop hésité quand Marseille est arrivé, c’était un bon challenge pour moi. Je connais la situation. Ils ont fini dixièmes, tout le monde est déçu, ils ont vendu des joueurs pour équilibrer les comptes. On est l’outsider, mais ça me va.
– Vous vouliez vraiment quitter l’Angleterre ?
– Moi, avec mes douze matches de suspension… Tout le monde disait : “Laissez-le partir, c’est un bon joueur mais il est fou.” Les gens me sous-estiment. J’ai été en prison, quand je suis sorti, les gens ne disaient pas que j’étais un mauvais joueur, mais que j’étais fou. C’est difficile pour moi. O.K., c’est vrai, j’ai fait des choses stupides. Mais j’ai trente ans et j’ai peut-être été impliqué dans cinq ou six incidents. Soit j’étais saoul, soit ç’a a duré une minute ou deux.
– En France, on a beaucoup parlé de l’incident avec Ousmane Dabo (1).
– Je connais la vérité, il connaît la vérité. Dans ma vie, j’ai vu cinquante incidents entre des joueurs à l’entraînement. Je ne sais pas combien de fois j’ai pris des tacles à l’entraînement et je n’ai rien dit. Dabo, pour moi, c’est de sa faute.
– Vous n’avez donc pas de regrets ?
– Non, aucun. Je suis un homme, c’est un homme. Il me frappe, je réponds. Moi, là d’où je viens, ça marche comme ça. Si je frappe quelqu’un, le minimum que j’attends, c’est qu’on me frappe en retour ! Mais je n’aime pas me battre, je ne suis pas un bagarreur.
– Vos douze matches de suspension (2), c’est aussi à cause de votre réputation ?
– Oui, c’était aussi politique, parce que je critique beaucoup le système. Je critique l’équipe nationale : on prend toujours les mêmes jusqu’à ce qu’ils aient cinquante ans. Et on voit que ça ne marche jamais. Einstein disait : “La définition de la folie, c’est quand on fait la même chose encore et encore et qu’on attend un autre résultat.” Je suis très critique aussi avec la Fédération. À chaque fois que j’ai un souci, ils m’appellent, j’y vais, je m’assois, je vois un type qui a cent ans, qui est en costume, qui n’a jamais joué au foot de sa vie, et c’est lui qui me dit : “Mr Barton, c’est mal de faire ça.” Tu n’as jamais, jamais été au stade, qu’est-ce que tu en sais ?
– C’est difficile d’attendre encore neuf matches ?
– Oui, un peu. Ç’a été dur sur le moment. Je suis parti en vacances. Je me suis dit : “Je pense que je peux encore jouer au plus haut niveau.” Je ne veux pas laisser les critiques gagner.
– Votre femme est heureuse de découvrir Marseille ?
– On n’est pas mariés. On est ensemble depuis cinq ans, je devrais peut-être accélérer, là-dessus. Je n’aime pas les mariages, on doit toujours inviter des gens qu’on n’aime pas vraiment. Moi, si je me marie, je serai honnête. Je dirai : “Écoute, je t’aime bien mais pas assez pour t’inviter !” »
MÉLISANDE GOMEZ
(1) Au cours d’un entraînement de Manchester City le 1er mai 2007, Joey Barton avait agressé très violemment son coéquipier français Ousmane Dabo. Cette agression lui coûtera quatre mois de prison avec sursis, six matches de suspension et un peu plus de 30 000 € d’amende.
(2) Le 13 mai dernier, après son expulsion contre Manchester City (2-3), il donne un coup de genou à Sergio Agüero. Il écope de douze matches de suspension et de près de 100 000 € d’amende. Il ne devrait pas pouvoir jouer avant le week-end du 10 novembre pour le match contre Nice.