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Confessions de Joey Barton
Si sa réputation de bad boy l'a précédé à l’Olympique de Marseille où il vient d'être adoubé, Joey Barton semble enfin (re)vivre. Anglais jusqu’au bout des crampons, son jeu sans concession, sa personnalité rugueuse et son style 100 % mods font de lui le vrai hipster du foot.
Joey Barton se retourne, l’air dubitatif. Le milieu de terrain de l’Olympique de Marseille, le « bad boy » du foot anglais, veut savoir s’il a « un gros cul » dans le pantalon Dior Homme qu’il vient d’enfiler pour la séance photo. La scène se déroule aux abords des terrains d’entraînement de l’OM où le natif de Liverpool nous a donné rendez-vous pour un shooting pendant lequel il en surprend plus d’un par sa chaleur, sa curiosité et sa vivacité d’esprit. Car il faut l’avouer, le bougre est charismatique. Et cela surprend – forcément – ceux qui ne connaissent l’ancien joueur de Manchester City, Newcastle United et Queens Park Rangers qu’à travers les frasques qui ont rythmé sa carrière.
Joey Barton n’est pas dupe. Ses nouveaux coéquipiers le lui ont bien expliqué. À son arrivée dans le vestiaire marseillais, ils ne savaient vraiment pas à quoi (à qui) s’attendre. « Certains pensaient voir débarquer un fou furieux, voire un chien enragé », raconte-t-il, habitué à ce genre de réception. Mais il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Un passé marqué par des cartons rouges, des bagarres – sur et en dehors du terrain – et de la prison après une agression sur le français Ousmane Dabo, son ancien coéquipier de Manchester City.
Pourtant, aujourd’hui, on ressent chez lui un désir féroce de changer, d’évoluer, de devenir un gars bien. Barton parle beaucoup. Il en a besoin. Pour se faire comprendre. Pour se comprendre aussi, peut-être. Joey est bavard. Ça tombe bien, je suis à l’écoute. Il me raconte comment sa venue en France a été une chance, une opportunité d’apprendre, d’aller vers les autres. Pour tourner une nouvelle page de sa vie. « J’ai commencé à changer quand j’ai compris que le foot n’était pas le truc le plus important du monde », commence-t-il. « Avant, après une défaite, je m’enfermais dans le noir. Il fallait que je visionne le match plusieurs fois pour l’exorciser ! C’était terrible ! Même après une bonne rencontre, je ne retenais que la passe ratée. Je cherchais la perfection tout en sachant qu’elle n’existe pas... »
En Angleterre, le cas Barton divise. Quelques-uns, une minorité, apprécient le bonhomme. Ils parleront des origines de Barton : une famille pauvre, brisée, d’un quartier de Liverpool très dur, et de sa volonté d’échapper à cette spirale infernale. Sa présence sur Twitter – où il échange beaucoup et commente un peu tout et n’importe quoi – nous aide à mieux appréhender ce personnage si atypique du sport moderne. « Pour moi, Twitter, c’est comme donner des allumettes à un pyromane. Mais cela me fait beaucoup de bien car là, c’est moi qui contrôle, je n’ai pas en face un journaliste qui a déjà peut-être son papier en tête avant de me rencontrer. Je dis ce que je veux et, malgré quelques grosses engueulades que je regrette, je pense avoir fait évoluer mon image dans le bon sens » affirme-t-il. Voilà un sportif qui n’hésite pas à parler de religion, de politique ou de ses propres soucis très publiquement. Il l’ouvre sur tout, devant un public de plus en plus nombreux – presque deux millions de followers sur Twitter ! On a aussi suivi son déménagement de Newcastle à Londres, jadis. Et on a pu constater son émerveillement en arrivant dans la capitale anglaise. Sa façon de relater ses sorties culturelles a même attiré l’attention des médias traditionnels. Résultat : The Guardian, journal de gauche très respecté, l’a invité à commenter une visite au musée avec l’une de ses journalistes. Et Barton de nous attendrir en nous racontant aussi, photos à l’appui, la naissance de son premier enfant, Cassius.
Chez moi, in England, beaucoup ne retiennent que le côté sombre du personnage : l’homme qui buvait trop dans les rues de Liverpool, qui se battait avec le premier venu. Ou le joueur qui disjonctait trop souvent sur le terrain, comme lors de cette dernière journée de Premier League la saison dernière, quand Barton perdit littéralement les pédales. Rewind.
Capitaine de l’équipe de Queens Park Rangers, club qui risque la relégation en cas de défaite sur la pelouse de Manchester City (son club formateur), Barton prend un carton rouge 35 minutes avant la fin du match. Le score est à 1-1. Pour la petite histoire, QPR perdra le match dans les dernières secondes mais ne sera pas relégué. Manchester City, grâce à cette victoire, sera même sacré champion d’Angleterre ! Bref, on aurait pu en rester là, sauf que ce nouveau carton rouge n’est pas anodin. Car il aurait pu (dû) en prendre trois d’un coup ! Barton est en effet exclu du terrain pour avoir réagi à une faute sur lui de Carlos Tevez. Mais lorsqu’il voit l’arbitre brandir le rouge, il disjoncte. Donne un coup de genou à Sergio Aguero et un début de coup de boule à Vincent Kompany. Le match est en direct et Barton vient de nous rappeler qu’il est capable du pire. La sanction tombe, le joueur doit mettre sa carrière entre parenthèses. Ou carrément la repenser. Au total ? Une suspension de douze matchs, du jamais vu dans l’histoire du football anglais. QPR fait savoir que Barton n’est plus le bienvenu dans l’ouest de Londres. Ce carton rouge change la vie du footballeur le plus controversé de sa génération.
Le voici donc prêté pour la saison à l’OM. Avec une feuille (presque) blanche devant lui. Mais, comme il aime le répéter, sa réputation le précède. À un détail près. Loin de son pays, il doit apprivoiser ses coéquipiers et un championnat qu’il connaît mal. Sa compagne et leur petit Cassius s’exilent avec lui. Ils atterrissent à Cassis. Oui, Cassius à Cassis ! Son frère est aussi du voyage pour que Joey et sa petite famille se retrouvent bien entourés. Alors, heureux à Marseille ? Je le rencontre alors qu’il commande son café au lait – il y a des habitudes que certains Anglais ne perdent jamais –, en compagnie du défenseur Rod Fanni. Barton a le sourire facile, essaie de baragouiner quelques mots de français. Ce n’est pas encore ça. Fanni me parle du vocabulaire fleuri appris au champion par des coéquipiers de bonne volonté. Je constate alors que son juron préféré est « connerie », traduction la plus fidèle de son favori « bullshit ».
Bref, je suis Barton lorsqu’il passe devant les bureaux, s’arrêtant tous les cinq mètres pour saluer les gens du club qui travaillent et échanger dans un sympathique mélange d’anglais et de français. Quand je retourne les cuisiner plus tard, c’est un concert de louanges. Barton ? « Une crème. Il est disponible, drôle et va vers les gens. » À plusieurs reprises, on me dit discrètement : « Si seulement tous les joueurs étaient comme lui... »