"C'était tellement dur"
Le latéral gauche marseillais profite des résultats de son équipe pour retrouver un peu de sérénité. En quittant son cocon lorientais, il y a 1 an et demi, il a basculé dans un monde beaucoup + cruel.
(...) A l'OM, tout le monde semble avoir tiré un trait sur l'exercice 2011-2012 achevé à la 10e place. Tout le monde sauf peut-être Jérémy Morel. Mais le regain marseillais et l'arrivée d'Elie Baup lui ont quand même permis de retrouver de la sérénité et des repères proches de ceux que lui avait inculqués son ex-entraîneur Christian Gourcuff. Vu ce qu'il a enduré, son maintien comme titulaire tient presque du miracle. Arrivé de Lorient pour remplacer 2 figures comme Taiwo ou Heinze, ce latéral gauche a découvert un nouvel environnement. Et il a eu bien du mal à s'y habituer. Au-delà de l'éternel débat entre la presse, l'opinion et les supporters d'un côté, les joueurs de l'autre, il y a une souffrance qu'il a acceptée de nous raconter, en exposant sa face méconnue, sensible et attachante.
- Le 8 décembre dernier, en conférence de presse, vous avez déclaré : "Les gens doivent s'ennuyer chez eux pour parler de Morel à Marseille." Vous vous considérez comme une cible, une tête de Turc ?
JM : Exactement. J'ai été pris à partie la saison dernière. Il fallait trouver quelqu'un sur qui taper. Cela a commencé assez tôt. Aux 1ers mauvais résultats. Comme je ne disais rien, les journalistes ont continué. Je ne lis pas la presse. Je l'avais décidé avant même d'arriver ici. Ce sont des potes ou la famille qui me disaient : "Tu as vu, ils ont mis ça." Je préférais ne pas le voir. Mes parents ne me disaient plus trop rien, non +. Pour me protéger un peu. C'est davantage mon amie, au boulot. Elle a passé une année de merde. Quand je jouais à Lorient, elle n'était pas embêtée. Depuis que je suis à Marseille...
- Vous souffriez d'articles que vous n'aviez pas lus...
JM : Mais je n'avais pas besoin, puisque tout ce qui était écrit, on me le ressortait.
- A Lorient, vous lisiez la presse. Vous l'avez reconnu le 8 décembre.
JM : En fait, pas + que ça. Ce qui m'intéresse surtout, ce sont les faits divers, la politique. L'autre jour, vous (les journalistes qui suivent l'OM) cherchiez la petite bête. En vous disant que je lisais le Télégramme et Ouest-France quand j'étais à Lorient, je savais que ça vous titillerait. Je l'ai fait exprès. A Lorient, j'avais + de relations avec les journalistes. Ici, j'avais l'impression, au départ, d'avoir fait des efforts.
"Le seul moment où je sors, c'est pour faire mes courses ou pour promener mes chiens."
- Vous en avez fait le 8 décembre ?
JM : Je vous ai parlé sur le ton de la rigolade. Ca passe mieux (il sourit). Je savais qu'on comparerait mes 2 saisons, l'actuelle et la précédente, avec pas mal de critiques ; qu'on me demanderait mon ressenti. Je me retrouvais face à ceux qui me critiquaient et me demandaient ce que ça me faisait.
- Vous aviez l'impression d'être face à vos bourreaux ?
JM : C'est ça.
- Et...
JM : Je ne vais pas y aller par 4 chemins. Si vous ne m'aimez pas, je ne vais pas me forcer à vous aimer non +. Je vais faire mon taf sur le terrain, c'est tout.
"C'est un engrenage. Avant même que tu ne reçoives le ballon, tu sais que si tu te rates, tu vas te faire siffler. Avant même de faire une passe, tu te dis que, surtout, il ne faut pas la rater. Il n'y a + rien de naturel. Rien."
- Avez-vous souffert des comparaisons avec vos prédécesseurs, Taye Taiwo et Gabriel Heinze ?
JM : Je n'ai pas été surpris. Dans un grand club, on veut des gros noms. Les supporters me disaient que ça allait être dur de les remplacer. Tu sais, quand tu arrives de Lorient, que tu as tes preuves à faire, que tu n'as pas forcément le droit à l'erreur avec la presse, les supporters. L'important, c'est la confiance de tes partenaires. Avec eux, je n'ai pas eu de souci.
- Vous ont-ils aidé à faire face aux critiques ?
JM : Ils ne me voyaient jamais avec un journal dans les mains. Mais il suffisait qu'il soit ouvert à la page des notes dans la pièce où l'on se retrouve pour qu'ils me disent : "On n'a pas vu le même match."
- Avez-vous regretté votre choix de signer à Marseille plutôt qu'à Rennes, comme prévu ?
JM : Non. Avant de signer, j'ai demandé si Didier Deschamps me voulait vraiment, tout en étant conscient que c'était à moi, ensuite, de faire mon trou. Lors de notre 1er échange, j'ai senti que c'était le cas. Je quitte Lorient pour connaître quelque chose de différent. Pour moi, Rennes est à un autre niveau que Lorient mais Marseille est au-dessus de Rennes. Quand j'arrive ici, je suis bluffé par les installations, je constate un énorme fossé avec Lorient. Ca me conforte dans mon choix. En fait, à Marseille, je savais où je mettais les pieds mais au point où je l'imaginais. Ma 1ere saison, c'était tellement dur. Ce n'est pas ce que je pensais connaître. Mais bon, c'est dans la difficulté qu'on apprend le +.
- Vous ne vous êtes jamais dit que l'OM n'était pas fait pour vous ?
JM : Je ne me voyais pas dire non. Quand tu es pro, Marseille, ça ne se refuse pas.
- A un moment, avez-vous pensé à partir ?
JM : Non. J'avais surtout hâte que la saison se termine, d'être en vacances pour pouvoir penser à autre chose et repartir sur de nouvelles bases. Je voulais rester. Je n'avais pas envie de rester sur une saison où je n'avais reçu que des critiques.
- Quitter Lorient et Christian Gourcuff, pour découvrir une nouvelle méthode, un nouveau système, c'est compliqué ?
JM : Je n'avais connu que le 4-4-2. Je mettais en application ce que l'on m'avait appris. Or, certaines choses différaient. Comme on a beaucoup le ballon, Deschamps nous demandait de jouer très haut, pour apporter au maximum le surnombre. A Lorient, on te dit qu'apporter offensivement c 'est bien. Mais la 1ere des choses, c'est d'abord de bien défendre. Cette année, on nous demande de rester à 3 derrière. Si ça monte à droite, je ne dois pas y aller. Parfois, vous me reprochez de ne pas monter assez. Mais il y a un système établi par le coach. Et moi, je dois le respecter. Le schéma d'Elie Baup, c'est celui que j'ai appris à Lorient. Peut-être que je le comprends un peu mieux.
"Mes équipiers ont tendance à dire que je suis un peu vieux con parce que, parfois, je ne rigole pas si je ne trouve pas une blague marrante. Je n'ai jamais eu l'habitude de me forcer à rire."
- Quand on n'a connu que Lorient, l'adaptation à Marseille, c'est dur ?
JM : L'OM, c'est vachement médiatisé. Tous les matchs sont décortiqués. A Lorient, même quand tu es moins bon, on n'en parle pas. Ici, dès que tu es un peu en dedans, c'est mis en avant. Ici, tu ne peux pas tout dire. Tu peux avoir l'impression qu'il y a des pièges un peu partout.
- Dans votre quotidien, qu'est-ce qui a changé ?
JM : A Lorient, j'avais acheté une baraque et je faisais les travaux moi-même. Le plancher de l'étage, l'électricité dans le garage, la maçonnerie dehors... J'ai appris ça avec mon père et Marc (Boutruche, un ancien joueur de Lorient). On a aussi fait pas mal de choses chez lui. Ce n'est pas sorcier. Ici, il a fallu trouver un autre centre d'intérêt. J'ai essayé de sortir un peu + mes chiens. Mais la saison passéee, le contexte était tellement particulier, tellement mauvais, que j'avais encore moins envie de sortir.
- Vous vous enfermiez presque chez vous.
JM : A la base, je suis extrêmement casanier, solitaire. Ca ne me dérange pas de rester seul. Je lis des bouquins. Je n'ai pas trop changé ma manière de vivre. Je ne sors quasiment pas. Le seul moment où je sors, c'est pour faire mes courses ou pour promener mes chiens, 2 terre-neuve. Ma compagne est ingénieur et travaille à Monaco. Elle n'est avec moi que le week-end.
- Vous avez donc affronté la saison passée seul avec vos chiens.
JM : Je passais le temps. Une choses que je ne faisais pas du tout à Lorient et que je fais à Marseille : la sieste. La saison dernière, ça me faisait gagner du temps sur ma journée.
- Vous vous ennuyiez donc quand même un peu...
JM : Je n'avais pas grand chose à faire. Et puis, le contexte comptait. Fabien Audard (le gardien de Lorient), qui a connu Monaco, essayait de me filer quelques conseils, de ne pas prendre tout au 1er degré. Parfois, mes potes de Bretagne descendaient, ça me permettait de passer un peu de bon temps, notamment avec Marc Boutruche.
- Avez-vous des amis à l'OM ?
JM : Bien sûr. Il y a des gens que j'apprécie. Pas mal de personnes dans le staff comme "Alex" (Alexandre Rosée, l'attachée de presse). Sinon, Benoît (Cheyrou), "Dédé" (Gignac), Morgan (Amalfitano). De temps en temps, je vais voir "Dédé". Ca me change.
- Comment pensez-vous être perçu par vos équipiers ?
JM : (Il sourit) Ils ont tendance à dire que je suis un peu vieux con parce que parfois, je ne rigole pas si je ne trouve pas une blague marrante. Je n'ai jamais eu l'habitude de me forcer à rire.
- Cette saison, vous avez retrouvé le plaisir de venir chaque jour à la Commanderie...
JM : C'est sûr. A partir du moment où les résultats sont là, tout change, ici. Forcément, ça donne + envie.
- En +, les observateurs vous trouvent meilleur....
JM : Oui, j'ai envie de leur dire : "Vous avez vu, Jérémy Morel a fait des progrès. Grâce à moi, on est 3es." (Il sourit) En fait, je n'aime pas qu'on me mette en avant, ni qu'on s'acharne sur moi. On forme un collectif.
- Franchement, qu'avez-vous pensé de votre saison 2011-2012 ?
JM : Je n'ai pas fait une super saison par rapport à ce que je sais faire. Maintenant, de là à dire que j'ai été nul comme cela a pu être dit...
- Sur le terrain, votre manque de confiance sautait aux yeux la saison passée. La peur de mal faire ?
JM : C'est exactement ça. C'est un engrenage. Avant même que tu ne reçoives le ballon, tu sais que si tu rates, tu vas te faire siffler. Avant même de faire une passe, tu te dis que, surtout, il ne faut pas la rater. Il n'y a + rien de naturel. Rien. La saison passée, je jouais sans confiance. C'est là aussi, que tu apprends beaucoup. J'ai compris que 80 % de ton rendement, c'était dans la tête.
- Lors de la dernière intersaison, l'OM s'est mis en quête d'un latéral gauche, sans se cacher. Comme l'avez-vous vécu ?
JM : Je pars toujours du principe que, dans un grand club, on double les postes. A son arrivée, Elie Baup m'a juste dit que quelqu'un d'autre arriverait (Lucas Mendes) et que la vérité du terrain primerait.
- Et vous êtes là.
JM : Je continue à faire mon truc. Je vis au jour le jour, je ne suis pas de nature à m'avancer dans le temps. Là, ça se passe bien.
194 : comme le nombre de matches de L1 joués par Jérémy Morel. Le défenseur a marqué 8 buts, il a reçu 22 cartons jaunes et 2 rouges.
19 : le latéral gauche de l'OM fait partie des 3 joueurs de champ de l'effectif olympien à avoir débuté toutes les rencontres de la phase aller avec Nicolas Nkoulou et Mathieu Valbuena.
109 : c'est le nombre de dégagements effectués par Morel cette saison en L1. Soit le meilleur Marseillais dans cet exercice devant Fanni (107), Nkoulou (99), Kaboré (52) et Lucas Mendes (45).